Avenir du journalisme: réconcilier deux générations

Le dernier numéro de Méta-Média, magazine de la prospective à France Télévisions, s’intéresse à la «génération #NoBullshitt». Ou comment les médias traditionnels devraient se renouveler pour entrer en communication avec les Milléniaux et éviter ainsi de sombrer. Compte-rendu.

 Par Hélène Roulot-Ganzmann @roulotganzmann

Pourquoi la plupart des dirigeants de médias font-ils comme s’ils n’avaient pas d’ados à la maison?, questionne Éric Scherer, directeur de l’innovation et de la prospective à France Télévisions.

Car selon lui, il suffirait de les observer pour comprendre à quoi devra ressembler l’information de demain.

«Demandez-leur donc si leurs enfants regardent la télé, écoutent la radio, lisent un journal, parcourent un magazine, écrit-il. La réponse est quasiment toujours la même: «Heu… non ! Ils sont sur YouTube, Facebook, Snapchat, Instagram, Netflix, Spotify… ou un jeu vidéo», avec un téléphone intelligent ou un ordinateur. Et pourtant ces dirigeants – qui savent bien que leur monde change très vite – semblent continuer à privilégier leur audience vieillissante aux usages déclinants, en négligeant la génération montante, celle qui s’apprête à prendre les commandes, celle qui est déjà là.»

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Les jeunes s’informent avant tout sur Facebook. Et de plus en plus souvent préfèrent que des algorithmes – jugés plus démocratiques – choisissent pour eux les infos plutôt qu’un éditeur, en raison de leur supposée absence d’agenda politique, de la variété de leurs sources et de leur capacité à personnaliser l’offre. Des jeunes qui se voient aussi de plus en plus comme éditeurs de leur propre flux d’actualités, et qui souvent préfèrent le texte pour être informés.

Voilà ce que révèlent les chiffres, sondages après sondages.

Facebook EST l’internet

Car comment voulez-vous que les jeunes du 21e siècle numérique, sollicités de toutes parts, se retrouvent dans un paysage TV caduque qui a si peu bougé depuis des décennies?

«Les baby boomers ont étranglé le monde des médias et de la publicité pendant toute une génération (…) Leur étau est finalement brisé par une génération très éduquée, diverse ethniquement, difficile à atteindre, et qui pense mondialement. Les médias ont du mal à s’adapter à ce changement rapide», a résumé fin août le patron de Vice Media, Shane Smith, à Edimbourg en Écosse.

Or, la révolution est en cours, ajoute M. Scherer. Dans la manière d’apprendre, de se socialiser, de travailler, et bien évidemment de s’informer, se cultiver et se divertir.

«En d’autres termes, précise-t-il, les jeunes dictent aussi – ô combien désormais – leurs nouvelles lois aux médias.»

Ainsi, résume l’expert en innovation médiatique, leurs médias obéissent à trois règles simples: ils proposent des contenus qui les intéressent; ils sont forcément mobiles (donc disponibles partout), sociaux (pour le partage) et contiennent beaucoup de vidéos; leur staff est le reflet de leur audience, et leur audience est le reflet de leur staff.

«L’âge moyen des Milléniaux est de 26 ans, rappelle-t-il. C’est aussi l’âge moyen des employés de Facebook, Mic, Vice ou AJ+. Leur porte d’entrée du web n’est plus Google, mais Snapchat, Instagram ou Facebook, qui sont en train de gagner la bataille de l’attention. D’ailleurs pour de nombreux jeunes, Facebook EST l’internet, et non plus seulement une plateforme.»

Snapchat

C’est aussi une audience à durée d’attention réduite, qui regarde son téléphone intelligent de manière verticale, qui filme en mode portrait, qui pratique le «news snacking», la consommation de nombreuses vidéos d’informations courtes et partageables.

D’où la montée en puissance de Snapchat, application de messagerie instantanée, de selfies et de partage de photos et vidéos souvent remixées, qui entend, comme Facebook, prendre la place de la télévision – et lui piquer les milliards de la publicité – avec ses contenus vidéos originaux qui incluent aussi bien les breaking news que des séries de 6 à 8 minutes, des comédies ou des shows de téléréalité.

«Surtout, indique Éric Scherer, Snapchat reste pour l’instant un refuge «pour jeunes» face à un Facebook envahi par les parents et grands-parents!»

Mais à ce petit jeu-là, estime-t-il, cette génération hyper-connectée peut paradoxalement être complètement déconnectée de la réalité, elle qui à coup d’algorithmes finit par n’être informée que sur ce qui l’intéresse déjà, voire ce qu’elle sait déjà.

Réconcilier deux générations

«Pourquoi les jeunes, sont-ils tellement surpris par le résultat du vote Trump, pourtant obtenu dans un processus démocratique?, questionne M. Scherer. À force de vivre dans leur bulle, ils ont peut être oublié qu’il existe des populations qui ne pensent pas comme eux. Bercés par les algorithmes rassurants et communautaires de Facebook, ils négligent les différences et la multitude de points de vue.»

Ainsi, croit-il, le rôle des médias devrait justement être de remettre l’information dans un contexte, de rester objectif et de prendre en compte toutes les opinions, sans filtre de gauche ou de droite.

«L’enjeu est de réconcilier deux générations, de faire comprendre la vision du monde des uns aux autres, mais dans les deux sens, ajoute-t-il. À être toujours connectés, ils se sont déconnectés.»

Quoi qu’il en soit, le directeur de l’innovation et de la prospective à France Télévisions prédit que l’information changera radicalement de visage dans les prochaines années. Et même qu’elle n’aura plus de visage du tout.

«La génération «no bullshit» rejette «la voix de Dieu», écrit-il, celle du présentateur en surplomb qui dit en substance: je parle, vous écoutez. Ils sont déjà au courant! Ils ont suivi de près ou de loin l’actu toute la journée. Ils veulent juste qu’on leur montre que le monde change et ce que cela signifie. Leur journalisme est sans maquillage, sans pseudo-experts cyniques, sans blabla. Il s’en tient aux faits, aux images, et au décryptage rapide, qui ne cherche pas la petite phrase. Ils ont probablement  l’un des meilleurs détecteurs de bullshit de l’histoire. Même si, comme tout le monde, ils se font piéger par des arnaques.»

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