Pour un fonds des médias dédié à la couverture régionale

Les témoins ont commencé à défiler devant le Comité permanent du patrimoine canadien à Ottawa afin de donner leur appréciation de la situation des médias dans les communautés locales et des risques pour la démocratie. Trois réunions ont déjà eu lieu sur les dix censées se tenir d’ici cet été. Projet J revient aujourd’hui sur la présentation faite par la présidente de la Guilde canadienne des médias, Carmel Smyth. Elle en appelle notamment à la création d’un fonds des médias dédié à la couverture des nouvelles régionales.

Par Hélène Roulot-Ganzmann @roulotganzmann

«On a l’impression qu’un journal ferme ses portes toutes les deux semaines, introduit Mme Smyth devant le comité composé de parlementaires. Dernièrement, à Ottawa, le Sun et l’Ottawa Citizen ont fusionné leurs salles de rédaction, une décision incroyable qui, de toute évidence, aura des conséquences majeures sur la couverture parlementaire. Hélas, vous serez sans doute aux premières loges pour le constater.»

«Elle rappelle également qu’à une certaine époque en Alberta, le Calgary Sun et le Calgary Herald étaient de «fiers concurrents», alors qu’aujourd’hui, ces deux quotidiens sont produits par la même équipe.

La Guilde tire la sonnette d’alarme depuis des années. Les actualités régionales sont en crise. Selon elle, les compressions budgétaires et les mises à pied continueront à empêcher les journalistes de courir la nouvelle ou de mener l’enquête afin de présenter les reportages sur lesquels comptent les Canadiens pour participer pleinement à la démocratie.

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16 000 emplois ont disparu dans les médias depuis 2008, a calculé la Guilde, qui croit par ailleurs que le chiffre réel est probablement nettement plus élevé. Une situation qui ne peut pas ne pas avoir de conséquences tangibles sur le journalisme au Canada, sur les artisans des médias et, bien sûr, sur les collectivités. D’autant que les chiffres présentés pour le futur ne sont pas plus reluisants. La Guilde expose en effet les résultats d’une étude récente indiquant que 15 000 autres emplois seront perdus au Canada et que 1,4 milliard de dollars risquent d’être retirés de l’industrie médiatique d’ici 2020 à la suite des changements apportés par le CRTC dans le cadre de son plan « Parlons télé ».

Or, selon un sondage de ce même CRTC, plus de 80 % des Canadiens tiennent aux actualités régionales. Malgré cela, ils sont de plus en plus nombreux à ne plus y avoir accès. La Guilde rapporte notamment qu’en Saskatchewan depuis quelques mois, il n’y a plus le moindre journaliste – réseaux public et privés confondus – pour couvrir, exclusivement et à plein temps, l’actualité politique de l’ensemble de la province.

Rôle accru pour CBC/Radio-Canada

«N’oublions pas qu’il n’est pas rare que des journalistes évoluant sur la scène régionale découvrent des histoires d’envergure finalement nationale, commente Mme Smyth. C’est même fréquent. Un exemple : en 1982, l’Ocean Ranger, plus grande plateforme de forage pétrolier du monde, sombre sur les côtes de Terre-Neuve, avec des conséquences catastrophiques dans la région. Cinquante-six des victimes étaient des Terre-Neuviens. Longtemps après que les médias nationaux furent partis, la salle de rédaction locale a affecté un journaliste en permanence aux audiences. Selon nous, il est évident que si les soixante-six recommandations de la commission royale ont été appliquées, c’est grâce à cette couverture continue par, encore une fois, les médias régionaux.»

Si Carmel Smyth insiste sur l’érosion de la couverture, elle évoque également des tendances qui nuisent à la qualité de l’information. Elle présentent ainsi les résultats de  travaux de recherche démontrant que lorsque les médias électroniques couvrent l’actualité, la frontière entre les relations publiques et la nouvelle est de plus en plus floue.

Au chapitre des solutions, la Guilde insiste sur le rôle de CBC/Radio-Canada, réseau qu’elle décrit comme populaire et digne de confiance selon les Canadiens.

«Or, il est étranglé par les compressions draconiennes, ce qui se répercute bien sûr sur les informations régionales, la programmation et les productions canadiennes originales, affirme-t-elle. Depuis 2006, la société d’État a aboli 3 000 postes. Il y a davantage de reprises à l’écran, moins de reportages originaux et moins de liens avec la collectivité. Nous pensons que la solution pourrait consister à appliquer une recommandation issue du rapport de 2008 du comité du patrimoine en portant le financement de CBC/Radio-Canada à 40 $ par Canadien [contre 29 $ aujourd’hui]. À notre avis, il est plus que temps d’appliquer cette mesure. Elle apporterait un soulagement certain dans la crise qui accable les médias d’information régionaux.»

Fonds des médias

Le salut de l’information locale et régionale passera également par le refinancement des autres médias publics, de portée plus provinciale ceux-là, tels que Télé-Québec notamment. L’APTN, seul réseau autochtone en Amérique du Nord, devra également jouir d’un traitement particulier étant donné son rôle distinctif au sein de l’écosystème médiatique, croit la Guilde, qui appuie la recommandation de la Commission de vérité et réconciliation visant la reconnaissance d’APTN en tant que chef de file de la programmation autochtone et de son rôle clé en éducation.

Surtout, le syndicat représentant 6 000 personnes travaillant dans une dizaine d’organismes médiatiques au pays, exhorte le CRTC à créer un fonds des médias d’intérêt public accessible aux services d’information régionale, toutes plateformes confondues.

«Ce fonds assurerait la couverture des actualités régionales et pourrait être alimenté en prélevant un petit pourcentage des profits engrangés par les grands câblodistributeurs et sociétés de communication par satellite, précise Carmel Smyth. À l’instar de beaucoup d’autres intervenants, nous persistons à recommander de mettre également à contribution les fournisseurs de services Internet.»

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