Trouver un nouveau souffle pour le journalisme scientifique

Tel était le titre d’un déjeuner-causerie organisé la semaine dernière à l’Uqàm, en marge du 84ème congrès de l’Association francophone du savoir (Acfas). L’occasion de discuter des difficultés que traverse le métier dans le contexte de mutations médiatiques, mais aussi de soulever quelques pistes de solution.

Par Hélène Roulot-Ganzmann @roulotganzmann

journalismescientifique_0Si l’on regroupe les statistiques des différentes associations, à savoir l’Association des communicateurs scientifiques (ACS), coorganisatrice de la causerie avec l’Agence Science-Presse, la Fédération professionnelle des journalistes (FPJQ) et l’Association des journalistes indépendants (AJIQ), une cinquantaine de journalistes se définissent comme scientifiques et 130 environ disent avoir un intérêt pour la science et sont prêts à la couvrir.

«Est-ce qu’ils sont tous en exercice? Non!, précise la présidente de l’ACS, Stéphanie Thibault. Est-ce qu’ils ont toutes les tribunes dont ils auraient besoin pour exercer le journalisme scientifique? Absolument pas. La place de la science dans les grands médias est en baisse. Le Devoir a une page science aux deux semaines, il n’y en a plus dans La Presse. À Radio-Canada, le site est bien fourni, mais ce sont surtout des nouvelles d’agences. Ce qu’on nous dit, c’est que le lectorat suit. Les articles de sciences sont très consultés. Mais il n’y a en revanche pas d’appui de la part des publicitaires. C’est un grand problème dans le système actuel puisque les médias sont en recherche de financement.»

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De son point de vue, il faudrait peut-être revoir la façon dont la couverture scientifique est pensée. Avoir un bandeau «science» n’est peut-être pas la meilleure façon de mettre en valeur le contenu scientifique. La science ne devrait-elle pas tout simplement venir en support de l’analyse médiatique? Puisque l’on couvre toujours le côté social, politique, économique d’une nouvelle, ne devrait-on pas aussi traiter l’aspect scientifique de celle-ci? Elle souligne cependant que faire du journalisme scientifique, ça prend du temps de recherche et de vérification et que le temps, c’est justement la ressource dont les journalistes disposent le moins.

Une communauté scientifique active

Autant de questions qui ont été débattues jeudi dernier à l’Uqàm. Au micro également, Marc-François Bernier, professeur titulaire et coordonateur du programme de journalisme numérique à l’Université d’Ottawa. Lui, fait le parallèle avec l’époque de l’apparition des technologies et notamment de l’ordinateur personnel. Difficile pour les journalistes scientifiques de placer un papier sur le sujet au début… jusqu’à ce que les annonceurs commencent à acheter des pages pour en faire la promotion.

«C’est seulement à partir de ce moment-là que nos rédacteurs en chef ont commencé à s’intéresser au sujet que nous avons pu en parler, rappelle-t-il. La dimension économique des médias est donc très importante. De cela découle la fameuse question de savoir qui peut se prévaloir d’être journaliste. On répond souvent que c’est celui qui travaille pour l’intérêt public, qui est loyal envers celui-ci et seulement celui-ci. Mais si l’on regarde de plus près, on se rend compte qu’il y a bien des journalistes qui font de la promotion. Si l’on regarde du côté des pages culturelles par exemple. En fait, parfois les communicateurs sont plus rigoureux que les journalistes parce qu’ils ont plus de temps. Dans bien des cas aussi, comme il y a de moins en moins de spécialistes en interne, le journaliste n’a pas l’expertise pour aborder la science.»

Sauf bien sûr, parmi les participants à la causerie, tous ou presque journalistes scientifiques. Et parce que même si les médias généralistes réservent de moins en moins de place aux sujets scientifiques, il n’en demeure pas moins que la communauté scientifique reste très active au Québec. Et que finalement, rapporté à la population, il y a encore beaucoup de journalistes scientifiques ici.

«Aussi parce que ça intéresse vraiment le public, affirme la rédactrice en chef de Curium, Noémie Larouche, avant de nous conter l’histoire de son magazine. Depuis le début, il devait faire une grande place à la science puisque nous sommes la suite logique des Débrouillards. Sauf que le mandat était aussi de parler de politique, de sport, de sujets de société, etc. Et bien finalement, la science s’est imposée un peu dans toutes les rubriques. Parce la mission que nous nous sommes donnés, c’est d’aider les jeunes à comprendre la société dans laquelle ils vivent. Or, beaucoup d’enjeux planétaires, les questions éthiques qui se posent, sont liés aux avancées de la science ou issus de connaissances que la science nous apporte. Je pense par exemple aux usages que nous allons faire des biotechnologies, aux changements climatiques, à l’intelligence artificielle, etc.»

Faire peur, pour vendre

Devant un public acquis à sa cause, le journaliste scientifique français, Sylvestre Huet, estime pour sa part qu’un monde sans journaliste scientifique, c’est la porte ouverte à tous les canulars. Une affirmation qui rejoint la campagne #100LaScience, menée depuis quelques semaines par l’Agence Science Presse et qui fait dire à une centaine de personnalités venues de tous les univers tout le bien qu’ils pensent du journalisme scientifique.

M. Huet revient notamment sur l’affaire Séralini, une étude qui démontrait supposément la haute toxicité des OGM sur les rats.

«Le jour même de la publication de cette étude dans un journal scientifique, en France, Le Nouvel Obs en fait sa une et publie une dizaine de pages, avec zéro regard critique, décrit-il. Or, le chercheur avait accepté de transmettre son article sous embargo aux seuls médias qui signaient un engagement de ne pas montrer ses résultats à d’autres chercheurs pour les faire expertiser avant d’écrire leur article. La plupart des journalistes scientifiques ont le réflexe de vérifier et de prendre des précautions. Pourquoi ceux du Nouvel Obs ne l’ont pas fait? Parce que faire peur, ça fait vendre du papier.»

Où l’on en revient à toute la problématique économique de l’industrie journalistique, qui visiblement, ne convient pas aux sujets scientifiques.

Parmi les pistes de réflexion abordées pour sauver le journalisme scientifique ou pour le moins lui donner un second souffle, la création d’un fonds commun subventionné ou non par le gouvernement, permettre une meilleure relation entre les journalistes et les scientifiques afin que la qualité de l’information scientifique s’améliore et qu’il y ait moins de place pour les rumeurs, reconnaitre la culture scientifique comme étant de la culture à part entière afin qu’elle soit mieux protégée.

Mais aussi revenir aux fondamentaux. Il en est allé ainsi de l’intervention en toute fin de causerie de Félix Maltais, éditeur des Publications BLD.

«La culture scientifique diminue depuis dix ans et personne ne s’en plaint, regrette-t-il. Si l’on veut l’améliorer, c’est sûr que ça doit venir de l’État. Or, l’État est responsable de l’éducation et c’est quoi la formation des enseignants en sciences? On peut les enseigner en ayant suivi une mini-année de sciences à la faculté des sciences de l’éducation. Quand est-ce qu’on a eu un vrai ministre de la science au Québec? Personne ne s’en souvient. Une déclaration solennelle du Premier Ministre sur l’état de la science? Non, le message des gouvernements, c’est que la science, ce n’est pas important. Comment s’étonner alors que le journalisme scientifique soit en perte de vitesse…»

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(((Photo Jacques Goldstyn – Agence Science-Presse)))

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