Les défis de l’information en région

Nouveau cas d’entrave à la liberté d’informer en région. Mardi soir, le maire de Blainville, sur la rive nord de Montréal, a refusé au journaliste et à son caméraman de TVA de filmer une séance publique. L’occasion de revenir sur les différents défis que les artisans en région auront à relever ces prochains mois.

Par Hélène Roulot-Ganzmann @roulotganzmann

L’incident a été relayé en direct par le journaliste, Yves Poirier, mardi soir sur son compte Twitter. Parti avec son caméraman pour couvrir le conseil municipal de Blainville, il s’est vu refuser de filmer, en vertu d’un règlement stipulant l’obligation de faire une demande 48 heures à l’avance. CaptureUn incident vivement condamné le lendemain par la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ). Après Candiac, Lacolle, Shawinigan, Coteau-du-Lac, Mont-Saint-Pierre, Val d’Or et d’autres l’an dernier, ce qui semble être devenu l’un des sports favoris des maires et mairesses du Québec, et que le président démissionnaire Pierre Craig n’avait eu de cesse de dénoncer tout au long de son mandat, à savoir l’entrave à la liberté d’informer et l’intimidation envers les journalistes et autres artisans, semble avoir repris de plus belle en 2015.

Martel«Il y a tout un travail d’éducation à faire, confirme Marie-Ève Martel, journaliste à la Voix de l’Est et présidente de la section FPJQ-Montérégie. On est allé en élection municipale en 2013 et il y a aujourd’hui plein de nouveaux élus qui ne connaissent pas notre rôle. La plupart du temps, on règle ça sans faire de sortie publique. On appelle les maires, on leur écrit et ils comprennent. D’autres sont plus récalcitrants. Certaines municipalités ou organisations ont un recours abusif à la loi sur l’accès à l’information et étirent les délais. Mais depuis le début de l’année, nous avons aussi de plus en plus de cas de pressions commerciales. Plus le milieu est petit, plus le média et le journaliste sont soumis à des pressions. Prenons une petite municipalité, non seulement elle achète des avis publics, grande source de revenu pour les journaux, mais elle est aussi souvent la principale source d’information.»

Inversion du rapport de force

Ainsi, les cas de représailles suite à un article défavorable à un annonceur se multiplient. Des demandes sont formulées au média afin qu’il se rétracte ou qu’il produise un autre reportage sur un sujet qui mettrait l’annonceur plus en valeur. Marie-Ève Martel parle de pressions qui peuvent amener certains journalistes et petits médias à ne pas aborder certains angles pour ne pas se voir retirer des contrats publicitaires. Une forme d’autocensure… qui risque de s’aggraver dans les prochains mois avec la disparition de plusieurs journaux régionaux et l’amenuisement de la diversité des voix.

«Moins il y a de médias, plus l’annonceur a le gros bout du bâton, affirme-t-elle. Aujourd’hui, il n’est plus obligé de publier ses publicités dans les journaux, il a bien d’autres moyens de faire passer ses messages.»

GaudreauMême analyse de la part de Valérie Gaudreau, journaliste au Soleil et présidente de la section FPJQ-Québec. Invitée à prendre la parole il y a dix jours lors d’un colloque organisé par le Centre d’études sur les médias de l’Université Laval et portant sur l’avenir du journalisme, elle a insisté sur l’accélération des mauvaises nouvelles en région, tant au niveau des effectifs que de la diversité des sources d’information.

Elle rappelait alors qu’outre la disparation de plusieurs titres ces derniers mois, notamment en Montérégie et en Gaspésie, du fait du rachat des hebdos de Quebecor par TC Média, huit postes permanents ont été coupés cet automne dans sa salle de nouvelles du Soleil, emportant avec eux une dizaine de journalistes surnuméraires et plusieurs correspondants en région. Mme Gaudreau a également évoqué les trente minutes d’antenne en moins dans les bulletins de nouvelles régionaux de Radio-Canada, réitérant les craintes de la FPJQ de voir dans ces rédactions, de prochaines mises à pied.

«Cette fragilisation des sources d’informations régionales survient de plus à un moment où d’importants enjeux économiques et environnementaux sont soulevés par des projets de prospection minière et gazière, soulignait-elle. Les coupes arrivent aussi dans un contexte de surveillance accrue des élus municipaux dans la foulée des révélations de la commission Charbonneau.»

Des voix qu’on entendra plus

La semaine a cependant démarré sur une bonne nouvelle, le Soleil annonçant mardi, que ce ne serait pas tous ses postes de correspondants en région qui seraient coupés, mais que le quotidien de Québec en préserverait cinq, ceux qui couvrent les secteurs les plus éloignés de la capitale.

«Une demi-bonne nouvelle nuance pourtant Marie-Ève Martel. Disons que c’est moins pire que ce à quoi on s’attendait. Le problème, c’est que dans ce cas comme dans bien d’autres, ce sont de plus en plus les journalistes de la salle de nouvelles qui vont couvrir les régions. Or, il va falloir faire des choix et forcément, il y a des voix qu’on entendra plus.»

«J’y vois deux graves problèmes, ajoute-t-elle. D’abord, un journaliste du national n’aura jamais la même connaissance des dossiers qu’un collègue qui couvre ce secteur à l’année longue. Il n’a pas les mêmes contacts et n’est pas capable de faire certains liens. Ensuite, forcément, une hiérarchisation va s’opérer et elle sera défavorable à la couverture régionale. Pour qu’un journaliste se déplace de Montréal, il va falloir quelque-chose de très gros, un meurtre scabreux, un fait-divers crapuleux, une affaire de corruption exceptionnelle. Ça va biaiser le regard sur les régions. Sans compter qu’il y a tellement de choses à raconter sur nos territoires, et qui ne sont pas forcément des scandales.»

L’union fait la force

C’est dans ce contexte que démarreront le mois prochain, les négociations en vue d’intégrer les quotidiens régionaux de Gesca, dont la Voix de l’Est et le Soleil, au sein de la plateforme La Presse+. Dans ce contexte également, que la FPJQ réunira, toujours en mars, les responsables de ses différentes sections régionales afin de définir un plan de sauvetage de l’information de qualité en région.

En attendant, la Fédération appelle ses membres à se serrer les coudes au-delà des querelles de paroisses, au delà de l’appartenance à tel ou tel conglomérat.

«Quand tu couvres une réunion publique, il n’y a pas de scoop possible. Tout le monde va être là et va avoir la même information, explique Mme Martel. Dans ces événements, il est donc important que les journalistes se défendent les uns, les autres lorsqu’un des nôtres est attaqué.»

Un discours tenu également par Pierre Craig la semaine dernière, lorsqu’il s’est adressé pour la dernière fois à ceux qui l’avaient porté à leur tête quinze mois plus tôt.

«Les combats que nous menons pour la transparence et pour l’information en région, pour ne citer que ceux-là, ne peuvent se passer de [toutes nos] forces, écrit-il. Nous sommes tous des journalistes. Nous voulons tous la vérité, pour les citoyens. Nous n’y arriverons que si nous nous unissons.»

Durant les prochaines semaines, ProjetJ reviendra régulièrement sur les enjeux de l’information en région.

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