Femmes journalistes, imposez-vous!

Paule-Beaugrand-Champagne

À l’occasion de la journée internationale des femmes qui aura lieu dimanche, ProjetJ est allé poser quelques questions à Paule Beaugrand-Champagne, devenue au printemps dernier la première femme présidente du Conseil de presse du Québec. Selon elle, ses consœurs gagneraient à se faire plus confiance.

Par Hélène Roulot-Ganzmann @roulotganzmann

«Durant ma carrière, j’ai été à plusieurs occasions la première femme à faire ceci et cela, raconte Paule Beaugrand-Champagne. Alors être la première à prendre la tête du Conseil de presse… ça ne me surprend pas. C’est dommage que d’autres ne l’aient pas été avant moi, dommage qu’aucune n’ait déposé sa candidature et qu’elles n’aient pas été poussées à le faire. Lorsque j’ai eu mes premiers postes en tant que cadre de l’information, les autres femmes me disaient que ce n’était pas pour elles. Qu’elles ne seraient pas capables. C’est regrettable.»

D’aussi loin qu’elle se souvienne, rien ne lui est jamais tombé tout cuit dans la bec. Il a fallu qu’elle pousse des portes, qu’elle s’impose, qu’elle ose. Parce que les hauts cadres dans les salles de nouvelles font toujours partie d’une sorte de «boys club» et que quand vient le temps de recruter un collaborateur, ils vont naturellement penser à quelqu’un qui fait partie de leur gang.

«Je suis allée les solliciter, confie-t-elle. Lorsque j’avais envie d’un poste, je suis allée le dire. Au début, ça surprenait. Mais au fil des années, c’est devenu de plus en plus normal. En fait, lorsque j’ai démarré dans les années 60, je me suis rendue compte que je gagnais dix dollars de moins par semaine que mon collègue homme. Nous avions la même fonction, la même formation, la même expérience. Je suis allée dire à mon patron que je ne trouvais pas ça normal et il l’a reconnu. J’ai été augmentée. Dans notre profession, ce genre d’iniquités est derrière nous, croit-elle. La montée des syndicats et les conventions collectives ont apporté une certaine égalité de traitement.»

Plafond de verre?

Ainsi, selon la présidente du Conseil de presse, même si tout est loin d’être parfait, le plafond de verre se situerait aujourd’hui beaucoup plus dans la tête des femmes. Soit qu’elles manqueraient d’assurance en leurs compétences, soit tout simplement qu’elles préféreraient le terrain, le reportage, au travail de bureau.

«Pour devenir chef de pupitre, puis monter dans la hiérarchie, il faut accepter de ne plus signer chaque jour dans le journal, et de se mettre en retrait pour aider les autres à sortir de meilleurs textes, pointe-t-elle. Il y en a qui ne sont pas prêtes à ça.»

Pas prêtes non plus à sacrifier leur vie de famille.

«Elles veulent réussir à la fois leur vie professionnelle et familiale, estime Mme Beaugrand-Champagne. C’est un véritable défi. Pendant longtemps, on a dit que les femmes étaient handicapées parce qu’elles avaient toute la responsabilité des enfants, qu’elles avaient deux jobs à temps plein à mener de front, que c’est pour ça qu’elles ne postulaient pas à des postes de cadres. Or, les hommes en font de plus en plus à la maison. Et eux, imaginent très bien pouvoir aller chercher leurs enfants à l’école tout en ayant un poste à responsabilités. Il y a là-dedans quelque-chose de l’ordre du culturel. Et je crois aussi que les femmes agissent beaucoup par passion. Pourquoi quitter le terrain si elles aiment ça? Même si elles peuvent se sentir frustrées par ailleurs…»

Un journalisme plus humaniste

Paule Beaugrand-Champagne ne nie pas pour autant qu’il puisse y avoir ici et là des poches de résistance. Mais elle a espoir que les problèmes se dénouent par la bande. Parce que plus il y aura de femmes aux postes de direction, plus celles-ci auront le reflexe de s’entourer d’autres femmes. Et comme les formations en journalisme sont aujourd’hui majoritairement fréquentées par des filles, et que les femmes sont plus nombreuses que les hommes parmi les jeunes journalistes… une situation avec laquelle la présidente du Conseil de presse est d’ailleurs très confortable. Parce qu’il y aurait selon elle, une manière particulière de faire du journalisme quand on est femme. Un regard différent, plus humaniste, moins technique, qui s’intéresse aux comportements plus qu’aux faits.

«J’ai bien conscience que je généralise et que ça peut paraitre très cliché, mais je crois quand même qu’il y a une vraie différence dans l’écriture, tout comme dans la gestion des équipes lorsqu’elles deviennent cadres. Si je prends mon exemple au Conseil de presse, je crois avoir un système de gouvernance plus collaboratif que mes prédécesseurs. Je suis à l’écoute des divers points de vue. Jusqu’au moment où il faut prendre une décision, et là, c’est moi la présidente.»

Si Mme Beaugrand-Champagne devait cependant faire un seul vœu pour que les femmes osent prendre plus de responsabilités au sein des salles de nouvelles, ce serait que les cadres de l’information aient le compliment un peu plus facile.

«On entend souvent «c’est un bon texte», rarement, «j’ai vraiment aimé ton texte», note-t-elle. Or, j’ai le sentiment que ce genre de bons mots pourraient faire toute la différence. Ils donneraient aux femmes la confiance qu’il leur manque pour assumer leur ambition.»

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