Journalisme environnemental: RSF épingle Harper

Plus de trois mille journalistes du monde entier ont couvert la Cop-21 au début du mois à Paris. Des journalistes environnementaux pour la plupart qui ont plus l’habitude de travailler en terrain reculé que dans les salons du Bourget. Des journalistes habitués à batailler pour obtenir l’information et la sortir tant les pressions sont nombreuses pour les faire taire. C’est ce que révèle un récent rapport publié par Reporter sans frontières et intitulé Climat hostile contre les journalistes environnementaux. Un rapport qui n’est pas tendre avec le Canada et en particulier avec les pratiques de l’ex-administration Harper.

Par Hélène Roulot-Ganzmann @roulotganzmann

earth-683436_1280«Pour un journaliste, travailler sur les questions d’environnement, c’est prendre le risque de vivre en climat hostile et d’affronter des ouragans dévastateurs, écrit le président de RSF Christophe Deloitte pour introduire ce nouveau rapport sur le journalisme environnemental. Les tempêtes auxquelles on fait référence ici ne sont pas les manifestations directes des déséquilibres de la nature, ni les bourrasques, ni les averses, ni même l’éclair, il s’agit des pressions, des menaces, des violences quand ce ne sont pas des assassinats perpétrés contre les reporters trop curieux.»

Le rapport rappelle ainsi que depuis 2010, dix d’entre eux ont été assassinés. Au cours des cinq dernières années, la quasi-totalité des homicides de journalistes environnementaux (90%) se concentrent en Asie du Sud (Inde) et Asie du Sud-est (Cambodge, Philippines, Indonésie). En 2015, deux reporters indiens Jagendra Singh et Sandeep Kothari ont été tués, brûlés.

En raison de leurs enquêtes, certains ont été menacés, agressés, voire même emprisonnés. Au printemps 2015, au moins six journalistes péruviens se sont dit «harcelés et violentés». En Ouzbékistan, le freelance Solidjon Abdourakhmanov croupit derrière les barreaux depuis huit ans. Tous ont un point commun: avoir enquêté sur des sujets environnementaux sensibles, comme l’exploitation illégale de ressources naturelles, la déforestation ou la pollution.

Les Canadiens, dans l’obscurité

Sans aller jusque-là, les pressions sur les journalistes qui tentent d’expliquer les changements climatiques par la main de l’homme et de l’industrie sont partout, même en Occident, même au sein des plus grandes démocraties. Au Nord, comme au Sud, certains États n’hésitent pas à dégainer l’arme de la censure, dès lors que des sujets environnementaux engagent leur responsabilité.

De ce point de vue, RSF n’hésite pas à épingler l’ex-Premier ministre canadien Stephen Harper et son administration.

«En poste entre 2006 et 2015, le gouvernement du Premier ministre canadien, réputé pour être un ardent défenseur de l’exploitation des sables bitumineux, a complexifié les demandes d’accréditation pour les demandes d’interview auprès des chercheurs qui travaillent pour l’État, peut-on lire. Conséquence: la couverture médiatique sur un sujet aussi important que le changement climatique a chuté de 80 % au Canada, selon une étude réalisée en 2010. D’après cette enquête, quatre scientifiques de renom, régulièrement sollicités par les médias, ont répondu à 12 interviews en 2008, contre 99 en 2007. “Le travail des journalistes d’investigation est rendu impossible et frustrant”, fait savoir Tom Henheffer, directeur de la CJFE, qui dénonce le risque pour la société canadienne d’être “maintenue dans l’obscurité”.»

Le rapport révèle également que l’administration Harper a aussi exercé des pressions directement sur les journalistes de l’environnement en tentant de les discréditer. Le bureau de conservation des ressources énergétiques (Energy Resources Conservation Board) aurait ainsi tenté par tous les moyens d’empêcher la publication du livre du reporter Andrew Nikiforuk, les Sables bitumineux (Tar Sands), en 2010. L’organe étatique avait alors été missionné pour affirmer que l’ouvrage contenait plusieurs erreurs factuelles. L’auteur s’est défendu en publiant une lettre sur internet, justifiant toute son étude, tout en maintenant la publication de son livre, qui a été primé par la société américaine des journalistes de l’environnement.

Quand la police intimide

Mais au-delà de la censure étatique, les médias doivent aussi résister aux influences exercées par les différents acteurs de l’environnement, croient les auteurs du rapport. Notamment les industriels qui tentent de soudoyer la presse pour détourner le regard. À ce sujet, le Canada est une fois de plus montré du doigt. Ils rapportent en effet les propos du journaliste canadien Stephen Leahy, qui se souvient avoir été victime d’une tentative de corruption, en 2008, alors qu’il enquêtait sur une entreprise canadienne, qui était accusée d’avoir pollué l’eau alors qu’elle exploitait des mines d’argent au Mexique.

«Au cours d’un entretien téléphonique, j’ai interrogé un cadre de l’entreprise sur les accusations dont elle faisait l’objet, raconte-t-il. Il m’a immédiatement répondu quelque chose du genre: ‘combien ça va me coûter si je veux que tu écrives un bon article sur l’entreprise?’»

Au Nouveau-Brunswick, c’est la police qui est cette fois accusée d’avoir tenté de soudoyer la presse. En 2013, le reporter du site d’information en ligne Media Co-Op Mike Howe a en effet été arrêté à trois reprises lors de manifestations du mouvement citoyen qui s’oppose à la fracturation hydraulique et qu’il suit depuis plusieurs années, apprend-on. À chaque fois, aucune charge n’a été retenue contre lui. En revanche, il a révélé à la presse que “la police [lui avait] offert de l’argent pour lui donner des informations sur les manifestants”…

Si elle n’étonnera que peu de journalistes canadiens, la condamnation par RSF des années Harper en matière d’environnement a le mérite de porter sur la place publique un débat que les artisans de l’information n’ont de cesse de refaire depuis plusieurs années. L’avenir dira si l’administration Trudeau sera plus encline à permettre à ses fonctionnaires de parler aux médias. Peut-être qu’alors le Canada se fera un petit moins remarquer dans le prochain rapport de RSF…

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