Procès Magnotta: en attendant le verdict

Les journalistes qui durant onze longues et intenses semaines ont suivi le procès de Luka Rocco Magnotta vaquent aujourd’hui à d’autres dossiers en attendant que le verdict ne tombe. Retour sur presque trois mois d’une couverture qu’ils jugent passionnante, et finalement pas aussi éprouvante qu’ils ne l’auraient cru.

Par Hélène Roulot-Ganzmann

«Je craignais que ce ne soit d’avantage éprouvant, raconte Isabelle Richer, journaliste aux affaires judiciaires à Ici Radio-Canada. Finalement, il y a eu véritablement une heure de matériel horrible sur onze semaines de procès, c’est tolérable. Le plus difficile à visionner a été la vidéo. Lorsque les crimes sont filmés, c’est toujours difficile parce qu’on y est vraiment. Les photos de cadavres, de membres, on est relativement habitués à en voir lorsqu’on couvre la justice.»

«Je savais à quoi m’attendre étant donné que je suis l’affaire pour le Journal de Montréal depuis que Magnotta a été extradé, ajoute Michaël Nguyen. Et puis, j’étais là dans un cadre professionnel. Le jour où la vidéo a été montrée, la salle de débordement était pleine de curieux. Ça j’ai du mal à la comprendre. Moi, je couvrais. Et puis, je ne suis pas obligé de regarder si c’est insoutenable. De toutes façons, je ne décrit pas la vidéo dans mes papiers. Je m’intéresse donc plus à la façon dont le juge et les jurés réagissent au matériel qu’au matériel lui-même. Je tweete, je prends des notes, je réfléchis. Je suis concentré sur autre chose.»

Grosse cadence de travail

Il tweete. Car jamais procès au Québec n’aura été aussi socialement médiatisé en direct que celui-là. Et c’est finalement ce que Christiane Desjardins, qui a couvert le procès pour La Presse, a trouvé le plus éprouvant.

«La preuve était horrible, on s’entend, on le savait, explique-t-elle. On ne voit pas toujours des belles choses au tribunal mais cette fois, ça dépassait l’entendement. Et tu ne peux pas juste écrire qu’il y a une vidéo, il faut bien donner certains détails, donc être concentré sur ce qu’on nous montre. Mais ce que j’ai trouvé le plus difficile, c’est la cadence de travail. Il fallait nourrir le web, la Presse, l’iPad. Et en plus tweeter, donc réfléchir pour synthétiser une idée en cent quarante caractères et surveiller son orthographe. Forcément, tu manques des bouts de témoignage.»

Éprouvant de tweeter, oui, mais Michaël Nguyen y trouve quant à lui aussi de l’excitation.

«Au début du procès, il y avait parfois 100000 vues sur mes messages dans une seule journée, raconte-t-il. C’est très gratifiant. Il y a même un journaliste du Figaro qui a écrit un article qui se basait sur mes tweets. Alors, on continue à alimenter la machine. Le revers, c’est que cette couverture a été épuisante. On arrivait tôt le matin et il n’y avait pas de temps mort. Tu n’as le temps de manger et de fumer une cigarette seulement si tu écris ton breaking news rapidement à midi.»

Même discours de la part de son homologue de Radio-Canada.

«J’ai eu l’impression d’être très éparpillée, avoue-t-elle. Je suis encore de la vieille école, celle qui prend ses notes sur un carnet. En même temps, il fallait que je pense à mes tweets, donc que je sois concise, tout en restant équilibrée dans ma couverture, car même sur Twitter, on n’en demeure pas moins journaliste. L’esprit doit réfléchir vite, il doit synthétiser, ce n’est pas un exercice inintéressant. Et c’était important de le faire car nous nous sommes rendu compte que nous avions toute une communauté qui suivait véritablement le procès par cette lorgnette.»

Une communauté qui répondait, et qui attendait qu’on lui réponde.

«Ce n’était pas une demande spécifique de la salle des nouvelles, explique Christiane Desjardins. On m’avait juste dit que si j’écrivais cinq tweets par jour, tout le monde serait content. Mais ce n’est pas ce qui s’est passé. Quand tu commences, quand tu sais que certains suivent le procès par ce biais, tu veux leur en donner toujours plus. D’autant que la preuve était tellement riche.»

Passionnant, intéressant, éclairant

Une grosse charge de travail donc, mais un procès des plus intéressants à couvrir. Tout trois s’accordent sur le fait que les questions de droit abordées lors des audiences étaient passionnantes. La non responsabilité criminelle, jusqu’où elle va, comment elle s’applique, comment les avocats de l’accusé ont amené tout le monde sur ce terrain, puis la succession d’expertises.

«C’était captivant parce qu’il y avait à la fois une question médicale et juridique, raconte Mme Richer. Ce n’était pas seulement moral. La couronne devait convaincre les douze jurés que les gestes qui ont été posés sont contraire à la loi et que la personne qui les a posés savait que c’était illégal. Il faut s’infiltrer dans la tête de l’accusé et pour cela, on a besoin d’aide. D’où les psychiatres qui se sont succédés et d’où la preuve qui est étalée. C’était vraiment très intéressant d’autant que j’ai pu le suivre de bout en bout. J’ai dû manquer une demi journée. Ça me permet d’être plus confortable dans mes topos. Je peux me fier à ma mémoire pour m’assurer de ne pas dire de bêtises en ondes.»

«Il y avait une abondance de preuves à explorer, ajoute Mme Desjardins. Et elles n’étaient pas concentrées seulement à Montréal. On s’est promené en Ontario, aux États-Unis, en France, en Allemagne durant le procès. Les témoignages des experts étaient très éclairants, rarement redondants. Ça a été long, mais je ne me suis jamais ennuyée.»

Le jury délibère depuis lundi et personne ne veut se prêter au jeu des pronostics concernant la durée de leur retrait. S’ils espèrent un verdict aujourd’hui afin de clore le dossier, ils admettent que ce ne serait pas surprenant que ça prenne encore quelques jours.

«Avant le 24 décembre, espère Michaël Nguyen. Sinon, nous allons tous passer Noël au tribunal!»

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