Fusillade à Québec : que les médias fassent leur examen de conscience

Il n’est pas démontré qu’il y a un lien de causalité entre ce qui s’est passé hier soir et les radios de Québec, mais on ne peut malheureusement pas non plus dire avec certitude que ça n’a rien à voir, estime Marc-François Bernier, professeur au département des communications à l’Université d’Ottawa. Il ajoute que le moment serait particulièrement bien choisi pour les médias de repenser leur façon de traiter des communautés en général et des musulmans en particulier.

Par Hélène Roulot-Ganzmann @roulotganzmann

Il est 20 heures hier soir et le monde entier commence à apprendre qu’une fusillade a eu lieu dans une mosquée de Québec. Comme toujours en pareilles circonstances, twitter recueille les premières réactions et parmi elles, celle d’un certain Jeff Fillion, animateur à CHOI Radio X.

Histoire terrible. On ne peut pas faire ce que nous condamnons: des coups de feu dans une mosquée de Sainte-Foy?

Les commentaires ne se font pas attendre.

@jefffillion tu as ta part de responsabilité là dedans. Donc ta fausse compassion garde-la pour toi.

@jefffillion Tout ça, c’est un peu à cause de toi, de ta haine et de tes préjugés. Tu as leur sang sur les mains.

Ceux qui soufflent sur les braises on leur part de responsabilité. La haine attise la haine.

Très vite en effet, les radios de Québec sont montrées du doigt sur les réseaux sociaux. Les internautes fustigent leurs propos racistes et xénophobes susceptibles de banaliser la violence envers les communautés. De là à passer à l’acte et à aller tirer sur des musulmans en train de prier? Rien ne dit que le suspect écoutait ces animateurs. Mais…

«Il y a à Québec une atmosphère, un état d’esprit pas très sain à l’égard des étrangers et notamment des arabes et des musulmans, estime Marc-François Bernier. Et ce, depuis une quinzaine d’années, avec le 11 septembre 2001. Il suffit de jeter un œil à certaines pages Facebook pour se rendre compte que tout le monde n’est pas scandalisé par ce qu’il s’est passé hier. Il y a un amalgame entre les musulmans qui sont tous des islamistes, qui sont tous des terroristes. C’est ce qu’on entend sur les radios de Québec. Est-ce que c’est pour cela que le suspect est passé à l’acte? On ne peut pas le dire aujourd’hui. Mais on ne peut pas non plus affirmer que ça n’a pas eu d’impact.»

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Le professeur souligne que beaucoup de Québécois ont très peu de contacts avec les étrangers et qu’ils ne les connaissent donc que par les médias. Un rôle dont ceux-ci ne mesurent pas forcément toute la portée.

«Il n’y a pas beaucoup de diversité dans les médias francophones au Québec, poursuit-il. Ce qui n’est pas le cas du côté anglophone, où il est tout à fait habituel de voir des gens d’origine étrangère à l’antenne par exemple. Si on ajoute à cela que dans la plupart des journaux ici, on ne parle des communautés que lorsqu’il y a un problème… notamment lors des attentats qui touchent l’Europe si l’on pense à la communauté musulmane, ça laisse forcément croire que ce sont des gens violents… et on oublie de dire que ce sont ces mêmes gens qui sont les principales victimes de ces violences.»

M. Bernier souhaite pour le moins que cet événement malheureux pousse tous les médias à faire leur examen de conscience. Que tous cherchent à améliorer leur couverture des communautés et que certains sortent du déni. Que les annonceurs des radios de Québec prennent également conscience de leur rôle là-dedans. Que les patrons de ces mêmes radios prennent leurs responsabilités.

«On ne pourra faire en sorte que les animateurs changent de discours, note-t-il, mais on peut tout à fait changer les animateurs. Les gens de Québec méritent mieux que ça.»

Plaintes du public

La solution passerait également par l’éducation aux médias, ajoute le professeur Bernier. Pour que le public soit moins tolérant et complaisant à l’égard de tels discours.

Un public, rappelle-t-il qui peut toujours, lorsque des propos racistes sont tenus à l’antenne, déposer une plainte auprès du Conseil canadien des normes de la radiotélévision (CNR).

«Il faut protéger la liberté d’expression, reconnait-il. Mais lorsqu’un animateur fait l’amalgame entre islam et terrorisme, c’est choquant et ça doit être dénoncé. Le CNR fait un bon travail, je crois. Surtout, les radios sont obligées de participer à l’enquête et lorsqu’une décision est prise et qu’une émission est condamnée, le verdict doit être lu à l’antenne. Ça ne fait jamais très bon effet.»

Le Conseil de presse examine lui aussi les plaintes en provenance du public. Sans doute en aura-t-il quelques-unes à considérer concernant la journée d’aujourd’hui. Dans la précipitation, la plupart des médias ont en effet répété ce matin qu’il y avait deux suspects, donnant à plusieurs reprises leurs noms et insistant sur le fait que l’un d’eux était de consonance arabe… avant qu’on apprenne que ce dernier n’était en fait qu’un témoin entré dans la mosquée pour porter assistance aux victimes.

Condamné dans un premier temps sur les réseaux sociaux, ce dernier est en ce moment même érigé en héros.

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