Une trousse média pour mieux couvrir les agressions sexuelles

Actualité oblige, il est beaucoup question d’agressions sexuelles et de culture du viol dans les médias québécois depuis une dizaine de jours. Pur sensationnalisme? Si l’on se réfère à la trousse média mise à la disposition des journalistes par l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ), on se rend vite compte en tout cas que la couverture de ces derniers jours est loin d’être irréprochable.

Par Hélène Roulot-Ganzmann @roulotganzmann

La chroniqueuse Sophie Durocher a beau tourner «sept fois [ses] doigts au-dessus de [son] clavier», elle n’en remet pas moins en cause le témoignage d’Alice Paquet, l’étudiante qui accuse le député Gerry Sklavounos d’agression sexuelle. Son credo? Les multiples revirements dans les différentes entrevues que la jeune femme a donné ces derniers jours.

Alors que dans le même Journal de Montréal/Québec, son collège Claude Villeneuve, lance quant à lui un fort «On vous croit», s’appuyant sur ce qu’il voit de la vie polico-mondaine sur le Grande-Allée à Québec. Car oui, selon lui, il y a bien une culture du viol en politique. Et oui, quand le nom de la personne accusée par Alice Paquet est sorti, tout le monde qui connaît le milieu a dit: «On le savait.»

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On le savait peut-être… mais il ne s’agissait que de rumeurs. Pas assez pour aller voir les journalistes et la police, de l’aveu de M. Villeneuve. Tant que le Monsieur n’était pas formellement accusé disons, car depuis, les langues se délient quant à ses agissements.

Dans un billet de blogue, la journaliste de la Voix de l’Est, Marie-Ève Martel souligne ainsi que L’agresseur allégué n’a pas été épargné.

«Il était  d’intérêt public de ramener dans l’actualité une plainte formelle formulée à son endroit par une jeune page péquiste en 2014, estime-t-elle. Mais qu’en est-il des ragots de couloir? La réputation d’un individu, même si elle en dit long sur son caractère, a-t-elle systématiquement sa place dans les médias?»

Pour répondre à cette question, la journaliste cite un article du code de déontologie de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ).

Une rumeur ne peut être publiée sauf si elle émane d’une source crédible, et si elle est significative et utile pour comprendre un événement. Elle doit toujours être identifiée comme une rumeur. Dans le domaine judiciaire, la publication de rumeurs est à proscrire.

Vers un ratage judiciaire

 D’autant qu’elles ne servent pas la procédure judiciaire, et surtout pas la victime, affirme pour sa part le chroniqueur judiciaire de La Presse, Yves Boisvert.

«Le procès de Gerry Sklavounos s’instruit à l’Assemblée nationale, dans les médias sociaux, dans les médias tout court. Les journalistes étalent sa réputation de dragueur, sinon de harceleur, des députés exigent sa démission, écrit-il. La table est mise pour un autre spectaculaire ratage judiciaire, mesdames et messieurs. Comme on en a connu un dans l’affaire de l’animateur torontois Jian Ghomeshi.»

Lui, ne remet pour autant pas en cause la version d’Alice Paquet. Il dit avoir couvert assez de procès d’agression sexuelle pour savoir qu’il n’y a pas une « bonne façon » de réagir comme victime.

«Ni les tiraillements, ni les hésitations, ni les contradictions, ni les délais à porter plainte ne sont particulièrement étonnants», insiste-t-il.

Plus loin, il souligne cependant que ce n’est pas être « contre » les victimes que d’avoir en horreur les procédés de procès dans les médias et les médias sociaux sur fond de surenchère politique.

«En creusant ainsi dans le passé des protagonistes de cette histoire, sombrons-nous dans le voyeurisme?, questionne alors Marie-Ève Martel. Jusqu’à quel point peut-on utiliser le prétexte de l’intérêt public pour envahir la vie privée d’autrui?»

Et surtout jusqu’à quel point le voyeurisme et le sensationnalisme servent véritablement l’intérêt public. Jusqu’à quel point la couverture médiatique influence la compréhension que le public a des agressions sexuelles? Influence-t-elle aussi l’issue d’un éventuel procès?

«Est-il coupable ou pas?, questionne Yves Boisvert en guise de conclusion. On n’en est pas là. Condamner quelqu’un sans preuve, ça n’aide aucune victime. Laisser un violeur échapper à la justice par imprudence ou précipitation, non plus.»

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Rôle préventif des médias

Pour y voir plus clair et pour aider les professionnels des médias à prendre de bonnes décisions lorsqu’ils couvrent un sujet aussi sensible que le sont les agressions sexuelles, l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ) a mis en ligne une trousse média sur le sujet.

«La couverture médiatique des crimes, dont les agressions sexuelles, influence les connaissances, les croyances, les attitudes et les comportements de la population face à ces phénomènes, peut-on lire. Puisqu’il est reconnu que les croyances et attitudes cautionnant l’agression sexuelle jouent un rôle important dans l’existence du phénomène et sur la réponse de la société face à l’agression sexuelle, les médias peuvent jouer un rôle dans la prévention des agressions sexuelles.»

Comment? En sortant du fait-divers et de l’émotion. En faisant mieux connaitre les causes sociales et les coûts sociaux importants associés aux agressions sexuelles, les médias peuvent sensibiliser la population à l’effet que l’agression sexuelle est un problème de santé publique qui concerne toute la société. Inutile donc de dramatiser.

Sordide affaire, gestes odieux, gestes inqualifiables, acte révoltant, assouvir ses bas instincts, problème de pulsions, n’a pu se contrôler, le pervers, le tyran, le bourreau, le lubrique individu, la malheureuse… autant de mots et d’expressions qui sont à bannir. Attouchements est également préféré à caresses, qui correspond à un toucher de nature sensuelle. Éviter le terme de «pulsions», qui laisse entendre que l’agresseur ne peut se contrôler ou encore de «victime parfaite», qui entretient l’idée qu’il existe un portrait type de la victime, fragile et vulnérable.

Par ailleurs, le recours à des témoignages de l’entourage des personnes impliquées dans une agression sexuelle permet peu d’informer la population de manière juste sur les agressions sexuelles, apprend-on. Il est recommandé plutôt de consulter des experts (intervenants, chercheurs, etc.) dans le domaine des agressions sexuelles.

Quid des chroniqueurs s’exprimant sur tout et n’importe quoi et n’ayant pas une expertise particulière sur la question? La trousse ne tranche pas clairement sur leur cas. Mais à la lecture des différentes recommandations, on comprend assez aisément que leurs interventions ne permettent certainement pas d’assurer une meilleure compréhension des agressions sexuelles.

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