Vers une certification pour les journalistes scientifiques?

Réunis samedi à l’occasion de leur congrès annuel, les membres de l’Association des communicateurs scientifiques (ACS) ont débattu du sujet. Si la proposition ne fait pas l’unanimité, la discussion a cependant permis de faire émerger des pistes de solutions intéressantes.

Par Hélène Roulot-Ganzmann @roulotganzmann

Vouloir certifier les journalistes scientifiques tout spécifiquement alors même que le métier prône son ouverture à des profils divers et variés et refuse de se voir affubler d’un statut professionnel, l’idée peut paraitre saugrenue.

images«La plupart des journalistes scientifiques travaillent à la pige, replace pourtant Binh An Vu Van, journaliste pour l’émission Découverte à Radio-Canada et ex-présidente de l’ACS. Ça marche alors par réseautage, par réputation. Les rédacteurs en chef ne veulent pas prendre trop de risques et ils rappellent toujours les mêmes. C’est très difficile pour les autres, notamment pour les plus jeunes, quelles que soient leurs compétences. La certification, ce serait une monnaie d’échange pour gagner la confiance d’un éditeur.»

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Mme Vu Van ne parle pas de l’obtention d’un diplôme en bonne et due forme mais plutôt de quelques heures de formation, en ligne de préférence, afin qu’elles puissent entrer dans des agendas professionnels et personnels déjà bien remplis. Ces heures permettraient de garantir d’une part que le journaliste sait bien écrire, a un esprit critique, sait se poser les bonnes questions, d’autre part qu’il a des bases dans certaines disciplines scientifiques, qu’il connait ne serait-ce que les unités de mesure, qu’il sait fouiller dans une base de données, calculer un pourcentage et que même, il a développé des outils lui permettant d’analyser la validité d’une étude.

«J’irais même plus loin, ajoute l’ex-présidente, qui durant son mandat avait lancé un cycle de conférences sur divers sujets scientifiques allant de la vaccination à la radioactivité en passant par les nanotechnologies et les médicaments, les journalistes scientifiques ainsi certifiés sauraient mieux que d’autres, quoi partager. Car, et c’est peut-être là une particularité du journalisme scientifique, même crédible, toute étude n’est pas forcément bonne à dévoiler telle quelle. Il faut tenir compte des réactions émotives qui peuvent traverser le public.»

Prix Fernand-Seguin

Si l’idée semble intéressante sur le papier et si Mme Vu Van se dit persuadée que les partenaires financiers traditionnels de l’ACS suivraient tant et aussi longtemps que l’association parviendrait à démontrer les retombées positives que représente le fait d’avoir une cohorte de journalistes scientifiques compétents en tant que filet de protection contre toute la «mauvaise science partagée partout», pour d’autres dans la salle, cela semble n’être qu’un doux rêve. Parce que le bassin québécois est bien trop faible notamment. Quelques dizaines de journalistes scientifiques revendiqués et une quinzaine de médias en tout et pour tout faisant appel à eux…

130316_rx7fc_lasphere_pascal_lapointe_sn635«Sans  compter que le monde journalistique ne fonctionne pas comme celui des ingénieurs, fait remarquer Pascal Lapointe, rédacteur en chef à l’Agence Science Presse. Le monde journalistique fonctionne plutôt comme le monde culturel. Allez dire à un artiste qu’il doit se faire certifier!»

Selon lui, des certifications existent déjà, et parmi elles notamment, le prix Fernand-Seguin, remis chaque année à un journaliste scientifique.

«Or, il y a des récipiendaires de ce prix dans les salles de nouvelles, poursuit-il. Il y en au moins à La Presse et à Radio-Canada. Mais combien d’entre eux sont affectés aux sujets scientifiques? Les compétences, les journaux les ont, parfois même en interne, et ils ne s’en servent pas.»

Lobbying

Et M. Lapointe de conseiller à l’ACS, plutôt que de vouloir d’emblée imposer une certification, de commencer par faire un travail de lobbying auprès des rédacteurs en chef, en leur montrant les erreurs qu’ils pourraient éviter en embauchant un journaliste scientifique ou en utilisant ceux qu’ils ont déjà dans leurs rangs.

«Il y a des moments qu’il ne faut pas manquer, affirme-t-il, et je crois qu’il y en a un en ce moment. Quand tous les journaux sortent l’histoire sur le gamin qui aurait trouvé une cité maya, aucun rédacteur en chef ne s’est demandé s’il pouvait passer par un journaliste spécialisé en archéologie. Ce travail, c’est à l’ACS de le faire. C’est à cette association d’aller dans les salles de nouvelles pour dire que cette erreur n’aurait pas été commise si le sujet avait été mis dans les mains d’un bon journaliste scientifique, capable de démêler le vrai du faux.»

Un journaliste comme l’Agence Science Presse souhaite en embaucher un. Un vérificateur de faits. Et preuve que la population y est sensible, la campagne de socio-financement sensée permettre de le payer, lancée début mai et qui prend fin ce vendredi, a d’ores et déjà atteint son objectif.

«La certification, pourquoi pas, conclut Pascal Lapointe, mais c’est un objectif à long terme. D’ici-là, nous gagnerions à tous nous arrimer afin de promouvoir le journalisme scientifique de qualité et faire reconnaître son apport à la société.»

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