Les journalistes alimentent-ils le cynisme?

Le personnel politique n’a pas besoin des journalistes pour rendre le public cynique, il en est bien capable tout seul, introduit Florian Sauvageon, professeur associé au département des communications de l’Université Laval, qui animait en novembre dernier une table ronde sur la question. D’autant que ce cynisme frappe tout autant les représentants des médias, note-t-il. Les journalistes font pour autant partie du problème et ils devraient aussi faire partie de la solution.

Par Hélène Roulot-Ganzmann @roulotganzmann

«Le problème du cynisme, c’est qu’il démobilise le citoyen, analyse Pierre Duchesne, ex-correspondant sur la colline parlementaire puis ministre péquiste dans le gouvernement de Pauline Marois. Il détruit les croyances, il neutralise la volonté de changement et favorise le statu quo… il profite donc à ceux qui voient un intérêt dans ce statu quo, soit les privilégiés.»

Lui croit dur comme fer que si les politiciens, par leur inconsistance et leurs incohérences, alimentent ce cynisme, les journalistes jouent eux aussi un rôle. Parce que par manque de temps, ces derniers couvrent les élections ou les courses à la chefferie comme des «courses de chevaux», sans profondeur d’analyse. Parce que l’opinion contamine le factuel.

«Le public ne saisit plus l’information, alors il se retire, estime-t-il. Il se sent fragile, incapable de saisir ce qui se passe au parlement.»

«S’il ne passe pas dans les médias, le politique n’existe pas, appuie Marie Grégoire, ex-députée adéquiste et depuis une dizaine d’années analyste politique pour plusieurs médias. Du coup, il s’éloigne des enjeux. On a calculé que lors de la dernière campagne québécoise, les chefs avaient eu quatre secondes d’antenne par soir au téléjournal… comment voulez-vous aller en profondeur quand pour exister, votre idée doit tenir en 140 caractères?»

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L’ex-député et ministre péquiste Stéphane Bédard est plus sévère envers les représentants des médias, plus friands selon lui de sensationnalisme que de rapporter ce qui se déroule réellement à l’Assemblée nationale.

«Ils ne font pas la différence entre l’anecdote et les véritables enjeux, exprime-t-il. Ils préfèrent nous demander notre point de vue sur tout et n’importe quoi plutôt que de venir nous écouter en commission parlementaire, où nous passons pourtant des heures et des heures à débattre de choses qui concernant tous les Québécois. Ce sont eux qui choisissent les sujets. En cela, ils sont partie prenante du problème.»

Mais ils n’en sont pas au cœur, croit quant à lui Jean-Claude Rivest, ex-conseiller des premiers ministres Jean Lesage et Robert Bourassa. Selon lui, les gens de sa génération avaient confiance en l’État. Ils étaient convaincus que l’administration était facteur de changements. Aujourd’hui, les gens auraient décroché de cela.

«Ils ne votent plus, ils n’appartiennent plus à aucun parti, illustre-t-il. Il y a la mondialisation, il y a internet. Pour eux, les facteurs de changements sont ailleurs.»

Et il les comprend, du reste. Dans les années 60 et 70, les réformes étaient importantes et il était assez aisé d’en voir les effets, affirme-t-il prenant en exemple la Loi 101.

«Les gens ont tout de suite vu la différence dans leur vie quotidienne. Beaucoup de choses ont été mises en place pour en arriver où le Québec en est rendu. Aujourd’hui, les députés discutent sur des détails. Ils y vont au scalpel.»

Faire trébucher l’élu

Comme Florian Sauvageau, l’ex-correspondant parlementaire Norman Delisle est persuadé que les politiciens n’ont pas besoin des journalistes pour perdre la confiance du public. Leurs mensonges, le peu de transparence, les engagements qu’ils ne respectent pas, le manque de représentativité à l’Assemblée nationale, le copinage et les nominations partisanes… tout est là pour que le public se désengage de la politique. Ce qui ne veut pas dire que les journalistes n’ont pas leur part de responsabilité. Ou plutôt leurs patrons.

«Quand on me demandait d’écrire trois articles par jours, comment voulez-vous que j’aille au fond des choses?», questionne-t-il

Stéphane Bédard parle même d’un manque de respect des journalistes vis-à-vis de la chose politique. Selon lui, nous sommes entrés dans une ère médiatique dans laquelle les enjeux politiques entrent en concurrence avec toutes les autres nouvelles. Dans laquelle il n’y aurait plus de hiérarchisation de l’information. Une ère de la superficialité dans laquelle le journaliste ne prend même pas le temps de bien connaitre le fonctionnement de l’institution qu’il couvre, à savoir l’Assemblée nationale.

Pierre Duchesne acquiesce.

«Je suis arrivé sur la colline en tant que journaliste en 2005 lors de la course à la chefferie péquiste qui a mené à la victoire d’André Boisclair. Ça brassait fort et je me demandais si on allait trop loin. Au fil de mes années à la tribune de la presse, j’en suis venu à la conclusion qu’il s’agissait d’un mécanisme d’autodéfense de la part de la profession. Les journalistes n’ont plus le temps de faire leur cueillette de l’information. Ils adoptent alors cette posture de défiance pour faire trébucher l’élu. Mais est-ce qu’on travaille vraiment pour le bien commun à chercher à tout prix une contradiction là où il n’y en a peut-être pas?»

Marie Grégoire ajoute qu’au lieu de toujours insister sur le côté sombre de la politique, les journalistes devraient sans doute aussi montrer ce qui fonctionne bien dans les réformes. Les projets de loi qui font la différence, pour qui et à quelles conditions.

«Ils devraient surtout expliquer que dans nos démocraties occidentales, le gouvernement n’a plus tous les pouvoirs, conclut Pierre Duchesne. En vertu des accords internationaux, le pouvoir est aujourd’hui souvent ailleurs. Oui, il y a des parvenus, oui, il y a des corrompus au Parlement. Mais il y a aussi beaucoup de gens qui tentent de faire bouger les choses et qui se butent à des de règlements internationaux. Si les journalistes n’expliquent pas ça, alors, oui, ils alimentent le cynisme de la population.»

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