«Le nerf de la guerre, c’est l’argent»

Ricochet célèbre deux ans d’existence. Lancé en octobre 2014, ce média électronique indépendant, revendiquant une ligne éditoriale progressiste, avait vu le jour grâce à une campagne de sociofinancement ayant récolté près de 83 000 $. Projet J s’est récemment entretenu avec sa directrice de l’information et cofondatrice, Gabrielle Brassard-Lecours au sujet du modèle d’affaires et des projets d’avenir du média.

Par Elsa Iskander

aaeaaqaaaaaaaak1aaaajgjjngnhoty2lwvjmzitndu5ns1hnjuxltexowjmzdbindvhma«Depuis deux ans, il y a un million de personnes qui sont passées sur notre site, indique-t-elle, au sujet des visiteurs uniques. On a beaucoup élargi notre lectorat.»

Ce dernier est surtout composé de personnes ayant entre 18 et 45 ans. La tranche des 25-34 ans est surreprésentée. Ce sont aussi des lecteurs «plutôt branchés» étant donné que le média existe uniquement sous forme numérique et qu’aujourd’hui encore, le contenu est essentiellement relayé par les réseaux sociaux. Mais si au départ les lecteurs passaient en très grande majorité par ce biais pour rejoindre le site internet, la tendance a quelque peu changé. Aujourd’hui, aux dires de la directrice de l’information, environ la moitié des lecteurs se rendent directement sur le site du média.

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Mais alors pourquoi lancer un nouveau média, alors que plusieurs s’entendent pour dire que le journalisme est en crise? L’idée a germé aux alentours de la grève étudiante de 2012. Ses fondateurs estimaient que la couverture médiatique des évènements manquait d’objectivité. Ils ont ainsi décidé de mettre sur pied un média ouvertement progressiste et qui s’intéresserait à des enjeux peu couverts, tels que les inégalités sociales. Le français Médiapart leur a servi de modèle d’inspiration.

Toutefois, les marchés français et québécois sont différents, ne serait-ce que par leur taille, observe Mme Brassard-Lecours.

Payer les journalistes

«On est un média professionnel qui travaille dans les règles de l’art, précise la directrice de l’information. On ne demande pas à nos journalistes de se situer politiquement: on réserve ça à nos éditorialistes, nos chroniqueurs, nos blogueurs.»

C’est plutôt l’angle choisi dans le traitement journalistique des évènements qui va refléter le positionnement à gauche du média.  Afin de s’assurer d’avoir un contenu de qualité, Ricochet paie les journalistes et chroniqueurs qui y collaborent.

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C’était une «condition sine qua non que de contribuer à l’amélioration du travail des journalistes au Québec en les payant, même si c’est assez symbolique pour le moment du fait de notre situation financière un peu précaire», indique Mme Brassard-Lecours, qui  œuvre également comme journaliste au sein du média. Si la rémunération des journalistes n’est pas à la hauteur des standards de l’Association des journalistes indépendants (AJIQ), Ricochet souhaite accroître celle-ci dès que ses moyens financiers le lui permettront.  Pour l’instant, l’équipe de gestion travaille bénévolement. Elle peut compter sur trois employés à temps partiel qui réalisent, entre autres, des tâches administratives et informatiques.

Divers moyens de financement

«On a beaucoup habitué la population à la gratuité de l’information, mais je pense qu’il y a moyen de renverser un peu la vapeur, soutient Mme Brassard-Lecours. Les gens commencent à réaliser qu’une information de qualité, ça se paie, parce qu’il y a des gens derrière.»

Ricochet, qui est structuré en OBNL, a été lancé grâce à l’argent récolté lors d’une campagne de sociofinancement menée sur Indiegogo. Près de 83 000 $ ont été donnés par plus de 1 500 personnes. Cette somme a permis de créer le site web et de payer les journalistes pendant près d’un an.

«Le sociofinancement, c’est une super mise de fonds, mais ça ne peut pas être un financement récurrent», mentionne Mme Brassard-Lecours, tout en soulignant l’importance de diversifier les sources de financement.  À noter que Ricochet a deux éditions: une francophone et une anglophone, qui se partagent le même budget global même si les administrations sont différentes.

