Journalistes et politiciens: «une incompréhension de part et d’autre»

Le maire de Sherbrooke, par ailleurs président de l’Union des municipalités du Québec (UMQ) et ex-journaliste, Bernard Sévigny, vient de se faire épingler par la Fédération professionnelle des journalistes (FPJQ) pour son non respect de la loi sur l’accès à l’information. ProjetJ s’était justement entretenu avec lui à ce sujet la semaine dernière. Entrevue.

Propos recueillis par Hélène Roulot-Ganzmann @roulotganzmann

ProjetJ: La loi sur l’accès à l’information est en discussion à Québec. Des voix s’élèvent pour mettre fin à toute la ribambelle d’exceptions propres à restreindre l’accès aux documents, mais aussi pour que les municipalités et les organismes municipaux parapublics y soient mieux assujettis. Y êtes-vous favorable?

berbard-sevigny-350x233Bernard Sévigny: On est un palier de gouvernement et on a donc des devoirs à faire en matière de transparence et d’accès à l’information. Mais est-ce qu’il y a lieu d’ouvrir d’avantage? D’abord, ce qu’il faut savoir, c’est que par rapport aux autres paliers de gouvernement, les villes et les municipalités produisent beaucoup de documents. Faut-il les rendre tous publics? Encore faut-il que l’informations soit compréhensible et intelligible. Il ne s’agit pas de mettre en vrac de l’information sur nos plateformes web par exemple, quitte à ce que le citoyen s’y perde. Sans compter que certaines municipalités sont encore à l’ère du papier. Penser que du jour au lendemain, on numérise tout ça pour le donner tel quel au citoyen… je crois qu’il y a une période de transition qu’il faut se donner. Mais l’objectif ultime de transparence est largement partagé.

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Vous êtes maire de Sherbrooke depuis 2009 et président de l’UMQ depuis ce printemps. La FPJQ épingle régulièrement des maires ou des administrations municipales pour des cas d’entraves au travail des journalistes. Est-ce un dossier qui vous préoccupe, notamment du fait que vous êtes vous-mêmes un ex-journaliste?

J’ai été membre de la FPJQ, j’ai participé plusieurs fois au congrès et je suis aujourd’hui politicien. Ce que je constate, c’est une incompréhension de part et d’autre. Il y a beaucoup d’appréhension de la part des maires, pour des raisons de perception, mais aussi parce qu’ils ont eu parfois de mauvaises expériences. D’un autre côté, les journalistes ne comprennent pas toujours nos contraintes dans la gestion des affaires municipales. Je m’en suis rendu compte une fois passé de l’autre bord, alors même que j’ai justement couvert les affaires municipales…

Vous excusez donc les maires?

Je dis que certains maires sont stressés à l’idée d’être interviewé. Ce ne sont pas tous de bons communicateurs, ils ne connaissent pas les ficelles, ils ont l’impression de se faire broyer par la machine médiatique, qu’on tente de les débusquer à tout prix. À l’UMQ, dans le cadre de nos assises, nous organisons régulièrement des ateliers sur les rapports entre les journalistes et les élus. Ce sont des ateliers qui sont toujours très populaires. Et ils permettent de démystifier.

La FPJQ avait un temps imaginé faire des rencontres entre des journalistes et les nouveaux élus municipaux pour expliquer leur travail et leur fonction de chien de garde de la démocratie. Dans l’optique des élections de 2017, est-ce quelque-chose que vous appelleriez de vos vœux?

Pourquoi pas. Mais il faudrait faire de la formation dans les deux sens…

Votre ville de Sherbrooke a été montrée du doigt cet été parce qu’un journaliste n’a pu pénétrer dans une réunion publique. Est-ce une erreur de votre administration selon vous, ou encouragez-vous ce genre de pratiques?

La question, c’est qu’est-ce qu’une réunion publique? Dans le cas de Sherbrooke, il s’agissait d’une séance d’information sur un sujet localisé qui mettait en cause certains citoyens contre d’autres. Nous les avions convoqués personnellement et la présence d’un journaliste aurait pu être intimidant et ainsi biaiser les discussions. Après la réunion, il y avait un journaliste à la porte et les participants ont pu raconter ce qu’ils souhaitaient, nous n’avons donné aucune consigne. Dans d’autres cas, il peut s’agir d’ateliers de travail sur des sujets stratégiques. Le huis-clos peut-être recommandé pour des raisons de vie privée également. En revanche, les conseils municipaux devraient toujours être accessibles aux journalistes. Ils devraient pouvoir y faire leur travail, enregistrer, filmer. C’est une nécessité pour la bonne santé de la démocratie.

Dans le même ordre d’idée, de nombreux journaux ont disparu en région ces derniers mois, les décrochages locaux, à la télévision et en radio, sont également moins nombreux. La situation inquiète-t-elle l’UMQ?

Au plus haut point! Le rôle des médias est fondamental en région. Il faut que l’information circule, que les gens soient au courant, que les travaux soient couverts. C’est la base de notre régime démocratique. Depuis dix ans, de nombreuses voix se sont éteintes. Il y a bien le web qui prend la relève, mais ce n’est pas viable financièrement pour l’instant. Une réflexion est entreprise à ce sujet dans les autres paliers de gouvernement. Comment soutenir les médias? Par des mesures fiscales? Il va falloir agir et vite. C’est un sujet qui revient souvent dans les conversations entre élus.

(((Photo d’archives – La Tribune)))

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