2015, l’année de toutes les secousses

Alors que 2015 s’achève, voici ce que ProjetJ retient de cette année dans l’industrie des médias

Par Hélène Roulot-Ganzmann @roulotganzmann

L’affaire Desjardins

L’année se termine dans l’univers journalistique québécois avec une polémique qui n’a pas laissé grand monde indifférent. Où l’on apprend que David Desjardins, chroniqueur au Devoir, à l’Actualité et à Radio-Canada, plume que certains considèrent comme l’une des meilleures de la province, a créé une petite entreprise de contenu marketing, faute de revenus journalistiques suffisants pour boucler ses fins de mois.

Les réseaux sociaux s’enflamment. Avec d’un côté, ceux qui crient à la traitrise et ne voient pas comment il pourrait ne pas y avoir conflit d’intérêt, ou tout au moins apparence de conflit d’intérêt, lorsque l’on s’adonne au journalisme un jour et à la publicité le lendemain; de l’autre, ceux qui estiment que la vertu n’appartient pas au journalisme et que l’on peut très bien rester intègre tout en touchant au contenu marketing.

Quoi qu’il en soit, dès le lendemain, le Devoir annonce se séparer de Desjardins alors que la FPJQ lui retire sa carte de presse. Mais dans cette affaire, une chose aura cependant mis tout le monde d’accord, le fait qu’il faudrait peut-être penser un jour à revaloriser le tarif des piges afin que tout journaliste indépendant puisse vivre décemment de son travail.

Le scandale Bugingo

032b84e97c7c.KfGLfHUDmpQPlus tôt cette année, le printemps avait été marqué par un scandale plus retentissant encore, la sortie de piste de François Bugingo. Jusque-là omniprésent dans les médias dès lors qu’il s’agissait d’analyser l’actualité internationale, M. Bugingo a disparu des écrans radars après les révélations de la journaliste Isabelle Hachey dans les pages de la Presse. Après un mois d’enquête, elle publiait en effet un dossier révélant que le chroniqueur de TVA, du 98,5FM et du Journal de Montréal, agrémentait ses textes d’anecdotes sorties tout droit de son imagination. Mme Hachey avait contacté les soi-disant sources de M. Bugingo et retracé ses périples, en Afrique notamment, pour se rendre compte qu’il n’avait parfois tout simplement jamais mis les pieds dans les pays en question.

La FPJQ n’a cette fois pas eu besoin de radier M. Bugingo. Après avoir annoncé qu’il se retirait pour préparer sa défense, il a à demi avoué ses fautes sur sa page Facebook et renvoyé sa carte de presse à la fédé.

Le problème PKP

On en parlait depuis le printemps 2014, alors que Pierre Karl Péladeau, propriétaire de Québecor, empire qui détient 40 % environ des médias québécois, s’était lancé en politique auprès de Pauline Marois. L’ex-Première ministre défaite, PKP élu à l’Assemblée nationale, la polémique avait enflé. Et puis, il y a eu la course à la chefferie péquiste et la victoire du magnat de la presse. C’était au printemps 2015. Depuis, il a placé ses actions dans un mandat sans droit de regard.

Peut-on dès lors croire en l’indépendance des journalistes travaillant pour Québecor vis-à-vis de leur ex- et probablement futur patron? Voilà bien le sujet chaud du moment. Si beaucoup dans le milieu s’accordent à penser que PKP ne serait pas assez idiot pour dicter aux journalistes de Québecor quoi écrire en matière de politique provinciale, il est difficile de balayer d’un revers de main l’autocensure – consciente ou inconsciente – dont certains artisans pourraient être les victimes. Qu’il y ait par ailleurs réellement conflit d’intérêt ou non, l’apparence est elle même problématique puisqu’elle peut amener le public à se méfier. Bref, nombreux sont ceux qui pensent que la crédibilité des journalistes du groupe est en jeu.

Un sentiment qui a par ailleurs enflé lors du congrès de la FPJQ en novembre, alors que le président du syndicat du Journal de Québec a clairement exprimé que lui et ses collègues préféraient «avoir une job plutôt qu’être 100 % libres toujours et en tout temps».

La semaine dernière, le Centre d’études sur les médias de l’Université Laval a publié un rapport sur le sujet. Les auteurs estiment que pour apaiser les inquiétudes, Québecor devrait poser des gestes déontologiquement fort comme faire son retour au sein du Conseil de presse, nommer un éditeur public ou un ombudsman, ou encore garantir par contrat, l’indépendance éditoriale des rédacteurs en chef. Des gestes qui devraient s’accompagner par le maintien de ce sujet dans le débat public.

