Les journalistes en congrès après une année tourmentée

La grande famille des journalistes québécois se retrouve à partir de vendredi à Saint-Sauveur, ville hôte du congrès annuel de leur Fédération professionnelle (FPJQ). L’occasion de prendre un peu de recul et de revenir sur une année pour le moins mouvementée dans l’industrie des médias. Avec toutes les retombées que ça implique sur la pratique du métier.

Par Hélène Roulot-Ganzmann

Fraichement élu à la présidence de la FPJQ l’an dernier, Pierre Craig, animateur de La Facture à l’antenne d’Ici Radio-Canada télé, affirmait vouloir placer son mandat sous le signe de la liberté de la presse et de l’indépendance des journalistes. Et il aura eu de quoi s’occuper durant les derniers mois.

Dans sa ligne de mire, la loi sur l’accès à l’information, censée donner accès aux documents publics, mais qui selon M. Craig, s’avère être un formidable outil d’entrave au travail des journalistes.

«Sinon, comment expliquer que le ministère des Transports ait refusé de fournir à un journaliste la liste des membres des comités qui sélectionnent les firmes d’ingénieurs, alors que la même liste était remise aux firmes d’ingénieurs qui la demandaient, questionne-t-il via le manifeste électoral rédigé à l’occasion de la campagne électorale provinciale plus tôt ce printemps. Sinon, comment comprendre qu’un journaliste qui voulait expliquer pourquoi la Caisse de dépôt et placement a perdu 40 milliards de vos dollars ait dû obtenir les informations essentielles à son enquête de la Commission des valeurs mobilières de l’Ontario, et non pas de l’Autorité des marchés financiers du Québec à qui il les avait demandées?», ajoute-t-il.

Arrivés au pouvoir, les libéraux ont promis la transparence – pourtant mise à mal dès la formation des cabinets, comme le révélait un article de Guillaume Bourgault-Côté paru dans Le Devoir – et le remaniement de la loi. Quand? Comment? On en saura peut-être un peu plus samedi, le ministre Jean-Marc Fournier, en charge du dossier, étant l’invité d’honneur à midi samedi, pour répondre aux questions…

Le problème PKP

Et lorsque l’on parle de liberté de la presse, les regards se tournent presqu’automatiquement vers les régions et le monde municipal, où on ne compte plus les gestes d’intimidation envers les journalistes qui couvrent ce secteur. Saint-Lambert, Mont-Saint-Pierre, Val-d’Or, Saguenay, Québec, Laval, Candiac, Côteau-du-lac et d’autres encore, la liste des villes ayant demandé à un journaliste d’éteindre sa caméra, de ranger son micro ou tout simplement de sortir de la salle où se tenait un conseil municipal, est longue… À tel point que Pierre Craig s’est fendu d’une lettre ouverte, appelant tous les collègues à la solidarité et à rester debout et unis face à ce qu’il nomme «des roitelets», au-delà de la concurrence qui existe entre chacun de leur titre.

«Car si un ou une journaliste se fait intimider, menacer ou insulter, c’est tous les journalistes qui en sont victimes, écrit-il dans son appel. Parce que la prochaine fois, ce sera peut-être vous.»

Liberté et indépendance toujours… la polémique a fait rage au printemps lorsque Pierre Karl Péladeau, ex-PDG de Quebecor, entreprise qui détient 40% de l’information produite au Québec, et toujours actionnaire majoritaire de la firme bâtie par son père, a annoncé sa candidature aux élections provinciales dans le comté de Saint-Jérôme, avant de faire son entrée à l’Assemblée nationale.

Le débat a fait rage durant la campagne et il continue à occuper les élus provinciaux, qui en viendraient même à déraper, selon la FPJQ, partant du principe que tous les journalistes au Québec sont pieds et poings liés avec les intérêts économiques et politiques du propriétaire de leur titre.

