Le Canada a mal à sa liberté de presse

Le même jour cette semaine, à savoir mercredi, on apprenait non seulement que le Canada perdait quatre places au classement 2017 de la liberté de la presse de Reporter sans frontières, mais aussi que la Cour d’appel du Québec refusait d’annuler le mandat de perquisition ayant permis la saisie de l’ordinateur du journaliste judiciaire Michaël Nguyen du Journal de Montréal.

Par Hélène Roulot-Ganzmann @roulotganzmann

«Malgré la Constitution de 1982 qui garantit la liberté de la presse, la situation des journalistes atteste dans les faits d’une réalité très différente, peut-on lire dans le rapport de RSF. Par exemple, plusieurs professionnels des médias ont été placés sous surveillance policière au Québec dans le cadre d’une enquête sur d’autres policiers. Un journaliste de Vice a pour sa part dû faire appel d’une décision de justice l’obligeant à remettre à la gendarmerie royale l’intégralité de ses communications avec une de ses sources.»

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En vrac, le rapport insiste également sur le fait qu’un autre journaliste, travaillant pour TheIndependent.ca, encourt dix ans de prison pour avoir couvert des manifestations dénonçant un projet hydroélectrique. Et plus généralement, que les journalistes d’ici ne sont protégés par aucune «loi bouclier», et que sous couvert de sécurité nationale, certaines législations, telles que le projet de loi anti-terroriste C-51, se révèlent nuisibles à la liberté d’expression sur internet.

Si RSF s’en tient à ces quelques exemples, il suffit de faire un tour sur le site internet de la Fédération professionnelle des journalistes (FPJQ) pour trouver bien d’autres cas d’entraves au travail des artisans de l’information. Pas plus tard que la semaine dernière, les journalistes se sont vus refuser la couverture d’une rencontre citoyenne tenue dans le cadre de la séance publique du conseil municipal de Trois-Rivières, séance pourtant ouverte au public.

L’ordinateur de Michaël Nguyen demeure saisi

Hasard du calendrier, le jour de la publication du rapport de RSF, le journaliste du Journal de Montréal, Michaël Nguyen apprenait que la Cour d’appel du Québec ne voyait rien d’illégal à la perquisition dont il a fait l’objet en 2016. Perquisition qui a mené à la saisie de son ordinateur.

Le Conseil de la magistrature, qui a demandé la perquisition, cherche à connaître la source des informations ayant permis à M. Nguyen de rapporter que la juge Suzanne Vadboncoeur aurait eu un comportement grossier à l’endroit de constables du palais de justice de Montréal à la suite d’un souper de Noël en décembre 2015.

Depuis, les premiers témoignages devant la Commission d’enquête sur la protection de la confidentialité des sources journalistiques, dite Commission Chamberland, ont démontré combien les demandes de mandats présentées tant par les autorités policières que judiciaires à des juges de paix étaient presqu’automatiquement acceptées.

Bref, le Canada se retrouve aujourd’hui au vingt-deuxième rang du classement de la liberté de presse. C’est quatre places de moins qu’en 2016, et quatorze de moins qu’en 2015, année où il s’était classé au huitième rang, ce qui est par ailleurs traditionnellement sa place ou à peu près.

Banalisation des attaques contre les médias

Alors, on peut certes critiquer un classement, et certains sur les réseaux sociaux ne se gênent pas pour le faire, qui place le Surinam au vingtième rang, soit devant le Canada, alors même que ce pays dispose dans son arsenal répressif, d’une loi sur la diffamation très sévère qui prévoit des sanctions allant d’un à sept ans de prison pour «expression publique de haine» envers le gouvernement.

On peut aussi inscrire cette régression dans un contexte plus global de recul de la liberté de presse partout dans le monde. RSF souligne en effet que l’édition 2017 du de son classement est marquée par la banalisation des attaques contre les médias et le triomphe d’hommes forts qui font basculer le monde à l’ère de la post-vérité, de la propagande et de la répression.

Mais force est de constater que malgré le fait que le Premier ministre Justin Trudeau se présente comme un farouche défenseur d’une «presse libre», son gouvernement ne se presse pas pour faire adopter des mesures permettant aux médias de souffler. De nombreux propriétaires en appellent à la taxation des géants du web tels Facebook et Google, vers qui s’en vont aujourd’hui les revenus publicitaires qui leur permettaient auparavant de bien faire leur travail de chien de garde de la démocratie.

Du côté du gouvernement du Québec, certes 36 millions de dollars ont été annoncés sur cinq ans pour venir en aide à la presse locale, mais la coalition pour la pérennité de la presse d’information au Québec soutient qu’on est loin du compte et qu’il en faudrait dix fois plus.

Et pendant ce  temps-là, TC Transcontinental souhaite trouver des repreneurs pour ses quatre-vingt-treize hebdomadaires régionaux mis en vente la semaine dernière. Tout en y abolissant vingt postes, cette semaine cette fois…

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