Un livre pour sauver le journalisme

Sous la direction de Pierre Cayouette et Robert Maltais, les éditions Québec-Amérique publie aujourd’hui un ouvrage intitulé Les journalistes – Pour la survie du journalisme. Un ouvrage collectif dans lequel une vingtaine d’(ex)-journalistes et autres professeurs de communication de plusieurs générations établissent un état des lieu de la profession qu’ils embrassent et tentent quelques pistes de solution pour la sortir de son marasme. Un portrait souvent sombre, mais parfois optimiste.

Par Hélène Roulot-Ganzmann @roulotganzmann

LesjournalistesY a-t-il réellement péril en la demeure, se questionne donc la vingtaine de journalistes ayant répondu à l’appel de Pierre Cayouette, ex-journaliste longtemps rattaché au Devoir et à l’Actualité, aujourd’hui conseiller littéraire et éditeur aux éditions Québec-Amérique.

«Nous entendions transcender une certaine critique superficielle des médias, écrit-il en avant-propos. Critique qui participe malgré elle au tintamarre ambiant qu’elle dénonce. Les grands accès d’auto-flagellation et les analyses instantanées qui suivent inévitablement les dérapages médiatiques ou les fermetures d’entreprises de presse font souvent long feu. Et nous reprenons nos vieilles habitudes, englués dans le quotidien et dans ce présent dont nous sommes les historiens.»

Péril, certainement, répondent-ils donc presque tous en chœur.

«Nul ne peut nier que la révolution numérique a passablement changé la donne en secouant les colonnes du temple médiatique, entraînant dans son sillage la disparition d’un grand nombre de médias, principalement des journaux et des magazines, et du même coup la perte de milliers d’emplois de journalistes sur toute la planète», écrit le codirecteur de l’ouvrage et responsable du programme de journalisme à l’Université de Montréal, Robert Maltais, précisant notamment qu’entre 2008 et 2015, le nombre de journalistes au New York Times est passé de 1300 à 800.

Nourrir la bête

Il faut donc aller plus vite, toujours plus vite, alimenter toujours et encore les médias sociaux, les sites internet, son média traditionnel qu’il soit papier ou électronique. Il faut faire plus avec moins tout en essayant de préserver le peu de crédibilité dont la profession jouit encore au sein de la société.

«Les médias sociaux et l’information continue posent un autre problème: le manque de temps, écrit Gilbert Lavoie, chroniqueur politique au journal le Soleil. Elle est bien terminée, cette époque où les journalistes œuvrant sur les collines parlementaires pouvaient consacrer des heures à leur bureau à travailler à des dossiers en attendant la période de questions et les conférences de presse au programme. Aujourd’hui, le journaliste n’attend plus l’événement: il doit le provoquer constamment afin de nourrir la bête.»

Une situation inéluctable propre à mener toute la profession droit dans le mur? Là encore, la réponse est unanimement négative. À condition d’arrêter de se mettre en compétition avec le journalisme citoyen qui opère sur les réseaux sociaux. Et tous y vont ensuite de leur propre solution.

Pour Marc Laurendeau, journaliste récemment retraité, le journalisme québécois aurait tout à gagner à se remettre à couvrir le monde. Selon lui, le journalisme international s’est appauvri ces dernières années. Oui, il y a encore des médias qui en font, mais trop peu de correspondants sur place, trop d’envoyés spéciaux qui s’en vont couvrir un conflit ou une catastrophe naturelle sans en connaitre le contexte profond. Trop de pigistes aux conditions de travail tellement précaires que non seulement ils sont obligés de prendre des risques inconsidérés, mais que l’on peut également se questionner sur leur totale indépendance. Trop surtout de recours à des chroniqueurs internationaux tout puissants, dont on boit les paroles sans les contredire, sans vérifier ce qu’ils avancent… jusqu’à ce que quelqu’un lève le voile sur la supercherie…

Ralentir

Lise Millette, actuelle présidente de la FPJQ, rappelle quant à elle qu’il n’y a pas de journalisme crédible sans indépendance. Indépendance vis-à-vis du pouvoir politique et économique. Indépendance et mur de Chine également entre la salle de nouvelles et les propriétaires du média.

