Les femmes sont très largement sous-représentées dans les médias canadiens

Elles ne totalisent en effet que 29% des sources citées par les journalistes. C’est ce que révèle une étude menée l’automne dernier par l’Université Carleton pour le compte de l’organisme Informed Opinions auprès de sept journaux et programmes d’information francophones et anglophones, publics et privés. Un chiffre qui n’a pas beaucoup augmenté ces vingt-cinq dernières années puisqu’une analyse datant de 1993 démontre que les femmes représentaient à l’époque 22% des personnes citées.

Par Hélène Roulot-Ganzmann @roulotganzmann

io-logo-header«C’est décevant et préoccupant , avoue Lise Millette, bénévole pour Informed Opinions, un organisme visant à mieux faire entendre la voix des femmes dans l’espace public. Il me semble que beaucoup de chemin a été parcouru depuis le début des années 90. Il y a des femmes qui ont pris les devants, qui sont des blogueuses, qui ont investi nos médias, le champ de l’éducation, les universités, qui ont des postes qui demandent de l’expertise. Il y a un étonnement à voir qu’on n’a pas plus progressé que ça. Je me serais attendue à ce qu’on flirte avec les 40%.»

D’autant plus étonnant que ce déséquilibre flagrant touche toutes les sphères d’expertise. Ainsi, le nombre d’hommes dépasse celui des femmes dans chaque catégorie professionnelle: 66% des universitaires cités sont des hommes, 76% des politiques, 70% des fonctionnaires, 52% des personnes affiliées à une O.N.G., 78% de celles affiliées à une entreprise privée, 73% pour les professions juridiques, 66 % sur le beat médias, 66 % des artistes et autres créateurs, 88 % du personnel de police, 100 % des personnes associées au monde des sports et seulement 55% dans le secteur de la santé… alors que les femmes représentent 80% des effectifs dans ces métiers.

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«Il y a plein de raisons à cela, analyse Mme Millette. Il y a des femmes qui ne sont pas très à l’aise devant la caméra. Certaines n’ont pas envie d’aller dans des émissions plus confrontantes de type débat. Ça peut d’ailleurs expliquer qu’elles soient plus présentes sur les réseaux publics, le ton sur les antennes privées étant un peu plus mordant. Elles n’apprécient pas forcément les échanges musclés et ne souhaitent pas non plus être confrontées ensuite au salissage, sur les réseaux sociaux. Il y a aussi tous les problèmes de conciliation. Les femmes sont malheureusement encore aujourd’hui moins disponibles à certaines heures que les hommes lorsqu’elles ont une famille. Et leur emploi du temps est très serré.»

Les femmes sont aussi souvent moins sures d’elles ou considèrent que d’autres ont plus d’expertise qu’elles sur tel ou tel sujet. Elles sont enclines à envoyer le journaliste vers une autre personne… souvent un collègue homme. Or, selon Informed Opinions, lorsque l’on n’inclut pas les voix des femmes, on n’a tout simplement pas toute l’histoire.

Prise de conscience

«Là où je suis optimiste en revanche, poursuit Lise Millette, c’est qu’il y a une forte demande de la part de la société, en faveur d’une meilleure représentativité des différentes communautés dans nos médias. Il y a une véritable prise de conscience, et ça c’est nouveau.»

Informed Opinions profite d’ailleurs de la publication de ces chiffres pour donner quelques conseils aux journalistes. À commencer par vérifier si chacun fait bien sa part. Il suffit pour cela de se retourner sur toute sa production de la semaine dernière par exemple afin de vérifier que les femmes sont autant citées que les hommes. Mais il s’agit aussi de parvenir à convaincre les femmes expertes de participer aux articles.

Faire valoir que les sources masculines sont bien plus nombreuses que les féminines dans les médias, et que le reportage bénéficierait de points de vue féminins ou encore les rassurer sur le fait que l’entrevue ne durera qu’une à deux minutes mais que celle-ci ajouterait à la valeur du reportage, font notamment partie de ces conseils.

Informed Opinions met également en place une base de données de femmes expertes, qui sont prêtes à répondre aux questions des journalistes. La liste existe déjà sur le net mais de nouveaux noms vont y figurer dans les prochaines semaines. Elle devrait également être traduite en français et les expertes francophones y être clairement identifiées.

Les sept médias analysés sont le Globe and Mail, le Toronto Star, le National Post, CTV National News, The Current sur CBC, La Presse et Tout le monde en parle sur Radio-Canada. 1 467 articles et segments radio et télédiffusés ont été étudiés.

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