Quel avenir pour les médias hyperlocaux?

RueMasson.com vient de fêter ses cinq ans d’existence sur la toile. L’occasion pour ProjetJ de mettre un coup de projecteur sur ces médias hyperlocaux dont le nombre est en constante augmentation. Si leurs fondateurs revendiquent des standards journalistiques dignes des meilleures pratiques, force est de constater que dans la plupart des cas, le modèle d’affaires reste à trouver.

Par Hélène Roulot-Ganzmann @roulotganzmann

Sous la bannière «médias hyperlocaux», se cachent des réalités bien différentes et des situations économiques très diverses.

«Comme nous l’avions prévu, nous devrions atteindre l’équilibre d’ici la fin de l’année, assure Stéphane Desjardins, fondateur et éditeur de Pamplemousse.ca, média qui couvre le secteur de Mercier-est à Montréal. Nous sommes trois, tous rémunérés à la pige. Un éditeur, en l’occurrence moi, une journaliste et un responsable de mise en marché. Lorsque je me suis lancé il y a deux ans, mon journal se concentrait sur le Faubourg Contrecœur. Mais je me suis vite rendu compte que ça ne fonctionnait pas commercialement parlant. Alors, on a élargi.»

Du côté de RueMasson.com et de QuartierHochelaga.com, la réalité est toute autre. Plus de collaborateurs dans l’un comme dans l’autre… mais tous bénévoles.

«L’idée au départ était de donner plus de visibilité à plusieurs blogueurs qui écrivaient sur ce qui se passait dans le secteur, explique Anne-Marie Provost, rédactrice en chef de QuartierHochelaga. Depuis deux ans, nous sommes en coopérative de solidarité. Mais pour l’instant personne n’est rémunéré sauf lorsqu’il s’agit de publireportages. Si la Ville nous paie pour écrire sur la collecte des déchets, une partie de la somme revient au rédacteur. Nos finances ne nous permettent pas de faire plus pour l’instant.»

[Après discussion avec Jean-Pierre Godbout, l’un des cofondateurs du site et aujourd’hui président du conseil d’administration, il apparait que seules deux personnes avaient déjà un blogue au moment du lancement de QuartierHochelaga. Les autres protagonistes étaient des gens du quartier qui trouvaient qu’il était difficile d’obtenir de l’information tant sur ce qui se passait à la mairie d’arrondissement que sur les activités  culturelles et autres qui se déroulaient sur le territoire.]

Le média vient cependant de recevoir une subvention de 15000 dollars en provenance du fonds d’investissement en économie sociale (FIES). Il s’octroie également depuis peu les services d’une personne en externe, chargée de rapporter de la publicité.

«Que ferons-nous de cet argent?, questionne Mme Provost. Ça va se décider en conseil d’administration. Qui on rémunère en priorité? La rédactrice en chef? La personne qui s’occupe de toute la paperasse? Les collaborateurs? Quoi qu’il en soit, ça n’ira pas chercher bien loin.»

Tremplin pour jeunes journalistes

Après cinq ans d’existence, les cinq cofondateurs de RueMasson.com agissent eux-aussi toujours à titre de bénévoles. Cécile Gladel fait partie de ceux-là.

«Je ne veux pas compter mes heures parce que j’en pleurerais, s’amuse-t-elle tout en avançant tout de même consacrer une vingtaine d’heures par semaine dans ce projet qui ne lui rapporte rien, mais qui lui tient tant à cœur. N’étant pas des entrepreneurs, et trois d’entre nous étant journalistes, le temps que nous avions à consacrer à RueMasson, nous l’avons mis dans l’écriture des articles, pas dans la recherche d’un modèle d’affaires viable. Il faudrait qu’on se penche un peu plus là-dessus.»

Coopérative? OBNL? Plusieurs pistes s’offrent à eux. Ce qui leur permettrait d’aller chercher des subventions. Les seuls revenus aujourd’hui proviennent de la publicité et ils servent à payer la personne qui s’occupe d’aller la chercher. Et le comptable.

«Bref, on paye les professionnels qui font ce qu’on ne sait pas faire, résume Mme Gladel. C’est sûr qu’on aimerait bien pouvoir rémunérer nos collaborateurs et nous aussi par la même occasion. En attendant, on se console en se disant que si nous ne les payons pas, notre site permet à de jeunes journalistes ou à des professionnels étrangers qui s’installent au Québec de commencer leur portfolio.»

Infos de service… et scoops

Ainsi, ces trois médias sont tous nés du même constat, le manque d’informations de service dont disposaient les résidents de ces quartiers, notamment les nouveaux venus, très nombreux dans ces secteurs.

