Lanceurs d’alarme : trop de balises, pas assez de protection, dit la FPJQ

La Fédération professionnelle des journalistes (FPJQ) était entendue hier soir en commission parlementaire à Québec pour formuler son point de vue – pour le moins critique – sur le projet de loi 87 sensé faciliter la divulgation d’actes répréhensibles dans les organismes public. Il y a deux grands absents selon elle en l’état actuel du texte, la notion d’intérêt public, qui n’est pas définie, et le monde municipal, qui ne serait pas soumis aux nouvelles règles de protection des sonneurs d’alarme.

Par Hélène Roulot-Ganzmann @roulotganzmann

«Le projet est dit devoir faciliter la divulgation des actes répréhensibles, malheureusement, il nous apparait être un système interne de gestion de la divulgation plutôt qu’un mécanisme de transparence, a dénoncé hier soir la présidente de la FPJQ, Lise Millette. En 2014, au lendemain de son élection, le gouvernement nous avait promis d’être le plus transparent de l’histoire. La transparence va jusqu’à permettre une saine circulation de l’information.»

Or, en l’état actuel du texte, cela ne sera pas le cas, croit la fédération. Les sonneurs d’alarme ne seraient en effet pas protégés lorsqu’ils viendraient se confier aux journalistes. Ils sont plutôt invités à dénoncer des actes répréhensibles dont ils seraient témoins auprès de leur hiérarchie – avec le risque que l’affaire soit enterrée – de la Protectrice du citoyen – qui pourrait décider de façon unilatérale d’écarter une plainte lorsque celle-ci met en cause le bien-fondé d’une politique ou d’un objectif de programme du gouvernement ou d’un organisme public – ou de la police – garantissant ainsi qu’aucune information ne soit publique, aucun commentaire n’étant formulé durant les enquête policières.

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Seules les informations sur les éléments comportant des risques pour la santé ou l’environnement pourraient être directement révélées au public. Et Lise Millette de prendre l’exemple de la Commission Charbonneau.

Parfois, pour faire bouger les choses, on n’a pas nécessairement besoin de se soumettre à un processus judiciaire.

«Quand on parle de construction, de ponts et de routes, on s’entend, il n’y a pas de santé et d’environnement, commente-t-elle. Mais ça a quand même une incidence importante. Et là on aurait la pression d’aller d’abord à la police. Je crois que la décision de plusieurs sonneurs d’alarme, de plusieurs divulgateurs d’aller aux médias, c’est avant tout pour se soustraire de cette judiciarisation qui n’est pas toujours nécessaire. Parfois, pour faire bouger les choses, on n’a pas nécessairement besoin de se soumettre à un processus judiciaire.»

Et le monde municipal?

Autre point de discorde, le fait que le monde municipal, mais aussi les entreprises privées travaillant avec le secteur public, ne soient pas assujettis à la future loi. Car selon la FPJQ, c’est bien là qu’il y aurait besoin que les langues se délient sans que les divulgateurs n’aient à se soucier des représailles.

Il y a un prix, il y a toujours un prix à dénoncer. Et c’est ce prix qu’on aimerait qu’elles [nos sources] ne paient pas.

Et Félix Séguin, journaliste d’enquête au Journal de Montréal, venu lui aussi représenter la FPJQ devant la commission parlementaire, de raconter la mésaventure d’un col bleu de la Ville de Montréal, suspendu après avoir dénoncé un groupe de collègues qui volait les recettes des parcomètres.

«Il y a un prix, il y a toujours un prix à dénoncer, regrette M. Séguin. Et c’est ce prix qu’on aimerait qu’elles [nos sources] ne paient pas.»

Concernant le domaine municipal, le nouveau président du Conseil du Trésor, Sam Hamad, désormais en charge du projet de loi, a donné raison à la FPJQ.

«Vous avez raison, le domaine municipal n’est pas clair, puis on devrait le couvrir, vous avez tout à fait raison», admet-il.

Mais il reste ferme sur la non protection des sources divulguant des informations aux médias, prétextant l’indépendance de la Protectrice du citoyen, tout à fait apte selon lui, à recevoir les plaintes, les instruire et ce, dans l’intérêt du public et de la démocratie. Permettre aux sonneurs d’alarme, en les protégeant, d’aller directement sur la place publique, via les journalistes, ferait courir de trop grands risques d’atteinte à la réputation des personnes, selon lui.

«Parce que je peux aller en public puis dire, comme employé : Je pense 100 % que j’ai raison, puis ça fait un petit bout que j’en parle, puis personne ne m’écoute, je suis tanné, je m’en vais en public, raconte-t-il. Je dis : là, mon patron, il s’appelle Sam Hamad, il est gestionnaire dans des contrats d’informatique, il est en train de faire… il a eu des pots-de-vin, il a fait ci, il a fait ça. Puis là M. Séguin fait un beau reportage avec lui, on s’en va en public. Puis là évidemment Sam Hamad, sa réputation, elle vient de… et puis ce qui arrive au final, c’est que ce n’est pas vrai.»

Vous avez raison, le domaine municipal n’est pas clair, puis on devrait le couvrir, vous avait tout à fait raison.

Intérêt public

Lise Millette a dû lui rappeler que les journalistes sont soumis à des règles déontologiques qui ne leur permettent pas d’écrire un article accusant telle ou telle personne avec un simple témoignage à charge. Et que des lois existent également contre la diffamation.

«Ce n’est pas vrai qu’on coule des informations à tout vent, sans se soucier des conséquences pour les personnes qui peuvent être victimes de divulgations qui ne seraient pas dans l’intérêt public mais qui servent des intérêts personnels», a-t-elle précisé.

L’intérêt public… il en aura été question en filigrane durant toute la présentation de la FPJQ. Parce qui si l’esprit du texte est à revoir complètement, selon les représentants des journalistes, c’est d’abord et avant tout parce que cette notion même d’intérêt public n’est pas définie dès le départ.

«Notre fédération peut comprendre l’idée de fixer des balises à la divulgation d’informations confidentielles, concède Lise Millette. Nous sommes aussi conscients qu’il peut exister des contextes où la divulgation n’est pas justifiée si, par exemple, quelqu’un utilise ou agit dans son seul intérêt ou encore pour nuire à une autre personne. Ce qui nous ramène donc à notre critère fondamental : déterminer le bien-fondé et donc l’intérêt du public.»

Un concept qui n’apparait nulle part dans le projet de loi, à la différence de ce que l’on retrouve dans la loi fédérale protégeant les fonctionnaires qui divulgueraient des informations. Selon la FPJQ, cette notion d’intérêt public doit être inscrite comme un principe fondamental.

Car «s’il ne l’est pas, alors toutes les excuses sont bonnes pour écarter les remarques d’un divulgateur qui a agi dans l’intérêt du public», conclut Lise Millette.

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