Fact-checking : quand briser l’intox devient un travail journalistique

Six mois après l’affaire Bugingo, le congrès de la FPJQ a été l’occasion de faire le point sur le fact-checking. Ou comment, dans l’océan de nouvelles qui affluent sur les réseaux sociaux à chaque instant, démêler le vrai du faux. Compte-rendu.

Par Hélène Roulot-Ganzmann @roulotganzmann

Le colloque démarre avec Isabelle Hachey, journaliste à La Presse, celle par qui le scandale Bugingo a été révélé un peu plus tôt cette année. Elle explique comment elle en est arrivée à enquêter sur un confrère jusque-là omniprésent dans les médias, celui que nombre de médias allaient chercher quand il fallait expliquer ce qui se passait à l’autre bout du monde. Celui à qui il était justement toujours arrivé des histoires extraordinaires en lien avec l’actualité.

«Tous les gens qui couvrent l’information internationale avaient des doutes, explique-t-elle. Mais le fact-checking, c’est beaucoup une question de temps. On est pris par plein d’autres choses. Un soir, je me suis assise chez moi et j’ai commencé à lire toutes ses chroniques du Journal de Montréal les unes après les autres. Je me suis dit que ça n’avait pas de bon sens. Tout ce qu’il racontait était invraisemblable. J’ai trouvé que ça n’était pas juste. C’était un journaliste qui travaillait beaucoup, qui avait de nombreuses tribunes. C’était vraiment d’intérêt public que de faire quelque-chose à son sujet.»

Ce qui la fait le plus sursauter, c’est d’une part sa capacité à se déplacer très rapidement d’un lieu à un autre sur des terrains souvent difficiles d’accès et où les formalités d’entrée et de sortie peuvent prendre du temps. D’autre part, toutes les sources qu’il avait supposément un peu partout. Le colonel ukrainien lorsque la crise en Ukraine survient, un général égyptien, des gens de la CIA, du KGB, etc.

«Ce n’était pas possible d’avoir autant de sources haut placées partout dans le monde, analyse-t-elle. Il avait toujours un ami qui avait tout vu mais ils ne les nommaient que rarement. Le problème, c’est que ça n’était pas facile à retracer.»

Un cas qu’elle définit cependant comme extraordinaire. Selon elle, la grande majorité des journalistes sont honnêtes mais n’ont pas forcément le temps de tout vérifier. Elle rappelle que chaque jour, La Presse publie l’équivalent d’un roman de sept cent pages…

«C’est malheureux, mais c’est certain que c’est impossible de tout vérifier, conclut-elle. Tous les jours, il y a des erreurs qui se glissent.»

Briser l’intox

Jeff Yates est journaliste au journal Métro et créateur du blogue l’inspecteur viral, une plateforme de démystification des fausses nouvelles sur le web. Pour commencer, il affirme que les médias québécois font «pas mal mieux» que leurs homologues états-uniens ou britanniques en matière de vérification de l’information. Mais selon lui, les fausses informations se propagent plus rapidement aujourd’hui, via les réseaux sociaux.

«Notre premier filtre, ce sont nos contacts Facebook, explique-t-il. Vous qui êtes dans la salle, vous êtes pas mal tous journalistes et vous devez avoir pas mal de journalistes dans vos contacts sur les réseaux sociaux. Ce qui donne que vous devez avoir relativement peu de fausses informations qui vous arrivent. Mais dans d’autres sphères, qui ne sont pas passées par de l’éducation aux médias, c’est autre chose. C’est pourquoi, il est de notre devoir de vérifier les nouvelles qui font le buzz.»

Capture

Il raconte une expérience réalisée par son journal en février dernier. L’article était titré «Une étude démontre que boire 4 verres de vin par jour aide à maigrir». Il suffisait de cliquer dessus pour arriver sur un encart expliquant que ceci était totalement faux… mais la plupart des gens n’ont lu que le titre et l’article a été partagé à l’infini, générant toutes sortes de commentaires de satisfaction.

«Beaucoup de gens se sont fait piéger, raconte-t-il. Les réseaux sociaux créent un environnement propice à la propagation des fausses nouvelles. Le problème, c’est que des gens en tirent avantage pour générer des revenus ou faire changer l’opinion publique. C’est ce qui se passe notamment avec la crise des réfugiés syriens. C’est là que ça devient d’intérêt public d’aller briser l’intox.»

Des outils de vérification

De plus en plus de journaux se dotent d’un service de fact checking. Il y a l’inspecteur viral chez Métro, il y a les décodeurs, blogue animé par des journalistes du quotidien Le Monde en France. Il y en a bien d’autres aujourd’hui.

«Il y a tellement de raisons de se faire avoir, confirme Christian Duperron, chef des nouvelles au Huffington Post Québec. Même les marques s’y mettent! Elles envoient aux journalistes de fausses nouvelles juste pour faire parler d’elles au moment de sortir un nouveau produit. C’est arrivé avec la marque de serviettes sanitaires, Nana, en France. Il y a des artistes qui orchestrent des histoires complètement fausses pour faire leur promotion. Les youtubers réalisent des mises en scène pour faire du clic et de l’argent. Il y a aussi tous les sites parodiques comme le Navet ici ou le Gorafi en France. C’est une source de nouvelles vraiment trompeuse. La liste pourrait être longue. Et il est souvent d’intérêt public de déjouer cela parce que dans certains cas, il y a de l’argent public en jeu. Il arrive que la police doive se mettre sur le coup notamment.»

Bonne nouvelle cependant, il y a beaucoup d’éléments qui permettent de vérifier si une information est vraie. Google est le premier ami des journalistes en la matière. Le moteur de recherche permet de savoir d’où provient la nouvelle, qui en a parlé en premier, qui en est la source. Google reverse image search permet également de vérifier si une photo présentée comme ayant été prise à tel endroit à tel moment, ne circule pas en réalité depuis un certain temps, parfois plusieurs années. Si elle n’a pas été retouchée, si la date correspond, quel en est l’auteur et donc, s’il est possible qu’il ait été à l’endroit indiqué au moment de la prise de vue.

Demeurer honnête avec le public

«La lecture des commentaires est également très intéressante, insiste M. Duperron. Il y a des gens qui ont une réflexion très pertinente sur la véracité ou non d’une information. Il suffit parfois de vérifier les doutes qu’ils émettent pour authentifier ou non une nouvelle. Les données exif sont des données incorporées aux fichiers images et qui permettent de procéder également à quelques vérifications. La géolocalisation donne aussi quelques éléments de réponses. On peut également vérifier la météo.»

Malgré tous ces outils, tous s’accordent à dire qu’on ne peut pas toujours vérifier si une information est vraie ou fausse. Alors que faire, dès lors quelle devient virale?

«Ça dépend des médias, répond le chef des nouvelles au HP Québec. On peut en parler parce que c’est un phénomène social, tout en précisant qu’on n’est pas certain de sa véracité. En fait, ça dépend des médias. C’est sûr que chez nous au Huffington Post, notre public s’attend à ce que nous parlions d’un événement viral. Ce n’est pas le cas pour tous les médias. C’est donc à chacun de jauger, tout en demeurant très honnête avec le public.»

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