Femmes journalistes: Des progrès mais pas l’équité

Dans le cadre de l’Université féministe 2015, l’Université Laval organisait il y a quelques jours un colloque sur les femmes et les médias. L’occasion pour toutes les panélistes de rappeler que si les femmes journalistes ne sont plus une curiosité et qu’elles occupent même aujourd’hui des places enviables dans la profession, le défi de l’équité n’est pas encore gagné. Compte-rendu.

Par Elsa Iskander, journaliste (collaboration spéciale)

En 1967, Gisèle Gallichan devient la première femme journaliste de presse électronique à devenir membre de la Tribune de la presse au Parlement de Québec.

«On nous considérait, Lisa [Balfour de Southam News, ndlr] et moi, comme des curiosités», relate-t-elle, devant une audience composée en grande majorité de femmes.

Or, si aujourd’hui, on ne peut plus qualifier de curiosité une femme correspondante parlementaire, il n’en demeure pas moins qu’il reste du chemin à parcourir. Place des femmes dans les médias, conciliation travail-famille, traitement de sujets dits féminins: les problématiques ne manquent pas.

En fait, cette «iniquité» dont Gisèle Gallichan s’est dite «témoin» et «victime» au cours de sa longue carrière, entre autres sur le plan salarial, n’est pas chose tout à fait du passé, selon Carole Graveline, animatrice du panel. L’actuelle directrice des relations médias à l’Université McGill constate qu’aujourd’hui, «il y a énormément de femmes dans les médias». Et «les conditions ont changé, mais pas tant que ça», d’ajouter l’ex-journaliste de Radio-Canada. Si les femmes journalistes sont présentes en plus grand nombre, il reste encore beaucoup «de défis et il y a des choses qui restent très difficiles, notamment au niveau de l’équité».

L’argument économique

Avoir une plus grande présence féminine au sein des médias, est-ce «good for business»? interroge Carole Graveline. «Absolument», tranche Marie-Claude Lortie. La chroniqueuse de la Presse plaide en faveur d’une plus grande diversité.

«Contrairement à ce que les gens pensent, quand on parle de féminisme, on ne pense pas qu’on a des meilleures idées, des meilleures solutions ou qu’on sait comment faire du journalisme mieux que d’autres». Mais, «quand il y a moins de diversité, il y a moins de richesse».

En faveur d’une représentation égale des sexes dans les institutions, Mme Lortie estime que «c’est une diversité qui est essentielle dans les journaux pour aller chercher des lecteurs, pour intéresser tout le monde». Et, «pour les patrons de presse, le fait d’avoir de la diversité dans la salle de rédaction – de la diversité à tous les niveaux, incluant à la direction – c’est d’abord et avant tout, selon moi, une question humaniste fondamentale, mais c’est aussi une question économique». En effet, «si on veut pouvoir aller chercher des lectrices et leur vendre de la pub (…), c’est fondamental», selon elle.

Où sont les patronnes?

Marie-Claude Lortie est arrivée à la Presse il y a une trentaine d’années. Elle raconte qu’il n’y «avait pas beaucoup de femmes dans le journal» à l’époque et qu’il n’y avait «pas de femmes patronnes». Depuis, «les choses ont quand même un petit peu évolué», avec par exemple l’arrivée de femmes chefs de division. Aux échelons supérieurs, le manque de femmes n’est cependant pas chose du passé, même si la gent féminine est aujourd’hui plus présente.

Laissant entendre qu’un remplaçant est recherché pour André Pratte, qui deviendrait «éditorialiste émérite», Mme Lortie rapporte la réaction de ses collègues femmes lorsqu’elle leur a demandé si elles étaient intéressées par le poste.

Réponse obtenue: «Ben voyons donc!»

«C’est hal-lu-ci-nant!», lance-t-elle.

«Pourquoi les femmes ne se visualisent pas dans cette job d’entrée de jeu?», questionne-t-elle, découragée par cette réaction.

Son conseil pour recruter des femmes: insister auprès des candidates potentielles. Mais encore, pour qu’une femme soit nommée à un tel poste, il «va falloir qu’elle ait le CV parfait», fait-elle remarquer.

