Brian Myles, directeur du Devoir : plus qu’un poste, une «mission»

120209_9w6xd_brian_myles_sn635Brian Myles deviendra le 8 février prochain le neuvième directeur du quotidien le Devoir. Après y avoir officié pendant vingt en tant que journaliste, après l’avoir quitté l’an dernier pour prendre un poste de professeur à l’École des médias de l’Uqàm, celui qui fut durant quatre ans, de 2009 à 2013, président de la Fédération professionnelle des journalistes (FPJQ), revient dans les bureaux de la rue de Bleury pour prendre la succession de Bernard Descôteaux, qui a annoncé sa retraite l’été dernier. Entrevue.

Propos recueillis par Hélène Roulot-Ganzmann @roulotganzmann

ProjetJ : Pourquoi devient-on directeur du Devoir?

Brian Myles : Je répondrais en reprenant les mots de George Mallory à qui on avait demandé pourquoi il voulait grimper l’Everest, «Parce qu’il est là». Historiquement, Le Devoir est un journal qui a accompagné les Québécois dans leur émancipation politique, sociale, culturelle, économique. Quand on t’approche pour occuper ce poste, on ne t’offre pas un poste en réalité, on t’offre une mission, un défi plus grand que tous les défis que je n’aurais jamais relevé dans ma carrière. Alors, je ne pouvais pas dire non. J’avais une tribune d’observateur privilégié de la société comme professeur à l’École des médias de l’Uqàm et commentateur à L’Actualité. On m’offre une tribune encore plus grande et on m’offre l’occasion d’accompagner Le Devoir sur un chemin qui est tracé depuis maintenant cent six ans, celui de l’excellence.

On vous a approché… est-ce dire que vous n’aviez pas pensé à postuler lorsque le poste s’est ouvert en aout dernier?

À l’époque, j’étais parti à l’Uqàm. J’avais fait mes choix. Après la couverture de la Commission Charbonneau, ce qui m’attendait au Devoir, c’était des choses prévisibles. Être simple reporter dans une salle de rédaction, courir la nouvelle, des choses que j’avais déjà faites et le défi était plus grand à l’Uqàm. J’ai donc regardé l’ouverture de poste comme un observateur attentif. Je n’ai pas postulé. D’autres personnes m’ont fait réaliser tardivement, dans les dernières semaines, qu’il n’y avait pas de candidats parfaits et que peut-être, j’avais certaines des qualités indispensables pour relever ce défi. Ensuite, les choses se sont mises en place très rapidement.

Les défis sont effectivement grands. Le Devoir n’est pas très bien en point financièrement et la révolution numérique oblige toute l’industrie à s’adapter et à trouver des solutions…

D’abord, les défis du Devoir ne sont pas plus grands que ceux des autres journaux. On parle beaucoup des difficultés du Devoir parce que c’est un des rares journaux à Montréal et au Québec dont les résultats sont publics. Mais on n’est pas les seuls à être confrontés à la baisse des revenus publicitaires et à la transition, pour ne pas dire la révolution qu’impose le passage d’une culture de l’imprimé à une culture du numérique. Cela dit, le Devoir a trois éléments fondamentaux qui sont ses atouts. D’abord, c’est une famille extraordinaire, une équipe qui y croit. On choisit Le Devoir en tant qu’employé, en tant que journaliste, autant que Le Devoir nous choisit. Les gens qui sont ici ont à cœur l’information de qualité, l’information à valeur ajoutée. Nos lecteurs nous aiment au-delà de ce qu’il était possible d’imaginer. Nous avons réussi à faire une campagne de socio-financement qui a rapporté 350 000 dollars. C’est très encourageant. Enfin, notre marque est bonne. Le Devoir est associé à la qualité, à la rigueur. Je pense qu’on est capable de poursuivre et de bâtir avec cette famille, ces lecteurs et cette marque.

Vous dîtes déjà «nous», même si vous n’êtes pas encore officiellement directeur…

On ne passe pas vingt ans au Devoir sans avoir des attaches très fortes. Quand j’ai quitté le navire pour rejoindre l’École des médias l’an dernier, c’est que j’avais l’impression que j’avais relevé les défis que je pouvais y relever. J’avais la conviction que c’était la fin d’un cycle. Je ne suis pas parti parce que je n’y croyais plus ou parce que je craignais pour son avenir, mais parce que j’avais des défis plus excitants à relever ailleurs. Et je suis un homme de défi. Là, on me donne un défi qui est encore plus grand que celui de professeur. Une responsabilité immense pour la société québécoise. Être directeur du Devoir, c’est accompagner le Québec dans ses choix, dans ses débats, dans son évolution. Je m’en serais voulu toute ma vie si j’avais laissé passer ce poste.

Vous serez en poste le 8 février prochain. Comment imaginez-vous les premières semaines, les premiers mois?

La première chose, c’est de faire la transition. De faire le chemin inverse, de partir de l’École des médias et de revenir au Devoir. De prendre le pouls des différentes unités en place, des différents services, faire les liens qui s’imposent avec le comité de direction, le conseil d’administration, et bien comprendre les attentes et les besoins de chacun. Dans un journal comme celui-là, on ne fait jamais rien seul. Le tout est toujours plus important que ses parties. C’est comme ça qu’on va avancer dans la nouvelle économie.

Vous avez été président de la FPJQ pendant quatre ans. Est-ce une expérience qui va vous servir?

À la FPJQ, j’ai fait l’équivalent d’un MBA en accéléré. J’ai appris la gestion, la communication stratégique, la prise de parole sur la place publique, j’ai participé à toutes sortes de débats, j’ai été de tous les combats. C’est forcément un rôle qui m’a bien préparé à prendre la direction du Devoir.

Mettez-vous un terme à vos autres activités comme professeur à l’École des médias, mais également comme chroniqueur à L’Actualité?

Avec regret, oui. C’est L’Actualité qui a fait de moi un colomnist politique. Eux aussi ont vu des choses en moi. J’avais une belle tribune à L’Actualité, une belle liberté éditoriale. Ça me coute de les laisser mais c’est une occasion que je ne pouvais pas laisser passer. Quant à l’École des médias, il va y avoir une transition dans les prochaines semaines et la nomination de mon successeur. Je vais aussi rencontrer les étudiants.

On sent beaucoup d’émotion dans votre voix…

Je suis seulement le neuvième directeur dans l’histoire! Quand tu deviens directeur du Devoir, c’est qu’on te confie une mission, celle d’accompagner les Québécois dans leurs choix. Et de tirer la société vers le haut et non vers le bas. Quand j’ai rencontré les gens de la salle de rédaction aujourd’hui, je leur ai rappelé cette phrase d’Henri Bourassa. Il disait que la raison d’être du Devoir, c’était, «de réveiller dans le peuple, et surtout dans les classes dirigeantes, le sentiment du devoir public sous toutes ses formes». De me voir confier ce rôle, je prends ça effectivement avec une grande émotion.

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(Photo: Radio-Canada)

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