Les journalistes préparent la commission d’enquête

Le congrès de la Fédération professionnelle des journalistes (FPJQ) a été l’occasion la fin de semaine dernière d’un premier remue-méninges en vue de la commission d’enquête sur l’espionnage des journalistes par les corps policiers du Québec. Quelques idées sont déjà ressorties.

Par Hélène Roulot-Ganzmann @roulotganzmann

Saisir le momentum pour mettre de l’avant le métier de journaliste et toute l’importance qu’il revêt pour la survie de la démocratie en ces temps troublés où l’on peut mettre un journaliste sur écoute pendant des mois en toute impunité et où la vie privée du quidam moyen n’a plus de privé que le nom. Faire comprendre au public que les journalistes qui défendent la protection de leurs sources ne se battent pas pour préserver leur petit pré-carré, mais bien pour l’intérêt du public à obtenir une information libre et indépendante de toute pression. Redorer le blason d’une profession mise à mal par le cynisme ambiant. Si la commission d’enquête qui s’ouvrira dans les prochaines semaines pour se refermer d’ici dix-huit mois environ pouvait parvenir à ces objectifs, alors une partie du pari serait déjà gagnée.

C’est en tout cas ce que pensent plusieurs journalistes et avocats présents samedi dernier en fin de congrès à la table ronde organisée par la FPJQ pour commencer à définir qu’elle devrait être la ligne de la profession lors de cette commission.

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Mais au-delà de cet objectif très général, plusieurs propositions ont été faites lors de cette première heure de discussion. Propositions qui seront débattues de nouveau au cours des prochaines semaines.

«Nous devons obtenir qu’il y ait un point de vue médias lorsque les autorisations de mise sur écoute d’un journaliste sont octroyées par un juge à un policier, croit l’avocat Christian Leblanc, qui sera le représentant des médias à la commission d’enquête. Aujourd’hui, tout se passe à huis clos et ça prend cinq minutes. Personne n’est là pour éclairer le juge, pour faire contrepoids, comme c’est le cas dans toutes les procédures judiciaires. Je n’en connais pas moi, des juges qui se lèvent le matin et qui se disent qu’est-ce que je peux faire contre les médias aujourd’hui. Ce serait intéressant qu’il y ait quelqu’un qui puisse attirer son attention sur les mesures jurisprudentielles pour l’instant, et législatives plus tard si on en arrive-là.»

Intéressant également dans un premier temps de savoir combien de temps le policier est resté dans le bureau du juge, afin de pouvoir déterminer s’il y a eu débat ou si la mise sur écoute a été décidée sur simple demande.

Renverser le fardeau de la preuve

20161119_cl_fpjq_244Éric-Yvan Lemay, journaliste du Journal de Montréal ayant eu la malheureuse surprise de voir son domicile perquisitionné par le Service de police de la ville de Montréal (SPVM) salue pour sa part l’annonce du gouvernement de Philippe Couillard selon laquelle le Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) devra donner son accord avant qu’un journaliste soit mis sur écoute. Il ajoute que ce ne sera pour autant pas suffisant.

«Parce que certains mandats sont donnés sur la foi de calomnies et de mensonges», appuie la journaliste judiciaire de Radio-Canada, Isabelle de Richer.

«Dans mon cas, il y avait une avocate du DPCP qui avait donné son accord, précise M. Lemay. Est-ce qu’elle connaissait bien le droit des médias? Non. Est-ce que la présence d’un troisième homme pourra faire la différence? Peut-être parfois. Mais, éventuellement, ils vont toujours trouver un prétexte pour obtenir un mandat d’écoute. Sous couvert de terrorisme, si en tant que journaliste, il se peut qu’on ait des contacts avec un individu qui représente un risque pour la sécurité de l’État, etc. Dans des cas comme ça, ils vont l’obtenir le mandat. Alors ma question, c’est comment nous assurer que les numéros vérifiés sont uniquement ceux qui sont d’intérêt pour les policiers?»

