Classement mondial de la liberté de la presse : le Canada perd 10 places

Le pays se range au dix-huitième rang cette année. D’après Reporter sans frontières, organisme qui publie chaque année ce classement, la liberté de la presse a beaucoup souffert ces derniers mois, tout particulièrement pendant la fin du mandat de l’ancien Premier ministre Stephen Harper. Ce sont par ailleurs une nouvelle fois les pays du nord de l’Europe qui se partagent le podium de tête.

Par Hélène Roulot-Ganzmann @roulotganzmann

CaptureL’édition 2016 de ce classement est marquée par une dégradation de la liberté de la presse «profonde et préoccupante» partout dans le monde. Ainsi l’indice mondial, indicateur mis en place par Reporters sans frontières pour évaluer chacun des cent quatre-vingts États passés sous la loupe, décline de 13,6 % par rapport à 2013. Plus précisément, les indices régionaux de chacun des continents sont eux aussi sur le déclin. Les Amériques dévissent littéralement (- 20,5 %) sous le poids d’une Amérique latine plombée par les assassinats et les attaques contre des journalistes au Mexique et en Amérique centrale.

C’est cette année encore en Europe que les journalistes ont la plus grande latitude d’action vis-à-vis des dirigeants de leurs pays. Avec un indice de 19,8 points, le vieux continent demeure la zone où les médias sont les plus libres, suivie (de loin) par l’Afrique (36,9), qui, fait inédit, passe devant les Amériques (37,1), l’Amérique latine étant plombée par les violences accrues contre les journalistes. Suivent l’Asie (43,8) et l’Europe de l’Est et Asie Centrale (48,4). L’Afrique du Nord/Moyen Orient (50,8) reste la région du monde où les journalistes sont les plus soumis à des contraintes de toutes sortes.

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«Le climat général de peur entraîne une haine croissante du débat et du pluralisme, un verrouillage des médias par des gouvernements en pleine dérive autoritaire et liberticide, l’emprise grandissante d’intérêts particuliers sur l’information dans le secteur privé, déclare Christophe Deloire, secrétaire général de RSF. Il est essentiel de défendre le journalisme digne de ce nom face au renforcement de la propagande et de l’information sous la dictée ou sponsorisée par l’intérêt. La garantie du droit des citoyens à une information indépendante et fiable est une solution pour résoudre les problèmes locaux et globaux de l’humanité.»

Des avancées aux États-Unis

Le Canada, qui était parvenu l’an dernier à faire de nouveau partie du top 10, se retrouve donc cette année au dix-huitième rang, juste derrière la Namibie. Il perd sa place de numéro un américain, devancé qu’il est par le Costa Rica (6ème) et la Jamaïque (10ème). Le rapport justifie cette dégringolade par la fin des années Harper, premier ministre peu enclin à se montrer ouvert envers les journalistes.

Un constat qui vient appuyer les multiples combats que mènent les différentes associations de journalistes au pays, et en premier lieu la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ). Rappelons que depuis un an, celle-ci a lancé une plateforme Frein à l’info, permettant à ses membres de dénoncer toute entrave à leur liberté d’informer. Elle suit également de très près, tant à Ottawa qu’à Québec, le dossier de la révision des lois sur l’accès à l’information, et prend régulièrement position lorsque des pressions sont mises afin qu’un professionnel révèle ses sources.

Malgré cela, le Canada reste pourtant cette année encore loin devant son voisin du sud. Si les États-Unis gagnent quelques places au classement, ils n’en demeurent en effet pas moins à la quarante-et-unième place. RSF salue quelques avancées, notamment la possibilité aujourd’hui de négocier avec les ravisseurs lorsque des journalistes sont pris en otage ou encore la fin du harcèlement judiciaire dont faisait l’objet le journaliste du New York Times James Risen de la part du département de la justice, afin que ce dernier dévoile ses sources pour son livre sur la CIA.

«Le principal facteur d’inquiétude reste l’obsession de l’administration Obama de contrôler l’information, qui transparait à travers la guerre menée contre les lanceurs d’alerte et les sources des journalistes, mais aussi le manque de transparence du gouvernement constamment dénoncé par les journalistes américains, peut-on lire dans le rapport. Le sort réservé aux journalistes dans l’élection présidentielle américaine est également préoccupant. Depuis que les primaires ont commencé l’été dernier, des reporters ont vu leur accès régulièrement réduit aux évènements de campagne par les candidats des deux partis politiques et ont été la cible d’insultes et même d’intimidation sur les réseaux sociaux.»

De l’autre côté de l’Atlantique, et alors que quatorze pays européens figurent dans le top 20 du classement, la France fait pâle figure avec une quarante-cinquième place seulement. Au-delà des assassinats à Charlie Hebdo survenus en janvier 2015 et qui ont emporté la vie de huit journalistes, le rachat de médias par des acteurs de la finance et de l’industrie suscite des craintes de plus en plus grandes sur l’indépendance éditoriale.

Paranoïa des dirigeants

C’est pour finir en Afrique du Nord et au Moyen Orient que les journalistes sont les moins libres de faire leur travail. Un résultat qui vient confirmer le constat que faisait déjà RSF dans un rapport précédent datant du début de l’année sur la guerre menée contre le journalisme par les groupes islamistes armés comme Daech. Cette enquête sur des idéologies et systèmes totalitaires qui ne conçoivent les reporters que soumis ou morts, exposaient notamment les « onze commandements » édictés par Daech en octobre 2014 dans la province de Deir Ez-Zor en Syrie, auxquels les journalistes doivent se soumettre.

Le premier consiste à prêter allégeance au calife, lit-on. Un autre leur interdit de travailler pour des chaînes «luttant contre les pays islamiques». Ils ne peuvent publier un article sans avoir obtenu d’abord l’assentiment du «service de presse» de l’État islamique. Enfin, tout écart de conduite sera sanctionné, le journaliste fautif étant «tenu pour responsable».

«Entre terrorisme et abus de la lutte anti-terroriste, où trouver une place pour le journalisme indépendant?, questionne Reporters sans frontières. La liste des entraves à la liberté de la presse, qui comprend les lignes traditionnelles à ne pas franchir – liées à la politique (familles dirigeantes) ou à la religion (blasphème, apostasie), ne cesse de s’allonger.»

RSF livre ainsi aujourd’hui un rapport qui ne laisse que très peu de place à l’optimisme et qui pointe du doigt la paranoïa des dirigeants – politiques et économiques – contre les journalistes.

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