«Les Népalais ne s’épanchent pas beaucoup sur leurs émotions»

Lorsqu’ils ont appris qu’un violent séisme avait frappé le Népal le 25 avril dernier, Sarah Champagne et Renaud Philippe, respectivement journaliste et photojournaliste indépendants, n’ont pas hésité très longtemps à monter dans un avion. ProjetJ leur a parlé alors qu’ils se trouvaient à Gorkha et qu’ils tentaient de se rendre au plus proche de l’épicentre. Ils expliquent leurs motivations et leurs conditions de travail sur le terrain.

Par Hélène Roulot-Ganzmann @roulotganzmann

SarahLe hasard a fait que lorsque la terre a tremblé du côté de Katmandou en ce samedi 25 avril, Sarah Champagne se trouvait à Dubaï en train de faire un reportage sur les travailleurs migrants népalais.

«J’avais dans l’idée d’aller ensuite au Népal pour m’intéresser aux transferts d’argent que les migrants envoient à leurs familles et qui représentent un tiers de l’économie du pays, raconte-t-elle alors qu’il est 23 heures à Gorkha et qu’elle cherche toujours un moyen de se rendre plus au nord le lendemain. Je me trouvais avec des Népalais lorsqu’ils ont appris la nouvelle. Ils essayaient d’avoir des infos. Ils ont été rassurés quand ils ont su que leurs familles allaient bien. Et puis, dans la journée, ils ont compris l’ampleur du drame et ont commencé à être inquiets. J’étais interpelée par ce qui se passait là-bas et très vite j’ai pris la décision d’avancer mon voyage. Je suis partie le mercredi suivant pour Katmandou.»

Ce n’est pas la première fois que la jeune journaliste se rend au Népal. Elle y a passé quelques mois en 2007 en tant que coopérante. Elle connaissait donc déjà le terrain. Elle connaissait aussi des Népalais et avait gardé plusieurs contacts. En attendant son vol, elle a contacté le quotidien Le Devoir avec lequel elle collabore régulièrement depuis qu’elle a remporté la bourse AJIQ-Le Devoir et qu’elle y a fait un stage l’été dernier.

«Marie-Andrée Chouinard [la directrice de l’information, ndlr] m’a tout de suite dit qu’elle accueillerait mes textes, raconte-t-elle. Elle m’a démontré beaucoup d’ouverture, d’appui et de confiance.»

Le pari de la lenteur

Une fois sur place, Sarah Champagne a été contactée par Renaud Philippe via Facebook. Lui aussi venait d’arriver sur le terrain. Et lui aussi a une affection particulière pour le Népal pour s’y être rendu plusieurs fois déjà, et avoir notamment travaillé sur les réfugiés bhoutanais dans ce pays.

«J’étais sur le point de partir au Japon pour un projet personnel, explique-t-il. Quand j’ai appris la nouvelle du séisme, mon reportage à Tokyo m’a paru totalement superflu. La veille de mon départ, j’ai changé mon billet pour me rendre ici.»

Celui qui a déjà couvert le tremblement de terre à Haïti dit avoir été surpris à son arrivée par la faible visibilité du drame.

«À Katmandou, la tragédie n’est pas visible au premier coup d’œil, explique-t-il. Il y a des tentes, des édifices détruits, des débris, mais ça n’a rien à voir avec l’entrée de Port au Prince en 2010. À Haïti, le séisme a touché des villes. Au Népal, la population n’est pas concentrée. On peut rouler une heure ou deux avant de croiser un village. En venant à Gorkha, nous nous sommes rapprochés de l’épicentre et la zone est de plus en plus dévastée. Mais on mange du poulet et du riz, on dort à l’hôtel. C’est lorsque l’on sort des villes et que l’on va à la rencontre des populations les plus pauvres qu’on se rend compte que certains ont tout perdu et son complètement démunis. Que des villages entiers sont détruits ou coupés du monde. Seuls des hélicoptères s’y rendent et ils ne s’y posent même pas. C’est le principal enjeu.»

