2015 : Paris, sous les projecteurs des médias

Jour après jour, Influence Communication surveille et analyse le contenu des médias d’ici et d’ailleurs. Et comme chaque fin d’année, le firme publie un État de la nouvelle, sorte de bilan de l’année médiatique. Quels sont les sujets qui ont le plus intéressés les journalistes en 2015? La réponse en quelques chiffres.

Par Hélène Roulot-Ganzmann @roulotganzmann

CaptureAvec près de 38 % de poids média dans la semaine qui suivit, les attentats du 13 novembre dernier à Paris, revendiqués par l’organisation État islamique, sont sans conteste la nouvelle qui a le plus fait parler d’elle cette année dans les médias québécois. Depuis quinze ans, un seul événement avait réussi à faire mieux, c’était un certain 6 juillet 2013, alors qu’un train prenait feu en plein cœur de la petite ville de Lac Mégantic faisant quarante-sept victimes. On retrouve en troisième position, un autre événement tragique survenu début 2015 à Paris, à savoir l’attentat meurtrier dans les locaux de Charlie Hebdo en janvier.

La proximité des Québécois avec la France en général et Paris en particulier, explique cette première place cette année, analyse le président d’Influence Communication, Jean-François Dumas. Ces attentats ont ainsi généré quatre fois plus de couverture dans les médias québécois que dans le reste du Canada.

«La France est le pays qui génère le plus d’intérêt dans les médias québécois, davantage même que les États-Unis, souligne-t-il, précisant que le fait que les médias électroniques aient pu interviewer des francophones en direct, a contribué à l’ampleur de la médiatisation. Les attentats survenus le vendredi soir ont monopolisé 80 % de l’actualité durant le weekend. On parle d’éclipse médiatique quand une nouvelle dépasse 20 %. Là, on ne parlait presque de rien d’autre.»

Dans des proportions bien moindres, un autre événement lié à la situation en Syrie a marqué l’année médiatique, la crise des migrants, immortalisée par l’irruption le 3 septembre, d’une photo d’un jeune bambin échoué sur une plage en Turquie. Le petit Aylan.

«Après la publication de la photo, la couverture de la crise des migrants a quadruplé dans les médias canadiens, indique Francis Corbeil-Savage, analyste chez Influence Communication, révélant qu’au Québec, la nouvelle s’est classée quatrième durant la semaine du 8 septembre. C’est d’autant plus étonnant pour une nouvelle dans laquelle aucun Québécois n’était impliqué. Sans doute parce qu’en voyant l’image de ce petit corps intact et qui avait presque l’air de dormir, tout le monde pouvait faire un parallèle avec sa propre réalité, avec son fils, son neveu, son petit voisin…»

Le bogue décerné à François Bugingo

Malgré la multitude d’événements tragiques vécus un peu partout sur la planète et malgré le fait que les nouvelles les plus médiatisées se soient déroulées ailleurs dans le monde, l’actualité internationale reste l’un des parents pauvres de l’information au Québec. Après deux années de présence accrue, le poids média des nouvelles internationales a chuté de 24 % par rapport à l’an dernier. Si l’on regarde sur la durée cependant, les médias québécois ont accordé près de deux fois plus d’attention à ce qui se passe ailleurs que la moyenne des quinze dernières années.

Alors pourquoi cette chute en 2015? Influence Communication l’explique par la présence d’une campagne électorale et les bons résultats du Canadien de Montréal… mais aussi par la disparition des écrans radars de François Bugingo, qui à lui seul générait jusque-là 8 % de toutes les mentions des nouvelles internationales au Québec.

François Bugingo à qui la firme de veille médiatique décerne cette année son traditionnel «bogue de l’année». Pour elle, les révélations selon lesquelles l’ex-journaliste, analyste et commentateur réputé et omniprésent en matière d’actualité internationale ait inventé une bonne partie de ses reportages et ne se soit même parfois jamais rendu dans les pays qu’il disait couvrir, a causé des dommages allant bien au-delà de sa propre carrière : c’est la crédibilité des médias en général qui s’est retrouvée affectée.

«On a, dans les médias, valorisé les chroniques d’opinion et d’humeur portées par des vedettes au détriment de la nouvelle et de l’information pure, note M. Dumas. Tout cela alors qu’on coupe dans les salles de nouvelles. On a moins de journalistes expérimentés, qui sont moins encadrés par-dessus le marché. Ajoutez à cela une course continuelle à l’exclusivité et vous avez la recette parfaite pour ce genre de dérapages.»

Trudeau, Péladeau et la pipolisation

Les nouvelles internationales ayant donc pris moins de place dans les médias, la politique, à la fois provinciale et fédérale a vu son intérêt augmenter. 25 % de la couverture médiatique lui a été consacrée alors même que la moyenne sur les quinze dernières années plafonne à 19 %. Et pourtant, jamais une campagne électorale fédérale n’avait été aussi peu couverte. Il a en effet fallu attendre les deux dernières semaines avant le scrutin pour obtenir les mêmes chiffres qu’au cours des précédentes campagnes. Autre paradoxe de cette élection fédérale, pour la première fois, ce n’est pas le chef le plus médiatisé – en l’occurrence Stephen Harper – qui a remporté la victoire le 19 octobre dernier.

Une vie politique par ailleurs de plus en plus pipolisée, croit Influence Communication, qui évoque le fait que Justin Trudeau bénéficie dans les médias traditionnels, d’un traitement équivalent à celui des vedettes. Francis Corbeil-Savage, note que pour l’instant, les reportages font abondamment état de son physique et de son charisme en public. Que son sourire charmeur, sa chevelure flamboyante ou encore son tatouage sont autant de sujets qui font de lui, plus une star qu’un Premier ministre. L’analyste fait également remarquer que cette tendance à la pipolisation des hommes politiques a pris racine un peu plus tôt cette année avec Pierre Karl Péladeau, magnat des médias devenu chef du Parti Québécois, de surcroit en couple avec une autre personnalité médiatique et médiatisée, Julie Snyder.

Parmi les autres dossiers de cet État de la nouvelle 2015, il est à noter que contrairement à l’impression ambiante lorsque l’on ouvre un journal ou que l’on regarde un téléjournal, il n’y a pas si peu de bonnes nouvelles que ça dans les médias québécois. Influence Communication a en effet analysé la Presse et le Journal de Montréal sur une période de douze jours et résultat, 18 % des informations sont des bonnes nouvelles. Un chiffre qui monte même à 40 % dans les cahiers économie… et cela en pleine période de crise!

L’info régionale en voie de disparition

Enfin, on ne pouvait pas passer sous silence le sport, qui reste le sujet numéro un au Québec avec 16 % de poids média. Le Canadiens de Montréal domine toujours et encore cette section avec 71 % des nouvelles sportives. Mais c’est l’équipe montréalaise de soccer, l’Impact, qui fait la percée la plus remarquable avec quatre fois plus de mentions que l’an dernier. Cela grâce à une très belle saison, mais aussi et surtout à l’arrivée de la star internationale Didier Drogba en son sein.

La grande perdante de ce bilan demeure finalement et inéluctablement l’information régionale, qui année après année perd toujours un peu plus de place. Alors que celle-ci représentait 8 % de la couverture médiatique en 2001, le corpus de nouvelles portant sur les régions est passé cette année sous la barre des 1 %… Montréal et Québec monopolisant à elles seules plus de 75 % de cet espace réduit. Une réalité qui pousse Influence Communication à se demander si la l’information régionale ne serait pas tout simplement en voie de disparition.

Pour télécharger l’État de la nouvelle 2015, c’est ici.

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