«Les gars, ils savent ce qu’ils pensent qu’ils valent. Capable pas capable, j’y vais!», soutient Gisèle Gallichan. Les femmes doutent davantage. Et «c’est peut-être pour ça que ça ne grimpe pas dans l’échelle», regrette-t-elle.

Selon Carole Graveline, les femmes ne préparent pas assez le terrain afin de grimper les échelons dans le futur. Les hommes qui ont progressé «avaient déjà leurs appuis préalables. Et les femmes ne font pas nécessairement ce networking», note-t-elle. Il faut avoir des «réseaux de solidarité» et un «côté stratégique», dit l’ancienne journaliste.

Conciliation travail-famille

Par ailleurs, à l’ère du multiplateforme, la conciliation travail-famille est source de préoccupation. Une question est soulevée à cet égard dans l’audience.

«Le multitâche dans les médias électroniques pour le moment, c’est faramineux», observe Carole Graveline. C’est aussi une contrainte pour les hommes, ajoute-t-elle. «Il y a beaucoup de jeunes femmes qui s’engagent encore dans le journalisme. Alors est-ce qu’elles vont réussir à concilier?» La question demeure en suspens. «C’est un enjeu extrêmement important en ce moment dans le milieu journalistique. Pour les jeunes journalistes, c’est acrobatique», signale Gisèle Gallichan.

Pour sa part, Marie-Claude Lortie croit que les nouvelles technologies et les possibilités qu’elles offrent, comme le télétravail, facilitent la conciliation travail-famille. Les trois éléments de la recette sont «un excellent chum, une excellente gardienne et un excellent téléphone cellulaire». Ou une «excellente connexion internet», lance-t-elle à la blague. «Dans les salles de rédaction on le voit: quand les femmes commencent à avoir des enfants, on les voit se déplacer du secteur des nouvelles au lifestyle».

Les sujets dits féminins

Toutefois, «lifestyle» ne signifie pas nécessairement sujets «légers» et «sans profondeur», ajoute la chroniqueuse qui, par ses écrits, vise à donner un traitement sérieux à des sujets «dits féminins, légers, fluff».

Par exemple, «savez-vous que les vêtements, la mode c’est la deuxième industrie la plus polluante au monde, en deuxième place derrière le pétrole?» illustre la panéliste.

Sophie Bissonnette, réalisatrice et scénariste, qui faisait également partie du panel, soulève de son côté la crainte d’une de ses pairs d’être classée «film de femmes», ce qui pourrait signifier «la mort commerciale» de l’œuvre.

«Il y a encore énormément cette crainte», se désole-t-elle. Mme Bissonnette aborde notamment la sous-représentation des femmes dans l’industrie cinématographique, malgré leur présence importante dans les programmes de formation.

La couverture médiatique des femmes d’affaires

Dans un autre ordre d’idées, Annie Cornet, professeure à HEC-École de gestion de l’Université de Liège, s’est penchée sur la visibilité des femmes dans la presse d’affaires en Belgique francophone. Dans une étude datant de 2013, elle observe que la représentation des femmes dans la presse d’affaires est passée de 15 % en 2006 à 13 % six ans plus tard.

«L’entrepreneuriat féminin en Belgique représente 34% de l’entrepreneuriat. Pourtant, notre étude de 2006 avait mis en évidence qu’elles étaient clairement sous-représentées (15%) dans la presse d’affaires francophone», peut-on lire.

L’étude de 2013 note que «les femmes journalistes écrivent plus d’articles consacrés aux femmes que leurs homologues masculins (17% contre 10%)». En effet, les femmes journalistes «parlent un peu plus des femmes entrepreneures», mais «pas énormément», indique Mme Cornet à ProjetJ. «J’ai tendance à penser que pour qu’une femme apparaisse dans la presse, il faut qu’elle soit exceptionnelle.»

La professeure, qui était conférencière à l’Université féministe d’été 2015 à Québec et qui a assisté au panel sur les femmes et les médias, considère que la sous-représentation des femmes entrepreneures dans la presse d’affaires n’est «pas seulement une question de sexisme». D’autres facteurs entrent en jeu, comme la réticence des femmes à apparaître dans les journaux ou, pour elles aussi… le réseautage.

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