Difficile, selon Mark Bantey, avocat spécialisé en droit des médias. Parce que la cour suprême a refusé d’accorder un statut particulier aux privilèges des journalistes.

«Elle considère que le privilège doit être fondé sur une analyse des circonstances de chaque cas, explique-t-il. De sorte qu’on n’est jamais certain qu’on pourra l’invoquer. N’oublions pas que la cour a décidé que ce sont les journalistes et les médias qui ont le fardeau de démontrer que l’intérêt public à protéger les sources est supérieur à l’intérêt de la couronne à enquêter sur les crimes. Il faut renverser cela. Nous avons besoin d’une loi qui parte du principe que les sources journalistiques sont confidentielles et que c’est à celui qui cherche à les identifier de prouver la nécessité de les dévoiler.»

Vivre en mode parano

Affecté aux affaires criminelles depuis plusieurs années au Journal de Montréal d’abord et à La Presse aujourd’hui, Daniel Renaud se veut lui beaucoup plus pragmatique. En attendant une hypothétique loi qui protégerait ses contacts, il préfère jouer la paranoïa et appelle tous les journalistes à faire de même. Selon lui, une seule solution pour ne pas mettre les sources en danger, faire comme si nous étions tous mis sur écoute, et ce, de manière tout à fait illégale. Parler à ses sources dans le creux de l’oreille.

Il explique que pour qu’un mandat comme celui qui a été donné au SPVM pour mettre Patrick Lagacé ou les journalistes de l’émission Enquête, ait été obtenu… les cellulaires de ces journalistes avaient surement être écoutés bien avant que l’autorisation n’ait été donnée.

«Ça fait des années que j’ai des doutes, indique-t-il. Je vis dans la paranoïa depuis 2009 et je vous invite à le faire vous aussi. Je sais que les services de police font de l’écoute illégale. Ils vont à la pêche, à un moment donné, ils tombent sur quelque-chose et là, ils demandent un mandat.»

Enterrer l’article 6 du projet de loi 87 qui fait en sorte que les lanceurs d’alerte perdent leur protection s’ils s’étalent dans les médias, faire en sorte que les journalistes récupèrent le droit d’écouter les ondes policières afin qu’ils soient les seuls à déterminer ce qui est d’intérêt pour leur public, s’attaquer également au fédéral, qui pour l’instant couvre les pratiques de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) en matière d’espionnage des journalistes, autant de sujets qui devront également être mis sur la table lors de la commission d’enquête ou de tous les débats qui surgiront autour.

Faire témoigner des journalistes?

Au-delà du fond, il faudra aussi se questionner sur la participation des journalistes à cette commission. Christian Leblanc sera leur représentant, c’est une chose. Des avocats représenteront certainement chaque média individuellement. Mais que feront les syndicats par exemple? Devrait-on tous parler d’une même voix? Faudrait-il faire témoigner des journalistes?

«Il y a des forces qui voudront que ça se passe sans les journalistes, répond M. Leblanc. Je vois mon rôle comme celui d’un porte-parole de la réalité journalistique. Est-ce que ça ira jusqu’à faire témoigner des journalistes? Moi, ça me fait peur parce que ça veut dire qu’ils vont s’expliquer mais aussi qu’ils vont être contre-interrogés. Et alors là, on peut tomber dans des dérives qui questionneraient les pratiques journalistiques. C’est sûr qu’on va entendre ici-et-là que finalement, pourquoi les journalistes se mêlent de ça, pourquoi ils ne laissent pas ça aux services de police. Il faut à tout prix éviter ça.»

Autant d’idées et de questions qui sont ressorties de cette première réunion à Saint-Sauveur. Le remue-méninges continue et les membres de la FPJQ seront de nouveau appelés à partager leurs idées dans les prochaines semaines.

(((Photo FPJQ)))

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