L’école doit-elle (aussi) éduquer aux médias?

L’éducation aux médias doit-il forcément être dans la cour de l’école? Et si oui, à qui revient cette responsabilité? Des questions auxquelles l’un des ateliers du colloque «Éduquer aux médias, une priorité collective», organisé par la Téluq et le Conseil de presse du Québec, a tenté de répondre. Compte-rendu.

Par Hélène Roulot-Ganzmann @roulotganzmann

CaptureSelon Lise Ouellet, responsable des programmes de français langue d’enseignement à l’époque de la promulgation de la réforme tant au primaire qu’au secondaire, l’éducation aux médias, si elle ne fait pas partie des disciplines évaluées, n’en demeure pas moins une matière transversale dont il est largement question dans le programme, et que tout élève, à un moment ou à un autre de sa scolarité, et sous quelle que forme que ce soit, devrait pouvoir appréhender.

«C’est un priorité, c’est très clair dans le programme, affirme-t-elle. Il faudrait simplement que les enseignants adhèrent à ce programme et acceptent de parfaire leurs connaissances en la matière.»

Selon elle en effet, plusieurs disciplines permettent une approche de l’univers médiatique. En français par exemple, puisque les objectifs à atteindre sont notamment de «développer la capacité de se donner des critères pour évaluer», «d’écrire des textes variés» ou encore de «communiquer oralement selon des modalités variées». Les compétences transversales comme «exercer son jugement critique», «utiliser les technologies du l’information et de la communication» ou encore «exploiter l’information» devraient également, selon elle, donner l’occasion aux enseignants de former leurs élèves à la compréhension de l’univers médiatique.

«Or, ne soyons pas angélique, je le sais bien que ça n’a pas été appliqué, note-t-elle. Ça n’a pas vu le jour. On nous a dit que c’était trop complexe. Je pense surtout qu’il y a eu un manque d’adhésion à la réforme, à notre modèle d’intégration des éléments, de fonctionnement par compétences, par savoir-agir, plutôt que de juxtaposition des connaissances.»

Dans la cour de l’école?

Une analyse que partage Sylvain Mallette, président de la Fédération autonome des enseignants (FAE). Sur le rejet de la réforme seulement, le syndicat ayant justement vu le jour pour lutter contre ce qu’il faut aujourd’hui appeler le «renouveau pédagogique» et qui selon lui, a transformé l’école en une antichambre du marché du travail. «Comme si le savoir ne se suffisait pas à lui-même, que pour qu’il soit intéressant, il fallait qu’il soit utile», note-t-il.

On l’aura compris, sur tout le reste ou presque, la FAE est en désaccord avec Mme Ouellet. Car le syndicat se questionne même sur la pertinence de faire entrer l’éducation aux médias à l’école.

«Une priorité collective, oui, c’est vrai, assume son président. Mais pourquoi lorsqu’il y a des noyades l’été, c’est à l’école publique d’apprendre aux enfants à nager? Lorsqu’il y a une augmentation des infections sexuellement transmissibles (IST), c’est à l’école publique de faire de l’éducation à la sexualité. Dès qu’il y a un nouvel enjeu dans la société, on demande à l’école d’agir. C’est sans fin car il y a de plus en plus d’urgences urgentes à combler. Et tout cela dans un contexte de restriction budgétaire dont pâtissent surtout les populations les plus précaires. Ça pose aussi la question de l’égalité des chances.»

M. Mallette achève en soulignant son désaccord profond avec l’affirmation de Lise Ouellet selon laquelle, le texte de la réforme est clair sur le fait que l’éducation aux médias doit être une priorité.

«Le programme n’est pas clair, estime-t-il. Depuis le temps, si les enseignants avaient eu à le comprendre, ils auraient déjà dû le comprendre.»

Initiatives intéressantes

Position du ministère, contre position syndicale, donc. Mais sur le terrain, que se passe-t-il? Rien, dans la plupart des établissements. Car faute de temps, comme c’est dans la cour de tout le monde, c’est dans la cour de personne.

Rien, sauf quand des enseignants très très motivés décident de s’emparer du sujet. C’est le cas de Karine Viens et Ludovick Saint-Laurent, aujourd’hui respectivement enseignante et directeur adjoint d’une école secondaire, mais qui pendant plusieurs années ont mis sur pied un programme «art et communication» qui les a menés à faire de l’éducation aux médias.

«L’idée, c’était que les élèves fabriquent eux-mêmes du matériel médiatique, explique la jeune femme. Mais en faisant eux-mêmes, ils sont devenus critiques. Ils avaient par exemple à réaliser une publicité. Un groupe en a fait une sur une crème magique qui fait disparaitre les boutons… ils se sont demandés comment faire disparaitre les boutons à l’écran. Ils ont trouvé une technique et ont compris par le fait même que les marques utilisaient le même stratagème. Je voulais utiliser les technologies pour permettre à mes élèves de développer leurs compétences, pour parfaire leur français aussi. Mais l’aspect réflexif, critique, s’est imposé à nous.

M. Saint-Laurent admet quant à lui que cela prend une grande motivation et la volonté de faire des choix.

«Ça implique une gestion de classe inhabituelle, explique-t-il, car on avait parfois quatorze projets en même temps – publicité, journalisme, bande dessinée, affiche, cartes d’affaires, etc. – en fonction de la demande de la communauté. Surtout, si on crée ce nouveau cours, ça implique qu’on en enlève une autre. Ça implique donc parfois qu’un autre enseignant se retrouve avec plus d’élèves, donc plus de copies. Ça coute cher également de s’équiper. Il faut des ordinateurs, des caméras, des logiciels. J’avoue que certaines fois, nous avons dû tricher au niveau des frais chargés aux parents. Bref, ça demande un très grand investissement et d’être soutenus.»

D’autant qu’il n’existe aucune formation en la matière pour les enseignants qui aimeraient se diriger dans cette voie. Pour l’instant seulement, espéraient de nombreux participants et organisateurs du colloque.

Cet article vous a intéressé? Faites-un don à ProjetJ.

À voir aussi:

«Contextualisée, la nouvelle devient souvent plus plate»

Pas de démocratie sans éducation aux médias

Les Autochtones, ces oubliés des médias

Les élections, un terrain de jeu exceptionnel pour les étudiants

«Foglia nous dévoile tels que nous préférerions ne pas nous voir»

Bernard Descôteaux: «mon successeur devra agir vite»

You may also like...