Pour financer ses opérations, le média compte actuellement sur la publicité – qui doit cadrer avec la ligne éditoriale –, les 600 abonnements à 5 dollars par mois et les dons – 1000 dollars mensuels sont récoltés ainsi. La recherche de nouveaux abonnés est un dossier prioritaire. En outre, Ricochet a fait des demandes de subventions auprès de différents paliers gouvernementaux afin de financer des projets spécifiques.

«Nous, on milite beaucoup pour une aide étatique» pour les médias, qui sont un outil démocratique, spécifie Mme Brassard-Lecours. Cette aide pourrait prendre la forme d’une enveloppe partagée entre différents médias ou de crédits d’impôt par exemple.

Faire de l’international, c’est possible

Diplômée de la Maîtrise en communication publique – journalisme international de l’Université Laval, Gabrielle Brassard-Lecours tenait à avoir une section dédiée à l’international dans le média qu’elle a cofondé.

«C’est un peu le boulot des médias d’intéresser les gens sur ce qui se passe ailleurs et non l’inverse», pense-t-elle.

Si l’actualité internationale est peu présente dans le paysage médiatique québécois, la directrice de l’information de Ricochet reste convaincue qu’il est bel et bien possible de produire ce type d’information à un coût raisonnable.

La majorité des propositions d’articles qu’elle reçoit concerne des sujets internationaux. Celles-ci proviennent  notamment de journalistes séjournant à l’étranger. Si les billets d’avions et autres dépenses demeurent aux frais du journaliste, ce dernier est néanmoins rémunéré pour l’article soumis. Mme Brassard-Lecours peut aussi compter sur un réseau de personnes à l’étranger, auxquelles elle peut passer des commandes.

«Nos articles internationaux fonctionnent aussi bien que tout le reste de nos articles, précise-t-elle. Ce n’est pas vrai qu’il n’y a pas d’intérêt de la part de la population pour ça, au contraire.»

Projets d’avenir

Pour l’avenir, Ricochet voit grand et ce ne sont pas les idées qui font défaut.

«C’est sûr que nous on a des grands rêves», confie Mme Brassard-Lecours.

L’équipe de gestion aimerait bien pouvoir se rémunérer pour les heures faites et un jour, disposer d’une petite salle de rédaction, avec quelques journalistes rémunérés à temps plein. Pour le moment, le média songe à développer davantage sa plateforme web et à diffuser des podcasts. Il se penche aussi sur la possibilité d’avoir une édition papier, qui pourrait prendre la forme d’un magazine publié de façon annuelle ou biannuelle.

«L’avantage d’être un petit média indépendant, c’est justement qu’on peut innover, on peut tester des choses», note Gabrielle Brassard-Lecours.

Quant à la nature du journalisme produit, une place plus grande pourrait être accordée à l’enquête puisqu’il ne s’en fait pas assez au Québec, aux yeux de la directrice de l’information.

«On a beaucoup de projets mais on ne prend rien pour acquis, souligne la cofondatrice. On sait qu’on a parti un média dans une conjoncture qui n’était pas idéale pour les médias. Toutefois, cela a aussi permis d’apporter un nouveau souffle et surtout un nouvel espace pour les journalistes, pour les gens qui avaient des idées un peu plus progressistes. D’ailleurs, on sent une grosse pression de maintenir notre existence, notamment pour offrir une tribune aux voix qui sont moins entendues. Mais aussi, afin de montrer qu’il est possible pour un nouveau média de survivre. La question financière demeure à l’avant-plan. Comme pour tout projet, le nerf de la guerre, c’est l’argent.»

Ricochet continue sa recherche de moyens financiers pour supporter ses opérations. Questionnée sur sa vision à long terme , Mme Brassard-Lecours dit se soucier notamment de la pérennité du média. L’objectif étant qu’il demeure présent dans l’écosystème médiatique québécois.

«J’espère que si l’on n’est plus là dans cinq ans, au moins Ricochet va s’être inscrit dans l’histoire des médias au Québec et va avoir participé à soulever des enjeux, à faire partie des débats autour des médias», conclut-elle.

(((Photo LinkedIn)))

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