«Les journalistes ont tout ce qu’il faut pour réussir en affaires»

13511014_10153721294131220_5672929596095665720_nDans la série, le journalisme qui perd de belles plumes, voici Julien Brault. Le journaliste et blogueur des Affaires a quitté la profession ce printemps pour se lancer en business. Et en parlant de business, il a des mots très durs pour son ancienne industrie, qui selon lui, est tout bonnement mourante. Projet J s’est entretenu avec lui.

Par Hélène Roulot-Ganzmann @roulotganzmann

Il y en a un qui ne perd pas de temps. Le 3 avril, denier voici ce que Julien Brault écrivait dans son dernier billet de blogue au journal Les Affaires :

«Ce n’est jamais facile de quitter un emploi de rêve, mais c’est un choix bien mûri. Je quitte le journal Les Affaires pour me joindre à Ferst Capital Partners, une nouvelle fonderie montréalaise de start-ups en technologies financières (fintech pour les initiés). Je ne quitte donc pas le merveilleux monde des start-ups, mais celui du journalisme, qui m’a pourtant tellement apporté.»

Mais à peine trois mois plus tard, après avoir passé quelques semaines de vacances en Europe, on le retrouve sur Facebook avec ce statut:

«Une nouvelle aventure débute pour moi. Ce n’était pas prévu, mais je repars déjà à neuf avec un tout nouveau projet d’affaires. Et, cette fois, je n’ai pas de filet. Tout ce que j’ai est ma détermination, une idée (comme tout le monde) et un nouveau bureau au centre-ville, dans lequel j’ai “emménagé” ce matin.»

Entretemps, l’ex-journaliste spécialisé dans les nouvelles technologies, les médias sociaux, la mobilité et les start-ups, ne s’est pas entendu avec les fondateurs de Ferst Capital Partners. Il a donc décidé de lancer son propre business.

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Un petit retour aux sources d’ailleurs pour celui, qui avant même de devenir journaliste, avait lancé quelques petites entreprises, dont un journal et une maison d’édition.

«Je ne sais pas si je suis arrivé au journalisme par hasard, mais ce qu’il y a de certain, c’est que je n’ai pas le parcours conventionnel. Je ne suis même pas allé au Cegep. Dans ma tête d’adolescent, je pensais que c’était une perte de temps. Alors, comme je lisais beaucoup, je me suis dit que ce qu’il y aurait de plus naturel pour moi, ce serait d’écrire. J’écrivais encore et encore. J’ai commencé à envoyer des idées de sujets. C’était tout croche car je ne savais ce qu’était un synopsis. Et puis, je suis tombé sur un livre de Pierre Sormany, et là j’ai commencé à décrocher des piges.»

Industrie en pleine décroissance

En culture d’abord, ça ne paye pas mais il va au spectacle gratuitement. Opportuniste, il n’hésite jamais à appeler un rédacteur en chef pour lui proposer un sujet. Et ça fonctionne. Ses connaissances dans les affaires l’amènent petit à petit à faire sa place dans le milieu du journalisme économique. Il couvre de plus en plus le beat industrie des technologies et il finit par devenir blogueur régulier aux Affaires.

Il ne faut jamais devenir le pigiste le plus fiable car t’es certain de ne jamais te faire embaucher. Forcément, tu coûtes moins cher à l’extérieur et tu fais bien la job.

«J’ai alors quitté une première fois le journalisme pour faire de la stratégie médias sociaux, raconte-t-il. C’est là que Les Affaires m’a proposé un poste dans la salle de nouvelles. Je me suis rendu compte qu’il ne faut jamais devenir le pigiste le plus fiable car t’es certain de ne jamais te faire embaucher. Forcément, tu coûtes moins cher à l’extérieur et tu fais bien la job. Je suis resté quatre ans là-bas. Ce sont les plus belles années de ma carrière. J’avais un bon degré de liberté, tous en n’ayant plus à dealer avec les factures aux clients. Ça a été difficile de quitter.»

Et pourtant, il l’a fait. Parce qu’en entrant aux Affaires, il savait déjà que ce ne serait pas pour la vie. Parce qu’il avait conscience de naviguer dans une industrie en pleine décroissance où il lui serait difficile d’évoluer.

«Il y a des moins en moins de postes de gestionnaires, et ceux qui le sont doivent surtout gérer la décroissance, argue-t-il. Ce n’est pas très encourageant. Ultimement, ce que je souhaite, c’est être à la tête d’une entreprise. Peut-être que si les médias n’étaient pas dans cette situation de crise, ça aurait pu être une entreprise de presse, mais vu le contexte, j’ai préféré me lancer ailleurs, dans une de mes autres passions.»

Aucun regret

Il se lance donc aujourd’hui dans les technologies financières, plus communément appelées les fintech. Il espère convertir les jeunes à cette  nouvelle façon d’investir en leur proposant un discours et des produits qui leur parlent. Une expérience qu’il démarre sans filet aucun et qui s’appelle Hardbacon.

«J’ai besoin de cette mise en danger pour avancer, explique-t-il. Dans le journalisme, je me disais que j’allais continuer, que je pourrais changer de poste, changer de salle de nouvelles, mais qu’au final, je ferais quelque-chose que je savais être déjà capable de faire. Il fallait que je pense à la prochaine étape. Ça n’a pas été facile, ajoute-t-il car ce n’était pas évident d’envoyer des CV. Je souhaitais travailler dans le secteur que je couvrais. Si j’avais voulu devenir garde-chasse, ça aurait été autre chose. Mais là, je me serais placé en conflit d’intérêt.»

Malgré sa mauvaise expérience chez Ferst Capital Partners, Julien Brault ne regrette pas sa décision. Pour rester une année de plus? À quoi bon, se dit-il. Ce qu’il ne comprend pas surtout, c’est pourquoi il n’y a pas plus de journalistes qui se lancent dans les affaires. Selon lui, ils ont tout ce qu’il faut pour y réussir. La capacité à parvenir à parler avec n’importe quel grand patron, à s’inviter dans les partys où on ne les attend pas, et surtout, surtout, à faire des recherches.

Non au soutien de l’État!

Quant au regard qu’il porte sur l’industrie qu’il vient de quitter, il est partagé. Ce qu’il y a de certain, c’est qu’il ne comprend pas le mouvement qui pousse les plus grands joueurs du secteur à demander un soutien de l’État, synonyme selon lui, de perte d’indépendance.

«Mais il faut trouver le moyen de financer le journalisme utile, concède-t-il. Il me semble que le mouvement vers les fondations est plus intéressant. Il y a des milliardaires qui sont prêts à perdre de l’argent avec une salle de nouvelles. Je pense que ça va se multiplier à l’avenir.»

D’autant que selon lui, préserver l’essence d’une salle de nouvelles, à savoir ses journalistes, tout en publiant sur le web, ne serait pas très onéreux.

«J’ai calculé que dix à vingt millions de dollars dans une fondation placée à 6 %, généreraient entre 600 000 $ et 1,2 million sans manger le capital, avance-t-il. Ce qui serait suffisant pour soutenir une salle de presse de dix personnes à perpétuité!»

Vu sous cet angle, on comprend mieux pourquoi M. Brault n’a pas eu peur de sauter le pas pour créer son propre business…

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