Du coup, les articles les plus lus sont toujours ceux qui font référence à l’ouverture ou à la fermeture d’un commerce ou à une modification d’horaire. Ce qui ne signifie pas pour autant que ces médias se cantonnent seulement à ce type de nouvelles. On y retrouve également les compte-rendu des conseils d’arrondissements, ce qui se passe sur le plan culturel et des faits-divers.

«Les campagnes électorales sont aussi très populaires, ajoute Cécile Gladel. Le mouvement des casseroles au printemps 2012 a été particulièrement suivi sur notre site.»

«Nous relayons également les informations d’ordre national qui peuvent avoir une incidence sur notre quartier, explique Stéphane Desjardins. En deux ans d’existence, nous avons publié environ neuf cents articles. Là-dessus, nous avons une vingtaine de dossiers que l’on suit régulièrement. Et également une dizaine d’enquêtes à notre actif. Notre plus beau coup, c’est le scoop que nous avons eu sur l’ouverture d’un centre communautaire par l’imam Hamza Chaoui dans Mercier-est en janvier. La nouvelle a été vue par plus de 2,2 millions d’abonnés Twitter dans le monde entier.»

Concurrents de TC Média

Avec moins d’impact certes, mais RueMasson.com a également démarré il y a cinq ans avec un scoop, à savoir le déménagement d’une succursale de la SAQ sur leur territoire. Quant à QuartierHochelaga, même si l’équipe n’a ni les moyens, ni le temps d’en faire beaucoup, elle essaye aussi de fouiller des dossiers. Une enquête sur la prostitution est actuellement en cours.

«On essaye de se démarquer de ce que fait TC Média, explique Anne-Marie Provost. En couvrant notamment ce qui se passe en dehors des points presse. C’est fonction de l’intérêt de nos collaborateurs et du temps qu’ils ont à y mettre.»

Car tous ces médias sont en effet des concurrents directs des hebdomadaires de TC Média.

«Concurrent et complémentaire, nuance Cécile Gladel. C’est vrai qu’on doit se partager le gâteau publicitaire sur un territoire qui n’est pas très grand. Mais lorsque le Journal de Rosemont sort une nouvelle avant nous, je la partage sur les réseaux sociaux. Et si je n’ai rien à y ajouter, pas d’angle original, je ne fais rien d’autre dessus.»

Stéphane Desjardins est plus sévère.

«TC s’est complètement désinvesti en matière de qualité d’information, affirme-t-il. Et puis, les gens ne veulent plus attendre leur journal papier toutes les semaines. Si Pamplemousse fonctionne aussi bien, c’est que la population vit une désaffection vis-à-vis de l’hebdo de quartier. Notre proposition est plus intéressante pour le public. Et sur le web, nous sommes plus rapides et plus dynamiques. Bref, plus pertinents.»

Hauts standards journalistiques

Qu’ils rémunèrent ou non leurs collaborateurs, les trois hyperlocaux revendiquent des pratiques journalistiques dignes des plus grands standards. Avec notamment un mur de Chine monté entre la publicité et la rédaction. Pamplemousse refuse par principe tout ce qui ressemble de près ou de loin à du publireportage. QuartierHochelaga en prend, mais identifie clairement ce contenu. Quant à RueMasson, ses fondateurs passent beaucoup de temps à éduquer les commerçants.

«Ils ont du mal à comprendre ce qu’est un média, estime Cécile Gladel. Ils pensent que parce qu’ils achètent un espace chez nous, on va parler d’eux. Et en bien! C’est assez vrai de tous les gens qui achètent de la publicité en général… mais vu que notre territoire est petit, c’est plus problématique. Ce sont des gens que l’on rencontre tous les jours dans la rue.»

Depuis quelques mois, RueMasson est également devenu un magazine papier gratuit dont le troisième numéro sort d’ailleurs dans quelques jours. C’est arrivé comme ça. Parce que les gens de Factorie, l’agence, eux- aussi situés à Rosemont, ont proposé de prendre toute la conception en charge.

Un développement qui n’est pas envisagé du côté des deux autres médias.

«Ce serait une distraction, estime M. Desjardins. Nos coups d’exploitation exploseraient et je ne crois pas que ce soit un besoin.»

Au lieu de cela, Pamplemousse mise sur l’expansion géographique. L’éditeur lancera ainsi plusieurs autres médias sur d’autres secteurs de Montréal. Et ce, dès le mois prochain, affirme-t-il.

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