Lise Millette: un sentiment d’inachevé

1092713-presidente-federation-journalistes-quebec-liseAprès dix ans de bons et loyaux services, dont  dix-huit mois en tant que présidente, Lise Millette a démissionné cet été du conseil d’administration de la Fédération professionnelle des journalistes (FPJQ). Un agenda trop chargé l’y a poussé, mais sa décision reste encore à digérer, confie-t-elle à Projet J.

Par Hélène Roulot-Ganzmann @roulotganzmann

«Je ne veux pas parler d’échec, livre-t-elle, mais j’ai un sentiment d’inachevé. Mon implication a été longue. Dix ans, que ce soit au CA, au Trente et pour finir, à la présidence, avec un tas de dossiers non refermés. Je n’avais plus le choix tant d’un point de vue professionnel que personnel, je suis donc sereine par rapport à ma décision. Mais le deuil reste encore à faire.»

Élue à la vice-présidence de la FPJQ en novembre 2014, Lise Millette en était devenue la présidente en février 2015, alors que Pierre Craig démissionnait pour raison de santé. Un  mois après l’attentant dans la salle de nouvelles de Charlie Hebdo à Paris et alors que le petit monde du journalisme n’avait plus qu’une idée en tête, défendre la liberté d’expression et celle d’informer, condition sine qua non à la vie en démocratie.

Une préoccupation qui est devenue son cheval de bataille durant ses dix-huit mois de présidence. Une bataille qu’elle a menée notamment en région. Parce que nombreuses sont les voix qui s’y sont éteintes ces dernières années, via la disparition d’hebdomadaires, la concentration de la presse écrite ou encore la coupure d’heures d’antennes régionales tant à télévision qu’à la radio. Aussi parce que certains maires s’y comportent en «roitelets», selon l’expression de son prédécesseur, refusant ici, les caméras et les micros lors des séances de conseils municipaux, là, de répondre aux questions des journalistes.

«Quand je parle de sentiment d’inachevé, c’est que j’ai l’impression que ça bouge sur ce terrain, reprend-elle. Des consultations vont notamment être menées à l’automne sur la disparition de voix en région. Quant aux maires, ce sera probablement un objectif pour le prochain président. Il y aura des élections municipales l’an prochain, donc de nouveaux élus. Il va falloir recommencer notre travail de sensibilisation auprès d’eux. Leur faire comprendre ce qu’est notre métier.»

Lanceurs d’alerte

Mme Millette note par ailleurs que certains maires ont bien conscience du fait que l’extinction des voix en région n’est pas une bonne nouvelle pour eux non plus, notamment pour rejoindre les citoyens électeurs. Elle voit de l’espoir également dans l’élection du maire de Sherbrooke Bernard Sévigny à la présidence de l’Union des municipalités du Québec (UMQ). Un ex-journaliste.

Mais de son aveu même, c’est finalement un autre dossier, et celui-là qu’elle n’avait pas vu venir, qui l’a le plus occupée durant son mandat de présidente : celui de la protection des lanceurs d’alerte.

«Parce que le projet de loi 87 est arrivé sur la table, explique-t-elle. Ça m’a menée vers un autre type de réflexion. La bataille pour l’intérêt public et pour ceux qui veulent protéger l’intérêt du public, sera probablement la prochaine bataille collective que nous aurons à mener. Et pour la mener, il va falloir un concert de voix qui ne seront pas que journalistiques.»

La FPJQ a présenté un mémoire sur le sujet, qu’elle est allée défendre en commission parlementaire. Lise Millette a rencontré plusieurs sonneurs d’alarme et nombre de personnes de la société civile lui ont écrit à ce sujet.

«Personne ne parle en leurs noms, expose-t-elle. La Fédé peut prendre la parole pour défendre les journalistes. Mais ces M. et Mme tout le monde qui osent briser le silence pour dire qu’il y a quelque-chose qui ne fonctionne pas, quelque-chose qui n’est pas sain, ils ne font partie d’aucun ordre, d’aucune association, personne ne les protège. Et pourtant la société, la démocratie ont besoin d’eux.»

Attention aux exceptions

Un dossier qu’elle ne compte pas laisser tomber malgré son retrait du CA de la FPJQ. En tant que journaliste à l’Agence QMI, elle suivra les débats et les futurs projets de loi. Car oui, protéger ses sources incombe aux journalistes, mais selon elle, il faudra être très attentif à ce qu’on met dans les textes législatifs.

«Que ce soit le projet 87 qui doit faciliter la divulgation d’actes répréhensibles dans les organismes publics, que ce soit celui sur les lobbyistes, ou encore celui sur les municipalités qui ne devrait pas tarder lui non plus, il faudra faire très attention, prévient-elle. Déjà, on se rend compte que le gouvernement a décidé de protéger les sources secteur par secteur, plutôt que de voter un texte qui protégerait tout. Ça veut dire que chaque profession ou chaque catégorie aura ses exceptions, ses exemptions, ses limites. Ça va être difficile de savoir jusqu’où telle ou telle personne a le droit d’aller.»

Ce sera donc maintenant au prochain conseil d’administration de se pencher sur la question et de suivre le dossier. Selon les statuts de la FPJQ, Jean-Thomas Léveillé, reporter international à La Presse et vice-président de l’organisation depuis novembre dernier, a pris l’intérim de la présidence. Le conseil d’administration devrait se réunir au cours du mois de septembre pour établir un plan de match.

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