D’autres défendent le journalisme d’enquête, le journalisme de données et la nécessité pour les futures générations de savoir un tant soit peu programmer pour aller fouiller dans les bases données et sortir ainsi des informations exclusives. D’autres encore pensent qu’à trop faire dans le catastrophisme, les journalistes se coupent de leur audience et qu’ils devraient plutôt se concentrer sur les solutions à apporter pour que nos sociétés aillent dans le bon sens.

Le point commun entre toutes ces pistes: le ralentissement. Oui, il faut prendre le train des nouvelles technologies, mais les utiliser pour ce qu’elles ont de meilleur à apporter. La nouvelle est aujourd’hui gratuite. Elle se retrouve sur toutes les plateformes. Tout un chacun peut l’y mettre. Ce n’est donc plus au journaliste de le faire. Lui doit prendre du recul. La mettre en contexte. La «découvrir» plutôt que la «couvrir». Ne pas avoir peur de passer des mois sur un même sujet sans même être certain que quelque-chose en sortira.

Revenir à l’essentiel

C’est ainsi que François Bonnet, cofondateur et directeur éditorial de Mediapart, explique que les différentes enquêtes exclusives qui ont fait la notoriété de ce média 100 % numérique et qui se targue de faire des bénéfices sans subvention, ni publicité, uniquement grâce à ses 112 000 abonnés payants, ont toutes pris plusieurs mois.

La journaliste indépendante et fondatrice de Ricochet Gabrielle Brassard-Lecours, elle-même adepte du slow journalism, révèle que ses lecteurs l’ont remerciée, elle et ses collègues, de n’être pas entrée trop vite dans la mêlée lors de l’attentat de Charlie Hebdo à Paris en janvier. D’avoir su prendre du recul.

Mme Brassard-Lecours fait partie de ces quelques journalistes de la nouvelle génération qui referment l’ouvrage. Avec elle, Thomas Gerbet, journaliste à Radio-Canada, qui lui, propose de «revenir à l’essentiel».

«De moins en moins de gens nous font confiance, écrit-t-il. Nous exerçons un des métiers les plus détestés. En cause, notamment: le mélange des genres. Combien de chroniqueurs, d’analystes, d’éditorialistes, de commentateurs pour un seul journaliste producteur de contenu? Afin de s’exprimer, les citoyens et les hommes politiques n’ont plus besoin des médias de masse: il existe de nombreux canaux sans filtre. Acceptons-le et laissons les opinions, les réactions et les commentaires au puits sans fond que constituent les médias sociaux. Tout en embrassant la multiplication des formats, revenons aux fondements du métier : l’information, l’enquête, le terrain, l’authentification…»

Quid du modèle d’affaires?

Quand à Philippe Teisceira-Lessard, journaliste à la Presse, il livre sans doute le plus beau plaidoyer de cet ouvrage. Une véritable déclaration d’amour à son métier.

«La fameuse «révolution médiatique» qui emballe (un peu) et effraie (beaucoup) les salles de presse partout sur la planète est une vue de l’esprit, ou presque, commence-t-il. Cessons d’évoquer un chambardement à la Gutenberg, faisons taire toutes les Cassandre. Les fouille-merdes resteront des fouillemerdes, à coups de linotype ou de pixels. Index tachés d’encre ou pouces usés par un écran tactile, même combat. L’industrie évolue à toute allure, certes, mais ses fondations restent solides et ses grandes institutions demeurent. Le journaliste de 1915 serait ébahi par les moyens techniques déployés cent ans plus tard par ses successeurs, mais s’apercevrait rapidement que le fond de l’affaire n’a pas tellement changé.»

Si le constat est donc généralement assez sombre, la multitude d’intervenants aux points de vue et aux constats parfois différents, ainsi que la pluralité des solutions que chacun propose pour sortir la profession de la crise, permettent à quelques reprises de voir poindre de la lumière au fond du tunnel.

Une chose est sure, le journaliste doit se recentrer sur les fondamentaux et ne jamais mettre sa rigueur professionnelle de côté.

Reste que la question du modèle d’affaires est très peu discutée. Tout juste évoque-t-on les expériences presqu’antinomiques que sont La Presse+ et Médiapart. Sans pour autant s’avancer à dire que l’une ou l’autre pourrait être reproduite à très grande échelle tout autour de la planète. Au point de pouvoir sauver l’industrie toute entière.

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Les-journalistes – Pour la survie du journalisme, sous la direction de Pierre Cayouette et Robert Maltais, éditions Québec – Amérique.

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