«La presse québécoise est libre, rappelle Pierre Craig dans une tribune parue dans de nombreux journaux cet automne. Elle est même très vigoureuse et alerte. La Commission Charbonneau, créée à partir des reportages de journalistes courageux, tenaces et exempts de toute influence, en est le témoignage le plus éloquent. La société québécoise fait face en ce moment à un problème bien concret : le plus grand baron de la presse du Québec sera éventuellement chef de parti, et peut-être même premier ministre, tout en conservant la propriété de son empire médiatique. Si vous, députés de tous les partis, ne voulez pas ou ne pouvez pas trouver de solution à ce problème, dites-le clairement. Mais de grâce, n’allez pas inventer un problème là où il n’y en a pas pour diluer l’importance du conflit d’intérêts qui nous occupe ou pour vous sortir élégamment d’une situation dont vous ne savez plus que faire.»

La valse des coupures

Autre grand dossier de l’année, les mauvaises nouvelles sur le front de l’emploi et autres difficultés financières que traverse l’industrie.

Su ce plan, les annonces des coupures à Radio-Canada sont sans doute les plus symptomatiques. Ainsi, 1000 à 1500 postes devront être ponctionnés d’ici 2020 et une première vague de départs a déjà eu lieu durant l’été, menant inévitable a une réduction de l’offre en information. Les plus jeunes et les surnuméraires sont les premiers touchés au point qu’ils se sont organisés au sein du collectif Ici Précaire, publiant une lettre ouverte dans laquelle il dénonce la saignée sont ils sont les victimes.

«Je pars sans faire de bruit, écrivent-ils. Vous ne me verrez plus, ne m’entendrez plus, ne me lirez plus. Je suis journaliste, caméraman, monteur, assistant, rédacteur, réalisateur… et pourtant, je me suis acharné. J’ai travaillé sur appel, n’importe quand. À quatre heures du matin. Le lendemain jusqu’à minuit. La nuit aussi. Sans compter mes heures. Je paye mes cotisations syndicales, mais n’ai pas de sécurité d’emploi. Pas d’assurance maladie. Pas de fonds de pension. Corvéable à merci, on me qualifie de « jeune », de « relève », même si j’ai parfois plus de 40 ans.»

Saignée encore, du côté du quotidien gratuit 24 heures, propriété de Quebecor, et qui a perdu la gande majorité des membres de sa salle des nouvelles au printemps. Le bureau montréalais de La Presse canadienne a également mis en place durant l’été un plan de départ volontaire menant à neuf coupures de postes. À la rentrée, c’était au tour du Devoir d’annoncer être dans l’obligation de se séparer d’une partie de sa rédaction afin de garantir la survie du quotidien indépendant. Et pas plus tard que la semaine dernière, on apprenait la suppression de 16,5 postes au Soleil d’ici le 10 janvier prochain, dont huit de journalistes.

Dans ce contexte, seule La Presse semble se sortir de cette conjoncture la tête haute. Si la direction doit procéder ici ou là à des ajustements, le syndicat de la rédaction affirme n’avoir jamais eu autant de membres depuis bien des années, et de nombreux surnuméraires se sont vus proposer un contrat cette année.

L’année tablette

L’audace de La Presse+ aurait-t-elle été payante? Il est encore trop tôt pour le dire mais force est de constater que le modèle commence à faire des émules.

Les quotidiens de Postmédia, au rang desquels The Gazette devenue Montreal Gazette, mais aussi les Affaires, le Devoir… plusieurs journaux ont lancé leur application pour tablette et d’autres viendront.

Quant à La Presse, elle a annoncé cette semaine avoir conclu une entente avec le Toronto Star, pour le développement d’une plateforme utilisant la même technologie. L’annonce qui lui manquait pour crier vraiment victoire, à en croire la direction.

La preuve qu’il y aurait encore de l’espoir pour la profession?

Gageons en tout cas que ces sujets seront sur toutes les lèvres à Saint-Sauveur durant la fin de semaine.

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