Crise des médias : «l’inaction est inacceptable»

zCeRitn1À la veille de la tenue d’un grand colloque qui réunira les ténors de la profession à Québec demain  pour tenter de trouver une solution à la crise qui traverse les médias, Projet J s’est entretenu avec Pascale St-Onge, présidente de la Fédération nationale des communications (FNC-CSN), syndicat coorganisateur de l’événement. Un syndicat selon lequel le salut passera nécessairement par un soutien financier de l’État envers l’industrie afin d’apporter de l’air à très court terme.

Propos recueillis par Hélène Roulot-Ganzmann @roulotganzmann

Projet J : Le colloque s’intitule le quatrième pouvoir sous pression. Mais le journalisme peut-il encore aujourd’hui jouer son rôle de quatrième pouvoir?

Pascale St-Onge : Oui! On le voit régulièrement avec par exemple toutes les enquêtes qui ont mené à la Commission Charbonneau, ou encore, au niveau international, le travail de centaines de journalistes qui a mené aux révélations du Panama Papers. Je trouve que l’information, les journalistes, continuent à jouer leur rôle de surveillance des gens qui sont au pouvoir. En revanche ils ont de moins en moins les moyens de le faire. On s’aperçoit que les modèles d’affaires, qui reposent entièrement sur le libre marché, commencent à montrer des signes de faiblesse évidents. Dans ce contexte, on se demande encore combien de temps, ou de quelle façon l’information va pouvoir continuer à jouer son rôle de chien de garde dans nos sociétés démocratiques.

Quand vous évoquez le libre marché, vous parlez de la publicité?

La publicité ou les abonnements mais en somme, des revenus privés. Même les diffuseurs publics dépendent de plus en plus de la publicité, ce qui pose un problème pour tout le secteur puisque il y a plus de joueurs pour se partager le même gâteau. Ou plutôt  un gâteau de plus en plus petit puisque l’on sait que ces revenus s’en vont vers les géants du web du type Google ou Facebook, qui eux, ne produisent pas d’information. Or, produire des nouvelles, ça coute cher. Combien de temps cette situation va-t-elle pouvoir perdurer?

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Ce que vous préconisez à la FNC, c’est un soutien de l’industrie de la part de l’État…

Attention, ce n’est pas le but du colloque d’imposer notre façon de voir les choses. Ce sera un lieu de discussion. Il est rare de réunir tous les gens de l’industrie en un même lieu pour partager des idées et des visions pour l’avenir, on a envie de les entendre. Cela dit, et c’est ce que nous avons défendu récemment devant le Comité permanent du patrimoine canadien sur l’avenir de l’information régionale, selon nous, tant qu’on n’aura pas trouvé de solution à la question du modèle d’affaires, tant qu’on sera dans cette période de transition qui demande des investissements dans les nouvelles technologies, ce qui coute cher, on aura besoin de soutien. Nous envisageons qu’il puisse venir de l’État.

On sait que c’est une solution qui ne fait pas consensus dans l’industrie…

C’est vrai. Mais aujourd’hui, la question que l’on doit se poser ici, sur notre marché québécois, c’est est-ce qu’on a les moyens de perdre plusieurs de nos gros médias. D’un point de  vue démocratique je veux dire… l’inaction est à mon avis, inacceptable.

On parle de la crise depuis plusieurs années maintenant mais vous semblez vraiment tirer la sonnette d’alarme aujourd’hui. Sommes-nous réellement au bord du précipice?

C’est notre opinion et c’est celle que nous avons notamment depuis la tenue de notre congrès à la fin de l’année dernière. Nos syndicats sont dans presque tous les médias au Québec et eux nous ont dit que la situation était très, très, très préoccupante. On le voit bien depuis 2008-2009 avec les restructurations, les ventes, les fermetures de salles de nouvelles. À chaque fois on parle de pertes d’emploi, de précarisation, de baisse des conditions de travail. Les signaux sont évidents. On n’est pas les seuls à le dire. Il n’y a qu’à suivre le Comité permanent sur l’avenir de l’information régionale. Prenons, François Oliver de Transcontinental. Lui est venu adresser un message très clair : s’ils n’ont pas de soutien pour faire la transition, que les gouvernements, que les députés ne les appellent pas lorsqu’ils fermeront des hebdos régionaux. Ils en ont déjà fermé, d’autres petits médias locaux ont fermé. Qui sera le suivant?

Malgré ces arguments, nombreux sont ceux qui redoutent toute forme de dépendance vis-à-vis des gouvernements…

Il y a des risques que l’on dépende de l’argent de l’État ou de celui de la publicité. Quel est le moindre sachant que la publicité est en chute libre? Mettre en place un certain soutien ou laisser aller. C’est sûr qu’il y aurait des mécanismes à mettre en place pour s’assurer que l’État n’a pas d’ingérence éditoriale. Si l’on pense à Radio-Canada, certes les opinions divergent sur l’indépendance ou non du diffuseur public, mais la vérité, c’est que le travail journalistique est fait en toute liberté à Radio-Canada. Et pourtant, il est financé à plus de 50% par l’État. Ce n’est pas une pratique complètement étrangère chez nous.

La Ministre de la Culture, Hélène David, a cependant récemment indiqué ne pas envisager d’aide immédiate pour la presse…

Oui, et j’en suis très étonnée. Patrimoine Canada se penche actuellement sur la question. Si la position du gouvernement du Québec est celle de Mme David, je trouve que c’est complètement déconnecté de la réalité. Ne pas s’en mêler c’est non seulement inacceptable, mais aussi irresponsable. En même temps, elle a dit qu’elle allait parler au Ministre du Développement Durable, David Heurtel, sur la question des frais de recyclage[1]. C’est bien qu’elle est consciente qu’il y a des choses à regarder et de ce point de vue, j’ai trouvé sa réponse ambigüe. Ça m’étonnerait que ce soit la réponse finale du gouvernement du Québec.

Que va-t-il se passer après cette journée de demain?

Ça dépend des constats que l’on pourra tirer. On verra dans quel esprit sont les gens, tant les patrons que les journalistes et les chercheurs. Est-ce que certains points sembleront faire consensus? À partir de là, on réfléchira à ce qu’on peut mettre en œuvre pour que toute l’industrie marche dans la même direction. Notre souhait, c’est d’arriver à trouver une sortie de crise pour les médias. C’est dangereux de continuer à s’enfoncer. Il faut trouver des solutions susceptibles d’apporter de l’air à très court terme.



Prendront par aux différentes tables rondes,

Claude Gagnon, président-directeur général du Groupe Capitales Médias et président et éditeur du Soleil,

Brian Myles, directeur du Devoir,

Éric Trottier, vice-président de l’information à La Presse,

Michel Cormier, directeur-général de l’information des services français à Radio-Canada,

Sylvia Cerasi, directrice de contenu, Solutions locales, au Québec et en Ontario, pour TC Transcontinental,

Lise Millette, présidente de la FPJQ et journaliste à QMI,

Valérie Lessard, vice-présidente de la FNC-CSN et journaliste au Droit,

Simon Van Vliet, président de l’AJIQ et journaliste indépendant,

Jean-François Codère, journaliste à La Presse,

David Savoie, journaliste à Radio-Canada,

Gabrielle Brassard-Lecours, cofondatrice du journal multiplateforme Ricochet.

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[1] Les magazines québécois sont astreints à payer une taxe pour payer en partie la collecte municipale des matières recyclables.

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