L’Inspecteur viral nous parle des fausses nouvelles

La veille de l’annonce de son départ du journal Métro pour rejoindre la rédaction de Radio-Canada, l’Inspecteur viral, alias Jeff Yates était à la Téluq pour parler de ce qu’il connait le mieux, puisqu’il tente de les débusquer depuis plus de deux ans maintenant, les fausses nouvelles.

Par Hélène Roulot-Ganzmann @roulotganzmann

 La désinformation, tout le monde connait et ça existe depuis la nuit des temps. La propagande n’a pas attendu l’arrivée de l’internet et des réseaux sociaux pour faire son apparition. Mais le phénomène n’a fait que s’amplifier ces dernières années, atteignant son paroxysme lors de la dernière campagne américaine.

Mais qu’est-ce donc qu’une fausse nouvelle? Selon la définition de Jeff Yates, il s’agit d’une information soit totalement fausse, soit détournée, exagérée, dénaturée à un point tel qu’elle n’est plus véridique, bien que présentée comme une vraie nouvelle, dans le but de tromper les gens.

Exit donc les informations satiriques, délibérément fausses, et qui cherchent à dénoncer une situation par le biais de l’humour. Exit également les informations publiées par un média traditionnel après les avoir vu sur un autre site de nouvelles et qui se révéleront fausses ou approximatives. Il s’agit là non pas de fausses nouvelles mais d’un travail journalistique de piètre qualité.

Bref, pour qu’il y ait fausse nouvelle, il faut qu’il y ait la volonté de tromper.

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Tromper et émouvoir, en fâchant l’auditoire, en le surprenant ou en le faisant rire. Et cela, afin de générer des clics et des partages sur les réseaux sociaux, pour atteindre des objectifs politiques, idéologiques ou économiques, ou simplement pour se moquer de la crédulité des gens.

Parce que c’est bien connu, l’internaute ne lit pas l’article avant de le partager. Le titre lui suffit. Surtout s’il vient le renforcer dans ses opinions.

«Et à ce petit jeu-là, Facebook est l’environnement parfait, indique l’Inspecteur viral. On dirait presque que cette plateforme a été créée pour permettre la propagation de fausses nouvelles tellement elle fonctionne bien! Pendant la dernière élection américaine, elle est devenue la deuxième source d’information après la télévision. C’est toute une révolution dans le sens où il ne s’agit pas là d’un média dans le sens traditionnel du terme, avec toute une batterie de professionnels payés pour filtrer l’information, la hiérarchiser, la contextualiser. Sur votre fil Facebook, vous vous retrouvez avec des informations sérieuses, des vidéos de chats, des nouvelles satiriques et des fausses nouvelles, tout cela mis sur le même plan. Pour qui n’est pas éduqué à cela, c’est très difficile de faire la part des choses.»

Faits alternatifs

 Sur Facebook, le modérateur c’est la tante Joanne, le cousin anti-vaccin ou le copain du secondaire qu’on n’a pas revu depuis… le secondaire. Bref, pas des gens habilités à le faire.

«Et pourtant, c’est bien eux qui déterminent ce qui est important pour vous, souligne M. Yates. Eux et vous aussi en partageant des articles, en cliquant sur j’aime ou en commentant. Si vous partagez du snowboard, vous allez avoir de plus en plus de snowboard parce que ce que veut Facebook, c’est que vous restiez le plus longtemps possible sur votre fil. Mais c’est la même chose avec les affaires publiques. Sur votre fil, ne vont plus apparaitre que des articles avec lesquels vous êtes d’accord. C’est comme cela que se créent des bulles qui ne communiquent plus les unes avec les autres.»

Sauf qu’à ne plus voir, ni entendre les opinions adverses, l’internaute peut finir par croire que seule la sienne existe. Que c’est celle-là, la vraie. Et c’est tout son sens critique qu’il perd. Alors, lorsqu’apparait dans ce paysage une fausse nouvelle mais qui va dans le même sens, il ne la reconnait pas. Et si au contraire, elle exprime une opinion inverse, là, ça devient une fausse nouvelle. Et si elle provient d’un média traditionnel sérieux… c’est forcement la faute aux journalistes qui ont un agenda caché et qui mentent à la population. C’est bien connu!

«Les gens ont tendance aujourd’hui à confondre les opinions et les faits, estime Yeff Yates. Comme ils peuvent avoir leur opinion propre, ils peuvent aussi avoir leurs faits propres… ce sont les fameux faits alternatifs du président Trump et de sa porte-parole.»

Un bien mauvais moment

La faute aux réseaux sociaux en général donc et à Facebook en particulier. La faute aussi aux médias traditionnels. D’abord parce qu’ils sont loin d’être parfaits, qu’ils ont tendance à parler un peu trop des élites – politiciens, gens d’affaires, experts –qu’ils sont parfois en retard, sur les mouvements sociaux notamment, ou qu’ils ignorent certains sujets. Et puis surtout, qu’à vouloir eux aussi partir à la chasse aux clics, certains en oublient leur déontologie et perdent de leur crédibilité.

«Sans compter que tout cela surgit au pire des moments, insiste M. Yates. En pleine crise pour les médias qui tentent tant bien que mal de prendre le virage numérique pour parvenir à survivre. Sauf que pour faire une vraie enquête journalistique, interroger des dizaines de personnes, faire des vérifications, croiser les sources, écrire, mettre les avocats sur l’affaire, ça prend du temps et de l’argent. Une vraie enquête qui va fâcher et générer des clics, ça demande de la ressource. Les sites de fausses nouvelles eux, mettent leurs robots sur l’affaire et te sortent ça en quelques minutes seulement.»

Alors, que faire? Si Facebook a longtemps été dans le déni, son patron Mark Zuckerberg a enfin admis jouer un rôle crucial dans la propagation des fausses nouvelles et a dit vouloir agir. D’abord en ne rémunérant plus les sites de nouvelles 100 % trompeuses.

Bientôt un avertissement sur Facebook

 «Facebook a surtout annoncé en décembre une toute nouvelle initiative, révèle Jeff Yates. Lorsque qu’un lien sera signalé plusieurs fois comme faux, il sera automatiquement envoyé à un consortium de journalistes qui devront vérifier les informations et remettre un rapport à Facebook. S’il s’avère que c’est effectivement une fausse nouvelle, un avertissement très clair sera envoyé à toute personne qui souhaitera consulter le lien en question.»

C’est bien, croit l’Inspecteur viral, même s’il y voit quelques limites. D’abord, parce que tout part d’un signalement et que peu de gens le font. Ensuite, parce qu’il faudra choisir des journalistes un peu partout sur la planète.

«Si une information sur Justin Trudeau doit être vérifiée, il vaudrait mieux que ce soit fait par des professionnels qui le suivent et qui sont à même d’examiner sérieusement la nouvelle, illustre Jeff Yates. Et puis, et là c’est peut-être mon esprit tordu qui parle… mais j’ai bien peur que les trolls y voient un nouveau terrain de jeu. S’ils se mettent a envoyer systématiquement tous les articles du New York Times pour vérification, Facebook n’aura pas le choix de le faire et de le faire sérieusement si le réseau ne veut pas perdre de sa crédibilité…»

Si l’arrivée de Donald Trump à la Maison Blanche fait bouger les lignes et que les géants du web semblent vouloir aujourd’hui lutter contre les fausses nouvelles, l’antidote ne parait pourtant pas aujourd’hui à portée de main. Dans ce contexte, le départ de l’Inspecteur viral du journal Métro a beau être une vraie nouvelle celle-là, elle n’en est pas moins très mauvaise…

(((Photo Journal Métro)))

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