Faire reconnaitre les journalistes comme des travailleurs culturels

Et à ce titre, leur octroyer les mêmes avantages que ceux des membres de l’Union des artistes (UDA). Voilà ce que l’Association des journalistes indépendants (AJIQ) défend dans le mémoire qu’elle a déposé dans le cadre des consultations sur le renouvellement de la politique culturelle provinciale. Elle sera vendredi à Québec pour défendre sa position.

Par Hélène Roulot-Ganzmann @roulotganzmann

pgu_0lTC«Reconnaissons les journalistes comme des travailleurs culturels et les journalistes indépendants à pus forte raison, répète le président de l’AJIQ, Simon Van Vliet, en entrevue avec Projet J. En les reconnaissant comme tels, c’est-à-dire comme des artistes au sens de la Loi sur le statut de l’artiste, on leur donnerait accès à la négociation collective. On n’est pas obligé de les reconnaitre comme des artistes professionnels, mais il faudrait leur trouver un statut qui leur donne droit à la mise en place des mêmes mécanismes, qui ont fait leurs preuves dans le domaine des arts.»

Dans le mémoire déposé le mois dernier et intitulé, l’Avenir du journalisme indépendant : un enjeu culturel de premier plan, l’AJIQ revient tout d’abord sur la dégradation des conditions de travail et des conditions de rémunération, donc de vie, des pigistes, et sur les conséquences de cette précarité grandissante sur la qualité de l’information.

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«Les entreprises de presse se trouvent de moins en moins à même d’assurer des conditions de travail décentes aux journalistes, mais aussi de moins en moins aptes (ou intéressées) à produire une information d’intérêt public, diversifiée et indépendante, peut-on lire. De plus en plus, l’actuelle régression des conditions de pratique nous ramène au journalisme d’avant les années 1950, caractérisé par des salaires médiocres, des conditions de travail précaires, l’absence de sécurité d’emploi et la vulnérabilité à toutes sortes d’influences et conflits d’intérêts.»

Constat d’échec

Mais pourquoi cette précarité alors que chez bien d’autres professions où dominent les travailleurs autonomes, les tarifs minimaux ont au moins suivi le cours de l’inflation? Parce que le journaliste indépendant n’est protégé par aucune loi, répond l’AJIQ. Rien n’oblige un éditeur de presse à offrir un tarif minimal. Il n’existe aucune loi, aucun règlement, qui encadre la relation entre le journaliste pigiste et l’éditeur, au contraire de ce que nous pouvons observer dans des métiers de la télé – cameraman, éclairagiste, scénariste, etc. – ou, plus généralement, chez tous les travailleurs autonomes encadrés par la Loi sur le statut de l’artiste.

Toutes les tentatives de réforme des vingt-cinq dernières années pilotées et promues par l’AJIQ, sont paralysées par un obstacle majeur, écrivent les auteurs du mémoire : nous n’avons pas l’assise juridique qui nous permettrait d’amorcer des négociations collectives. Pour contourner ce problème, l’AJIQ a tenté plusieurs expériences : appel à la solidarité des pigistes, rapprochements avec les syndicats de journalistes salariés, recours devant les tribunaux, application du Code du travail. Mais, toutes ces initiatives se sont soldées par le même constat d’échec. Tant qu’aucune loi ne permettra aux journalistes indépendants de négocier collectivement leurs conditions de travail, aucun gain durable ne sera possible.

«La seule loi en vigueur est celle du libre-marché autorégulé, commente M. Van Vliet. On voit aujourd’hui qu’elle a ses limites. Car si les journalistes indépendants vivent cette situation depuis une trentaine d’années, c’est maintenant toute la profession qui est touchée. Il y a de moins en moins de journalistes syndiqués car les salles de nouvelles se vident. Forcément, ceux qui restent ont plus de travail. Et partout dans le monde, dans toutes nos régions, des médias mettent la clé sous la porte.»

Gagnant-gagnant

Deux pistes de solutions sont ainsi apportées. La première consiste donc en une loi, s’appliquant spécifiquement aux journalistes pigistes, et qui aurait pour conséquence d’établir des contrats types, comme en ont déjà les scénaristes, les décorateurs, les maquilleurs et tous les artisans d’une émission de télé à l’exception des journalistes à la recherche. Un contrat établissant entre autres choses un tarif minimal, indexé chaque année au coût de la vie.

Ce cadre profiterait à tous, assurent les auteurs du texte. Journalistes, mais aussi éditeurs, qui y gagneraient des journalistes plus stables, moins éparpillés, avec plus de temps pour fouiller l’information, ce qui en retour, profiterait aussi aux citoyens et à l’État. Un tel cadre responsabiliserait tous les acteurs en assurant les conditions de base pour que les journalistes indépendants puissent effectuer leur travail comme il se doit.

La deuxième piste consiste à développer le financement des médias et en cela, l’AJIQ rejoint les revendications de la Fédération nationale des communications (FNC-CSN). Car si le métier est devenu si précaire aujourd’hui, c’est d’abord et avant tout parce que les médias traditionnels traversent une grave crise et pour certains, sont menacés de disparition.

Conseil du journalisme indépendant

«Il y a deux grands types d’organisations dans le milieu culturel, indique Simon Van Vliet. Les organismes à but lucratif soutenus par des crédits d’impôts, c’est le cas en télévision, en cinéma, en enregistrement sonore, et de l’autre les organismes artistiques qui sont soutenus au fonctionnement, selon les projets, comme dans les arts visuels, la littérature, le théâtre, etc. Pourquoi ne ferait-on pas la même chose dans les médias?»

Octroyer des crédits d’impôts aux entreprises de presse commerciales afin de les aider à prendre leur virage numérique et leur laisser le temps de réfléchir sérieusement à leur stratégie. Et pour les médias à but non lucratifs, imaginer des types de subventions qui pourraient être délivrées au travers de structures à inventer, du même type que le Conseil des Arts.

«Ce serait une sorte de Conseil du journalisme indépendant qui octroierait des bourses soit directement à un journaliste pour développer des projets, précise le président de l’AJIQ, soit aux médias ayant des projets qu’ils ne seraient pas en mesure de développer directement.»

Reste à savoir où trouver l’argent… et pour répondre à cette question, comme souvent ces derniers temps, les regards se tournent vers les géants de l’internet que sont Google, Facebook et consorts.

«Est-ce qu’on pourrait les taxer, eux qui ne produisent pas de contenus mais qui drainent vers eux la plus grosse part des revenus publicitaires aujourd’hui?, questionne M. Van Vliet en guise de conclusion. C’est ce vers quoi l’Europe se tourne. Et ce serait sans doute une avenue à explorer ici aussi.»

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