Accès à l’information : resserrer les délais, limiter les exemptions, sanctionner

La commissaire à l’information du Canada Suzanne Legault était de passage à Montréal la semaine dernière pour une conférence sur l’accès à l’information comme pilier de la transparence et de la démocratie. À cette occasion, elle a appelé à un dépoussiérage en profondeur de la loi.

Par Hélène Roulot-Ganzmann @roulotganzmann

Le Canada s’est doté d’une loi sur l’accès à l’information en 1983, le Québec avait lancé le mouvement un an auparavant.

«On a l’impression que c’est n’est pas très loin les années 80, mais du point de vue de l’évolution de la société, c’est un autre temps, commente Mme Legault. En 1983, l’ordinateur, c’est nouveau, Microsoft Word vient de faire son apparition et internet n’en est qu’à ses balbutiements. Depuis, nous avons connu la révolution numérique. C’est équivalent à la révolution industrielle du point de vue des changements. Et en matière de données, ça a tout modifié. C’est pourquoi la loi sur l’accès à l’information doit être profondément revue.»

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Ainsi la quantité de données numériques avec laquelle on fait affaire aujourd’hui est devenue astronomique. Surtout, le monde s’est transformé. Alors que les gouvernements étaient plutôt insulaires, explique Mme Legault, dans les dernières décennies, ils se sont mis de plus en plus à travailler avec des entreprises privées.

«Ils travaillent avec des partenaires privés et semi-privés, qui eux-mêmes ont des contractants, précise-t-elle. L’information du gouvernement n’est plus seulement à l’interne, au sein des organismes publics. C’est extrêmement compliqué aujourd’hui de garder la traces de documents qui font partie du capital informatique et informatif de nos gouvernements.»

Resserrer les délais

 Et ce, alors même que le public est de plus en plus impatient.

«Les citoyens eux-aussi ont changé, analyse la commissaire à l’information. Ils ne supportent plus d’attendre. Or, l’an dernier, j’ai été obligée d’aller en appel pour faire casser la décision d’un gouvernement qui s’était donné un délai de plus de trois ans pour répondre à une demande d’accès à l’information. Il y a une dissonance entre l’expectative du citoyen et la façon dont les gouvernements sont prêts à répondre.»

Et voilà donc l’une des recommandations émises par le commissariat en vue de moderniser la loi sur l’accès à l’information dans un contexte numérique : resserrer les délais. Dans le cas de la tragédie de Lac-Mégantic, le ministère des transports préconisait un an d’attente.

«Ça n’a rien de réaliste dans la société actuelle», croit Mme Legault.

Autres recommandations, élargir le champ de l’accès à l’information à tous les organismes publics et parapublics sans exception, encourager la divulgation maximale avec des exemptions bien plus limitées et bien mieux définies qu’elles ne le sont aujourd’hui, ou encore obliger à documenter.

Éviter l’évitement

«Il s’agit de s’assurer que des documents sont créés, explique la conférencière. Car sans document, il n’y a pas d’accès aux documents possible. Or, si je ne considère que les courriels entre collègues, personne ne s’arrête pour vérifier que ceux-ci sont bien classés de manière à faire partie d’un dossier qui puisse être consultable sur demande. Et puis, il arrive que l’on réponde à un message sur son téléphone intelligent depuis son adresse personnelle… Pire, une tendance à l’évitement a cours ces derniers temps, avec des fonctionnaires qui préfèrent régler leurs affaires par téléphone pour ne pas produire de documents qui pourraient être soumis à la loi sur l’accès à l’information. Étant donnée la masse d’information numérique avec laquelle nous travaillons aujourd’hui, si nous ne voulons pas qu’elle se perde en route, il va falloir obliger à tout documenter et tout classer.»

Mieux, les organismes publics devraient être obligés de divulguer l’information lorsque c’est dans l’intérêt public, sans même qu’il n’y ait de demande d’accès, croit la commissaire, qui parle d’une «obligation positive» à imposer aux gouvernements, notamment lorsqu’il y a un risque pour la santé des personnes, pour l’environnement, etc.

La commissaire souligne que c’est d’ailleurs une pratique que l’on voit de dessiner, plutôt au niveau municipal, mais aussi de plus en plus souvent aux paliers provincial et fédéral. Les données ouvertes, d’une part, qui permettent à tout citoyen mais aussi aux journalistes d’aller à la source. Mais aussi, de plus en plus souvent, des informations ouvertes et un dialogue ouvert, notamment via les réseaux sociaux.

Appliquer les sanctions

Mais toutes ces recommandations, si elles venaient à trouver leur place dans le futur texte de loi d’accès à l’information, n’auraient aucun impact s’il n’y avait pas plus de sanctions en cas de manquement.

«Nos lois à travers tout le Canada ne contiennent pas de sanctions, ni autres mesures d’amende en cas de non-conformité, regrette Suzanne Legault. Il y a deux dispositions criminelles au fédéral si jamais il y a entrave aux enquêtes de la commissaire ou en cas de falsification, de destruction ou de dissimulation d’information de façon délibérée. Mais on propose de mettre en place tout un spectre disciplinaire qui irait des amendes administratives aux dispositions criminelles, ces dernières étant par ailleurs très difficiles à faire appliquer.»

Quoi qu’il en soit, et pour ne pas se retrouver dans trente ans une nouvelle fois avec un  texte qui ne soit plus adapté, le commissariat préconise d’insérer au sein même de la loi, l’obligation d’en assurer un examen périodique.

«Il faut que les parlementaires s’assurent régulièrement que la loi est encore alignée avec la réalité de la société pour éviter de revenir à la situation que l’on connait aujourd’hui, conclut Suzanne Legault. Nous avons une loi adaptée, j’aurais envie de dire… à l’âge de pierre, mais je dirais à l’âge du papier. Certainement pas à l’âge numérique dans lequel nous vivons aujourd’hui. Et à l’allure où vont les choses, aussi bonne soit-elle, une loi de 2016 ou 2017 sera certainement à réviser dans cinq ans.»

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