Le journalisme sera immersif ou ne sera plus

C’est ce que croit le directeur de la prospective à France Télévision, qui consacre la dixième édition de son cahier semestriel Tendances sur l’évolution des médias, aux nouvelles pratiques journalistiques et manières de présenter l’information. Compte-rendu.

Par Hélène Roulot-Ganzmann @roulotganzmann

CaptureLe constat est clair dès l’introduction de ce document intitulé Journaliste designer: les journalistes doivent aujourd’hui devenir davantage des scénaristes de l’information, des designers narratifs de la réalité du monde, des producteurs d’impact, grâce aux nouvelles technologies, au numérique et à internet. Ils travaillent beaucoup plus souvent en mode projet, avec d’autres métiers, d’autres expertises.

«Paradoxalement, même si ce qui nécessitait autrefois des dizaines de professionnels peut être réalisé aujourd’hui, grâce au numérique, par un seul journaliste et son ordinateur, il faut plus que jamais travailler en équipe, écrit Éric Scherer. Une équipe où les personnes en provenance de l’internet et du numérique ne sont pas accueillies comme des bêtes curieuses au sein de la rédaction.»

Ainsi, les journalistes doivent accepter de repenser la manière dont ils conçoivent leur rôle, de partager leur mission, de collaborer. Les rédactions doivent sortir du conservatisme qui les caractérisent bien souvent pour se doter d’une vision innovante.

«Le nouveau journaliste est donc un scénariste de l’information, un designer narratif de la réalité du monde, un producteur d’impact, un chef de projets», lit-on.

Réalité virtuelle

Il doit du moins l’être s’il veut aller rechercher l’audience qu’il a perdu alors même que jamais le public n’avait été aussi avide d’information. Sauf que le public a changé. Que le public ne s’installe plus à 22 heures devant son petit écran pour regarder le téléjournal. Son premier geste matinal n’est même plus d’allumer la télévision sur une chaine d’information continue. Non, aujourd’hui, le public s’informe sur son téléphone via les réseaux sociaux. Et il veut du visuel.

«Les images sont le meilleur moyen d’attirer l’attention», assure Éric Scherer, qui, en veut pour preuve une multitude de chiffres à donner le tournis:

Le mobile combiné avec les réseaux sociaux, les messageries et la vidéo — qui va représenter sous peu 80% du trafic Internet — débouche sur un mélange visuel détonant: 8 milliards de vidéos sont vues chaque jour sur Facebook, 6 milliards sur Snapchat, 2 milliards de photos sont mises en ligne, etc. Instagram, qui remplace de plus en plus les blogs et accueille des formats longs de journalisme, est désormais plus grand que Twitter. 300 heures de vidéos sont postées chaque minute sur YouTube qui connaît un bond de 50% du nombre de vidéos vues en un an. Même tendance sur Tumblr, Pinterest ou Vine.

L’image, c’est bien donc. Mais ce n’est qu’un pré-requis, poursuit le directeur de la prospective. Car l’image devra dorénavant permettre de transporter l’audience dans l’événement, au moyen de la réalité virtuelle, voire de la gamification, ou comment permettre au public de jouer l’info et non plus seulement de la lire.

«L’expérience est incontestablement beaucoup plus forte que de regarder une vidéo classique, écrit-il. Vous avez le sentiment d’être au centre d’une manifestation, d’un camp de réfugiés ou d’une zone de guerre. Avec ce média à la première personne, vous passez de téléspectateur à témoin. L’attention est maximale.»

Du journalisme immersif en somme, seul capable de réconcilier la génération Minecraft, celle des jeux vidéo, avec les médias traditionnels.

Journalisme prospectif

Ainsi, les journalistes doivent revoir leurs pratiques. Mais ils doivent aussi revoir leur contenu à en croire le document.

«Si, comme le dit Carl Bernstein, le fameux reporter du Watergate, « le journalisme est la meilleure version disponible de la vérité », nous devons revoir nos pratiques, écrit Éric Scherer. Car si le public nous tourne le dos c’est qu’il juge que nous ne donnons plus une représentation exacte du monde.»

Il ajoute que la responsabilité des journalistes, leur valeur ajoutée peuvent être plus ambitieuses que de seulement donner les mauvaises nouvelles. Et il prône le journalisme prospectif.

«Sur papier, depuis 150 ans, les journaux ont donné l’information de la veille, lit-on. Les télévisions en continu donnent depuis 30 ans l’info du jour, Internet donne les infos de l’immédiat. Il est temps de se projeter davantage et d’anticiper sur l’avenir. Le monde de demain est déjà là et notre perception est celle d’aujourd’hui.»

Journalisme constructif, journalisme d’impact, journalisme de solution, journalisme prospectif… les termes sont nombreux pour définir avant tout un journalisme utile, un journalisme placé sous le signe du service pour réinventer, résister, reconstruire, participer, co-créer du service, mais aussi de l’impact. Cet impact que tout jeune journaliste rêve de créer sur la société.

Ainsi, le journalisme est aujourd’hui à la croisée des chemins et il doit crocher dedans au risque de disparaitre. Il doit accepter que l’innovation ne soit plus un moment de la vie d’une rédaction mais devenir un processus continu qui favorise la confiance créative du staff.

«La bonne nouvelle, conclut M. Scherer, c’est qu’aujourd’hui, les rédactions embauchent ces nouveaux profils diversifiés.»

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