Les deux reporters cherchent donc à aller plus au nord pour pouvoir témoigner de la situation là où la terre a tremblé le plus fort. Leur force est de connaitre déjà le terrain, donc de ne pas commettre d’impairs, culturels notamment.

«Les Népalais sont incroyables, lance Renaud Philippe. Ils ont une façon d’être très inspirante et le contact est très bon.»

«Ça parait cliché de le dire, mais ils sont tranquilles, paisibles, accueillants, généreux, confirme Sarah Champagne. Même en tant que journaliste, le contact est facile. Ils comprennent notre rôle. Ce qui ne veut pas dire qu’il soit facile de les faire parler. Ils ne s’épanchent pas beaucoup sur leurs émotions, leur ressenti.»

Rentrer dans ses frais

Pour parvenir à obtenir quelques confidences, le duo a fait le pari de la lenteur. Il leur arrive de rester à un endroit une fois que le reste de la meute de journalistes a disparu. Cet après-midi, ils ont passé quatre heures dans un village. Au bout de deux heures, quelqu’un les a invités à souper. Et c’est à ce moment-là que les langues se sont déliées.

«Je mise également sur mon expérience du pays pour produire des reportages pertinents, explique Mme Champagne. À Katmandou, je connaissais des familles. En discutant avec elles, j’ai pu trouver des angles intéressants. Je connais aussi quelques mots de népali. Ça met souvent les gens en confiance. Il faut dire aussi que l’intérêt des médias internationaux est en train de s’estomper. Beaucoup de journalistes sont déjà repartis. Le correspondant de CNN a quitté la zone. Ça va être de plus en plus facile d’avoir une voix originale.»

La journaliste continue à écrire pour Le Devoir et a fait quelques converses à Radio-Canada. Renaud Philippe publie également ses clichés dans Le Devoir. Tous deux ont d’autres contacts et espèrent pouvoir vendre des papiers et des photos à d’autres publications pour rentrer dans leurs frais. Car en tant que journalistes indépendants, ils doivent débourser leurs billets d’avion, l’hébergement, le transport, les guides, les traducteurs, etc.

«J’avais peur qu’avec la catastrophe, le tarifs hôteliers aient explosé, avoue Sarah Champagne. Mais ce n’est pas le cas. Pour le reste, on s’arrange comme on peut. Par exemple, je ne prends pas de traducteur officiel, je ne peux pas me le permettre. Par le bouche à oreille, on arrive à savoir qui parle un tant soit peu anglais dans un village…»

L’importance de témoigner

Le plus difficile selon elle demeure pourtant l’accès à l’information. Dans leur quête de se rendre plus au nord, personne ne leur fournit la même version. Pour certains, c’est juste impossible. Pour d’autres, l’aller-retour est faisable dans la journée. D’autres encore parlent d’un trek de plusieurs jours.

«C’est vraiment le plus compliqué, raconte-t-elle. Parce que pour le reste, je me sens complètement en sécurité ici. Il y a certes encore des secousses mais elles sont de plus en plus faibles. Je ne crains pas pour ma vie. Même si les Népalais sont convaincus qu’il y aura rapidement un séisme plus fort encore.»

Quant à son ressenti par rapport à la catastrophe elle-même, aux milliers de morts et autant de familles endeuillées…

«C’est la première fois que je couvre une telle catastrophe, répond-elle. Je crois que je n’ai pas encore le recul nécessaire pour y penser vraiment. Je suis dans l’action. Les journées sont longues et bien remplies. Je garde en tête la raison pour laquelle je fais ce travail. Parce qu’il me semble important de rapporter. Mais peut-être que lorsque je serai de retour à Montréal, je vais me le prendre en pleine face.»

Leur retour à tous les deux est prévu pour le 20 mai et ils ne croient pas pour l’instant devoir reculer la date. Mais ils pensent cependant revenir dans les prochains mois, les prochaines années afin de témoigner de l’aide apportée aux populations, puis de la reconstruction.

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