Journaliste au Palais: révéler ce qui ne fonctionne pas dans la société

En ce début de mois de juillet, la salle de presse du Palais de justice de Montréal a pris ses quartiers d’été. De la dizaine de journalistes qui couvrent régulièrement la scène judiciaire et qui se retrouvent donc là, chaque matin ou presque, il ne reste en fait que Michaël Nguyen, journaliste au Journal de Montréal. Il sera donc le guide de Projet J.

Par Hélène Roulot-Ganzmann @roulotganzmann

Pas besoin d’accréditation pour faire partie de la petite bande de journalistes couvrant le Palais de justice de Montréal. Il suffit de montrer patte blanche à l’entrée en acceptant de faire passer toutes ses affaires au Rayon X et d’avoir le code de la salle 2.116, mise à la disposition des journalistes.

C’est ici que se retrouvent entre autres chaque matin ou presque, Christiane Desjardins de La Presse, Paul Cherry de The Montreal Gazette, Stéphane Giroux de CTV, Karine Bastien et Marc Verreault de Radio-Canada et bien sûr, Michaël Nguyen, du Journal de Montréal.

IMG_4552«C’est un peu comme notre deuxième chez nous, ici, explique-t-il. On y est bien plus que dans notre salle de nouvelles. En fait, je côtoie bien plus les journalistes des autres médias qui couvrent la scène judiciaire que mes propres collègues du Journal!»

Cet article vous intéresse? Faites-un don à ProjetJ.

M. Nguyen est affecté au Palais depuis ses débuts en tant que journaliste en 2011, d’abord à Rue Frontenac, puis au Journal de Montréal.

«Tous les matins, on vient faire un tour ici. On reçoit un exemplaire des dénonciations, c’est-à-dire toutes les personnes qui ont été accusées la veille. On a le programme de la journée. Certains jours, les procès à couvrir paraissent évidents. Mais dans d’autres cas, chacun fait son choix dans son coin. Il m’arrive de ne me rendre compte que le lendemain en lisant La Presse, de l’histoire que Christiane Desjardins a couverte la veille. Alors que c’est ma voisine de bureau. Il y a un vrai respect entre nous tous. Personne ne se vole le scoop de l’autre.»

Trouver la meilleure histoire

Un scoop? Comment peut-on avoir un scoop alors que tout le monde a le même programme entre les mains chaque matin?

«On a tous nos contacts, répond Michaël Nguyen. Notre travail consiste à trouver la meilleure histoire du jour parmi toutes celles qui sont à l’agenda. Il arrive qu’on m’appelle ou qu’on vienne frapper à la porte pour me conseiller de suivre telle ou telle affaire. Des avocats, des témoins, des victimes viennent nous voir. Généralement, ils s’adressent à l’un ou l’autre d’entre nous en fonction de leur préférence en matière de traitement de la nouvelle. Mais ça arrive aussi qu’on se trompe sur la meilleure nouvelle de la journée et c’est le lendemain qu’on s’en aperçoit dans les pages du concurrent. Ce n’est pas grave, c’est le jeu. L’important, c’est d’avoir une bonne moyenne.»

IMG_4545Et la bonne histoire, selon Michaël Nguyen, c’est d’abord celle qui va intéresser son public. Mais aussi celle qui va être révélatrice de ce qui ne fonctionne pas dans la société.

«Le droit, c’est le fondement de notre société, estime-t-il. Or, il y a plein de gens qui ont une méconnaissance du système judiciaire. J’essaye de les éclairer à mon niveau. Pour cela, il est parfois plus intéressant de raconter un vol de 5 000 dollars, plutôt  qu’un énième meurtre. C’est à nous de le sentir. Ça arrive aussi qu’on ait de la chance. On attend une affaire dans une salle, et juste avant, devant nos yeux, quelqu’un plaide coupable pour  quelque-chose de complètement fou. T’es tout seul dans la salle d’audience. Tu l’as ton scoop de la journée!»

Course au breaking news

Depuis quelques semaines, la grande nouveauté pour tous les journalistes couvrant un palais ou un autre à travers la province, c’est la possibilité qu’ils ont de twitter sans devoir sortir des salles d’audience.

«En fait, ce n’est pas seulement twitter, explique notre guide, c’est pouvoir utiliser son téléphone cellulaire, tant et aussi longtemps que ça ne nuit pas au procès. Ça veut dire que je peux twitter donc, mais ce n’est finalement pas ce que je fais le plus. Ça simplifie grandement mon travail car pendant les pauses, je peux regarder mes courriels, voir si j’ai des messages, je peux faire des vérifications sur internet. Et je peux surtout, écrire mon breaking news directement depuis la salle d’audience. Résultat, vers 10h, le Journal a un premier texte. Je remonte ensuite à la salle de presse pour le peaufiner et envoyer une version plus aboutie.»

D’autres journalistes twittent en direct certains procès, comme ces dernières semaines celui d’Henry Bain. Et s’il affirme qu’il n’y a pas de concurrence entre les journalistes présents au Palais, mais plus du respect mutuel, en cinq ans, Michaël Nguyen admet que la course au breaking news s’est accélérée.

IMG_4548

«Il y a une certaine satisfaction à être le premier sur la nouvelle et le fait que nous puissions utiliser nos cellulaires dans les salles le permet d’autant plus, conclut-il. Mais encore faut-il avoir du flair pour être là où il faut. Et je dois avouer que travailler au Palais est un immense privilège. Tous les journalistes qui y sont affectés sont de très grande qualité et j’ai tellement appris avec eux. Il y a une vraie entraide. Quand l’un d’entre nous n’est pas certain de ce que signifie une subtilité dans un verdict, il peut poser la question, il va être écouté. C’est dans l’intérêt de tous. Nous, journalistes, nos médias. Et surtout, le public.»

Ensuite, ici comme dans n’importe quelle salle de nouvelle tout autour de la planète, chacun se retrouve seul à sa table de travail pour tenter de sortir la meilleure nouvelle du jour. Celle qui sera reprise par tous les animateurs des émissions radiophoniques matinales.

À voir aussi:

Révélations au sein du MTQ: quand le journalisme fait sauter une sous-ministre

Les attachés de presse? Des gens «indispensables et emmerdants»

«Les journalistes ont tout ce qu’il faut pour réussir en affaires»

Revenus publicitaires: «les gouvernements devraient montrer l’exemple»

En 5 ans, la presse écrite a perdu un tiers de ses effectifs

Crise des médias : «l’inaction est inacceptable»

4 Canadiens sur 10 s’informent «surtout» en ligne

You may also like...