Salle de nouvelles numérique: être sous les yeux de tous

ProjetJ reprend sa série sur l’organisation spatiale des salles de nouvelles à l’heure de la numérisation. Mais avant de poursuivre sa petite visite des rédactions montréalaises, arrêtons-nous sur une communication donnée à l’Uqàm par Florence Le Cam, chargée de cours à l’Université libre de Bruxelles et qui décrit l’organisation de deux salles de nouvelles de médias en ligne parisiens, à savoir lefigaro.fr et slate.fr.

Par Hélène Roulot-Ganzmann @roulotganzmann

D’un côté slate.fr, média pure player, récent, de tradition plutôt magazine, et qui compte sept journalistes à temps plein et à contrat, et une quarantaine de pigistes qui ne viennent dans la salle de nouvelles qu’à l’occasion des grandes conférences de rédaction hebdomadaires.

De l’autre, lefigaro.fr, média en ligne du quotidien éponyme, dont l’identité est clairement orientée vers la production d’informations en continu, publiées le plus rapidement possible. Quarante journalistes œuvrent à cette tâche en interne, et le site peut également compter sur le contenu du journal papier.

Leurs points communs en matière de ressources humaines et d’organisation? Pratiquement tout. L’âge moyen des journalistes autour de 25 ans, relativement bas donc. Ces derniers voyant dans les médias en ligne un moyen de se faire la main et de monter ensuite dans la hiérarchie, les patrons trouvant là une main d’œuvre bon marché et biberonnée aux nouvelles technologies. L’âge moyen des cadres, autour de 45 ans, est également le même des deux côtés. Et on retrouve dans les deux salles de nouvelles, la même structure pyramidale, journaliste, hiérarchie intermédiaire et cadres supérieurs.

«Les cadres hiérarchiques développent des stratégies de direction des ressources humaines similaires, écrit Florence Le Cam. Ils embauchent des journalistes très jeunes, offrent un tremplin pour des premières expériences de travail, proposent aux journalistes des postes relativement fixes — des contrats à durée indéterminée — et les moyens d’obtenir la carte de presse. Seules trois ou quatre années suffisent aux jeunes journalistes pour être déjà considérés parmi les anciens de la rédaction et obtenir un poste plus élevé hiérarchiquement. C’est ainsi qu’une catégorie intermédiaire entre les journalistes et les rédactions en chef a eu tendance à émerger: le poste d’éditeur ou de chef d’édition, qui, par analogie, est un secrétaire de rédaction, éditant tout au long de la journée les productions des journalistes et orientant fortement les choix dans la hiérarchisation de l’information.»

Une hiérarchie non contestée

Autre point commun, cette fois-ci réellement spatial, les bureaux à aire ouverte, qui permettent une meilleure circulation et un meilleur partage de la nouvelle. Les journalistes sont regroupés sur des ilots, généralement en fonction de leur secteur d’activité. Les informaticiens, infographistes, vidéastes gravitent autour, de manière à ce que chacun soit bien conscient du rôle de l’autre et que le travail se fasse en communauté. Le ou les cadres supérieurs disposent de leur propre bureau, vitré, alors que la hiérarchie intermédiaire s’accommode d’un poste dans l’open space à proximité des journalistes qu’elle chapeaute. Les deux plateaux disposent également d’une salle de conférence fermée pour les grandes réunions, mais la plupart des rassemblements ont lieu au sein même de l’aire ouverte, les journalistes restant à leur bureau et les rédacteurs en chef se postant au centre, à un endroit stratégique.

FigSlate

Mme Le Cam fait remarquer que les places sont attitrées par fonction. En fait, très peu de journalistes n’ont de bureau personnel, personnalisable. Ils changent de place en fonction des espaces disponibles, tout en restant sur le «territoire physique attitré à leur statut». Aucun journaliste me va s’asseoir et travailler sur la chaise d’un chef d’édition. L’inverse n’a pas non plus été observé. Bref, la hiérarchisation est bien intégrée, non contestée.

«Regarder les emplacements et les déplacements des journalistes vis-à-vis des postes de travail rend plus évidente la façon dont se pensent les relations sociales au sein de l’entreprise, estime-t-elle. Cela renseigne aussi sur les formes d’intériorisation des places dévolues à chacun. Connaître son espace, l’intérioriser comme un territoire est aussi la marque du processus de socialisation, qui permet au journaliste en ligne de s’imprégner des pratiques antérieures, des places et des rôles symboliques de chacun, de comprendre certaines modalités de fonctionnement (notamment hiérarchiques), voire d’aspirer au changement de place qui impliquerait de fait une progression éventuelle de carrière.»

Convergence des métiers

Certes donc , cette organisation de l’espace permet effectivement une meilleure circulation de l’information et à chacun «de se tenir au courant de l’avancée des projets, de l’attitude et des remarques faites aux autres».

«Mais être dans la salle de rédaction est du même coup un moyen d’être sous les yeux de tous, poursuit Florence Le Cam. La visibilité des écrans, puisque les espaces de circulation donnent à voir ce que le journaliste est en train de faire, ou l’apparence d’activités constantes des collègues (qui amène aussi parfois, à feindre l’activité lors de périodes creuses dans la journée), sont aussi des traces de l’organisation spatiale qui encadrent la socialisation. Les dispositions matérielles des salles de rédaction, en espace ouvert, relativement mobile, semblent une façon d’adapter l’environnement de travail à une forme collaborative, voire collégiale, par management de projets comme dans d’autres lieux de travail, tels que les start-up ou dans des agences de création d’événements scientifiques, par exemple.»

La convergence des métiers, puisque si ces médias en ligne disposent souvent d’un animateur de communauté, il est demandé à tous les journalistes de partager leurs écrits sur les médias sociaux. Parce que s’ils ont également souvent un vidéaste, les journalistes sont de plus en plus formés à tourner des images. Parce que si une personne s’occupe de faire en sorte que les articles soient en permanence bien placés sous Google, c’est le rôle de tout le monde de trouver un titre qui permette un bon référencement. La convergence des métiers donc, appelle à la non-séparation des métiers afin que tous apprennent de l’autre.

Mais il ne faut pas non plus négliger, selon la chargée de cours, que cette organisation du travail révèle également une sédentarisation de plus en plus grande des journalistes, alors que jusque-là, c’est le travail hors les murs qui prévalait.

«Les observations des journalistes en ligne montrent une sédentarisation importante du travail qui confère à l’espace physique de la rédaction une importance capitale dans la construction des représentations du travail des journalistes», conclut-elle.

Pour lire toute la communication de Florence Le Cam, c’est ici (pp106-115).

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