Levée de boucliers face à la «harperisation» du gouvernement Couillard

La décision du premier ministre d’interdire aux membres de son gouvernement de s’adresser aux journalistes avant d’avoir été conseillés en caucus est vivement critiquée.

Par Hélène Roulot-Ganzmann @roulotganzmann

Dans une prise de position publiée hier, la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ) demande purement et simplement à Philippe Couillard de retirer cette directive et de laisser ses ministres parler librement aux journalistes. Et ce, au nom de la transparence dont le gouvernement s’était dit être le fer de lance lors de son arrivée au pouvoir en avril dernier.

La directive en question est arrivée mercredi à la Tribune de la presse. Les journalistes ont en effet reçu un appel du cabinet du premier ministre les avertissant qu’ils auraient dorénavant accès aux ministres à la sortie de leur caucus seulement. Ceux qui voudraient leur parler avant, devront en faire préalablement la demande auprès des relationnistes. Une nouvelle manière de fonctionner entrée en vigueur dès jeudi matin, les membres du gouvernement ayant refusé de parler avant le caucus, comme ils le faisaient jusqu’alors.

En entrevue avec Marie-France Bazzo sur les ondes de Ici Radio-Canada Première ce matin, le président de la Tribune de la presse, Alexandre Robillard, s’est dit inquiet face à ce qui lui apparait comme un recul.

«Généralement, quand on fait des demandes aux attachés de presse, ils exigent de savoir sur quels sujets on va s’entretenir, explique le journaliste de la Presse canadienne. C’est l’exemple de M. Bolduc… la question qu’on se pose, c’est si on lui avait dit qu’on voulait lui parler des fouilles à nu, est-ce qu’on aurait pu l’avoir?»

Éviter les dérapages

Car si le premier ministre Couillard a démenti qu’il y ait un lien de cause à effet entre cette nouvelle directive et la bévue de son ministre de l’éducation affirmant qu’il ne voyait pas d’inconvénient à ce que des fouilles à nu soient pratiquées sur les élèves tant que cela était fait de manière «respectueuse», beaucoup d’observateurs en doutent.

Toujours à l’émission C’est pas trop tôt de ce matin, le journaliste du Soleil, Gilbert Lavoie a comparé cette directive à celle qu’un chef d’entreprise aurait pu prendre pour ne pas avoir à blâmer directement un de ses employés.

«Il [Philippe Couillard] fait ce que le patron d’une entreprise fait lorsqu’il a un problème avec un employé mais qu’il n’ose pas le lui dire, croit-il. Il émet une directive à tous, même à ceux qui n’en ont pas besoin. Dans les ministres du cabinet actuel, il y en a qui adorent rencontrer les journalistes n’importe quand, Gaétan Barrette fait partie de ceux-là. Mais il y en a qui sont moins habiles. C’est le cas de M. Bolduc. On a accusé M. Couillard hier de vouloir contrôler l’information. Je pense qu’au départ, il veut éviter les dérapages.»

Caisse de résonance amplifiée

Des dérapages qui à l’heure des réseaux sociaux et de la télévision en continu font beaucoup plus de bruit qu’auparavant. Ainsi, Gilbert Lavoie concède que parce qu’ils sont en direct tous les matins sur RDI ou LCN, les journalistes sont pressés de poser des questions, donc de trouver des sujets d’actualité là où parfois il n’y en a pas.

«C’est pas facile de nous endurer dans les corridors, convient Alexandre Robillard. Nous sommes comme du poil à gratter dans un col de chemise. On est insistants, on dérange. C’est vrai que maintenant, dans la sphère médiatique, la caisse de résonance est amplifiée. Une bourde, un embarra, une contradiction, une incohérence dans le discours et le politicien se retrouve comme dans un cycle d’essorage assez continu. Ça fait plus de dommages. De là à restreindre l’accès que les médias ont aux politiciens… À la Tribune de la presse, on trouve que ça fonctionnait bien avant et on demande le statu quo.»

Même appel de la part du Syndicat des professionnelles et professionnels du gouvernement du Québec (SPGQ), qui par voie de communiqué, dit non à la «harperisation» des communications, estimant comme beaucoup d’autres, que cette interdiction faite aux ministres de parler librement aux journalistes, rappelle les pratiques du gouvernement Harper au Fédéral. Selon le syndicat, le gouvernement Couillard a abdiqué en matière de transparence, et pas uniquement avec cette dernière directive.

«Contrairement à ce que nous avait promis Christian Lessard, secrétaire général associé à la communication gouvernementale au MCE [Ministère du conseil exécutif, ndlr], nos agents de communications sensés être indépendants du pouvoir politique ont reçu, en décembre dernier, des directives claires de rendre plus positif le message d’austérité du gouvernement», rappelle ainsi le président du SPGQ, Richard Perron.

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