Chaud et froid en région

En mars, l’annonce du rachat des quotidiens régionaux de Gesca par le Groupe Capitales Médias (GCM), propriété de l’ex-ministre libéral Martin Cauchon a eu l’effet d’une bombe. Alors que les négociations en vue de l’intégration des régions sur la plateforme de la Presse+ faisait du sur place, cette vente est venue rassurer les employés du groupe, qui s’attendaient à des mises à pied massives et à une montréalisation de l’information.

Depuis, les conventions collectives ont été signées et les départs limités. Surtout, chaque quotidien dispose depuis le mois d’octobre de sa propre application mobile, comprenant une version tablette. Tout à l’air pour le plus beau dans le meilleur des mondes… si ce n’est que personne ne sait d’où viennent les fonds et si l’entreprise est rentable. Il y a quelques jours, le groupe annonçait d’ailleurs la fermeture prochaine de l’hebdo de Sherbrooke, la Nouvelle, qui lui appartenait depuis le rachat.

Les autres nouvelles en provenance des régions ne sont pour le moins pas très bonnes. L’expérience Tag.media, lancée à la rentrée par l’ex ministre péquiste Yves-François Blanchet à Shawinigan, puis à Trois-Rivières et qui devait s’étendre au moins à Drummondville, n’aura pas fait long feu. Cette tentative de diversification de l’information en région a pris fin au bout de trois mois faute de marché publicitaire suffisant pour le faire vivre.

Quant aux traditionnels hebdos papier, ils paient le prix fort cette année du rachat fin 2013 par TC Média des journaux appartenant jusque-là à Quebecor. Pas un mois sans que l’on annonce la mort prochaine de l’un deux, les derniers en date étant en décembre, l’Information en Gaspésie et la Nouvelle, donc, à Sherbrooke.

Menaces sur la liberté de presse

4430243_d3cd4c219e3df2fb3e5c02e98c8dc74ed735f62d_545x460_autocropL’année avait démarré avec l’attentat dans les locaux parisiens de Charlie Hebdo, qui a endeuillé toute la communauté journalistique. L’Occident découvrait alors avec horreur, sur son sol, jusqu’où pouvait mener la volonté de faire taire des voix discordantes. Jusque-là, les assassinats de journalistes n’étaient finalement que des lignes de chiffres dans les rapports annuels de Reporter sans frontières. Ça se passait loin, en territoire de guerre ou dans des États dirigés par des dictateurs.

Mais si Charlie a marqué les esprits par la violence et la proximité de l’attaque, il n’en reste pas moins que la liberté de presse est partout menacée et pas seulement par des terroristes et des groupes extrémistes, loin s’en faut.

La FPJQ en a fait l’une de ses principales batailles depuis deux ans. Au printemps, elle a lancé le hashtag #Freinalinfo afin que tout acte susceptible d’entraver le travail des journalistes soit dénoncé. Cible principale, les municipalités, où règnent parfois des «roitelets» toujours prêts à limiter l’accès des journalistes à l’information. Interdiction de filmer ou d’enregistrer les réunions publiques, violences verbales ou sexistes, intimidation, défense de participer à un point presse, expulsion d’un colloque, etc., les cas se multiplient.

Ajoutons à cela, des journalistes de la Presse et leurs sources surveillés par la GRC, la loi provinciale sur l’accès à l’information sensée être remaniée en 2016, mais dont les premiers échos ne démontrent pas une volonté réelle de transparence totale, ou encore les radios de Québec qu’un rapport de la chercheure de l’université Laval, Dominique Payette, voudrait faire taire… bref, l’année qui s’achève a été dure sur le front de la liberté de presse, au Québec.

La fin de la Presse en semaine

IMG_0368On en parle depuis quelques années, mais ça y est, le journal la Presse ne sera plus dans les présentoirs en semaine à compter du 1er janvier. Seule, l’édition du samedi perdure encore, mais pour combien de temps?

Durant toute l’année, le président Guy Crevier n’a eu de cesse de vanter les bons chiffres de la Presse+ tant en terme de téléchargement de l’application, de temps de lecture quotidien, que de revenus publicitaires. Mais de nombreuses voix s’élèvent cependant, estimant que ces données sont invérifiables et que si ce plan iPad n’était pas soutenu par Power Corporation, propriété des frères Desmarais, il ne serait tout simplement pas viable.

Quoi qu’il en soit, ce passage au tout (ou presque) numérique s’est accompagné à l’automne d’un plan de coupures plus massives que ne l’avait imaginé le syndicat des travailleurs de l’information de la Presse (STIP). Celui-ci a engagé un bras de fer avec la direction avant de signer la semaine dernière deux ententes, l’une sur un plan de départs volontaires, l’autre sur une modification de la convention collective.

De leur côté, les deux autres quotidiens francophones montréalais, le Journal de Montréal et le Devoir, s’organisent pour tenter de récupérer le lectorat de la Presse qui ne serait pas tenté de poursuivre l’aventure sur la tablette.

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