À quoi sert le journalisme politique?

Journalistes et universitaires étaient réunis à Québec en novembre dernier pour discuter journalisme politique. À quoi servent les journalistes parlementaires?, se sont-ils notamment demandés. À informer ou à opiner? L’un n’empêche pas  l’autre ont-ils répondu, si tant est que les commentaires soient fondés sur des informations fiables, non sur de l’idéologie préconçue.

Par Hélène Roulot-Ganzmann @roulotganzmann

La Tribune de la Presse de Québec célébrait l’an dernier son 145e anniversaire, ce qui signifie que c’est en 1871 que pour la première fois, une association était reconnue officiellement par les autorités parlementaires

1871, une autre époque, mais finalement pas si différente sur le plan médiatique à en croire Jean Charron, professeur titulaire au département d’information et de communication de l’Université Laval.

«Dans le sens où la fin du 19e siècle, tout comme aujourd’hui, sont des moments charnières, précise-t-il. À partir de 1870, c’est la révolution industrielle. Avant cela, c’est l’époque de la presse d’opinion, soutenue par des groupes politiques, qui s’en servent pour propager des points de vue. Dix ans plus tard, les journaux mutent fondamentalement. Les gazettes d’opinion disparaissent et laissent place à une presse à grand tirage financée par la publicité. Le principe d’objectivité est érigé en maitre. On doit clairement distinguer les faits et les opinions.»

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Sauf qu’on assiste aujourd’hui à un retour de balancier, poursuit-il. La révolution numérique accélère un mouvement déjà présent depuis quelques décennies. Les travaux démontrent en effet que dès les années 1970-80, l’interprétation prend de plus en plus de place. La production des nouvelles devient plus interprétative. À la radio, on répercute l’information et on la commente. La télévision en continu intensifie le mouvement, puis internet.

«La révolution numérique dévalorise la nouvelle, puisque dans la tête des gens, elle devient gratuite, explique le professeur. Elle circule tellement rapidement qu’il faut sans cesse la renouveler et pour cela, on la commente. Les médias se cherchent également des créneaux et ils attirent l’attention toujours et encore avec le commentaire.»

D’autant que celui-ci demande moins de ressources et que les salles de nouvelles se vident, alors que dans le même temps, il faut nourrir toujours plus de plateformes. À la Tribune de la Presse de Québec, il y a aujourd’hui 44 journalistes inscrits. Ils étaient 130 dans les années 1980-90…

Chroniqueurs vs analystes

Oui, mais il y a commentaire et commentaire, estime pour sa part Vincent Marissal, lui-même chroniqueur à La Presse. Il raconte avoir été touché lorsqu’un de ses voisins s’est présenté à lui pour lui dire qu’il n’était pas toujours d’accord avec ce qu’il écrivait, mais qu’il aimait bien le lire parce qu’il le faisait réfléchir et qu’en plus, il apprenait des choses.

«J’essaye d’apporter de la valeur ajoutée en me servant de mes sources et de mes contacts privilégiés, explique-t-il. Je ne veux pas être un chroniqueur enfonceur de portes ouvertes juste pour écrire ce que mes lecteurs ont envie de lire.»

Selon lui, il y a une nuance entre les journalistes chroniqueurs et les analystes. Il rappelle que Jean Lapierre refusait qu’on dise de lui qu’il était un journaliste. Il faisait de l’analyse, point.

«La nuance est importante même s’il travaillait plus fort que certains journalistes, souligne-t-il. Je ne hiérarchise pas, ce n’est juste pas le même métier. Moi, je travaille comme un journaliste, je commente en partant du terrain. Le problème, c’est que nous devons produire aujourd’hui trop et trop rapidement.»

Impossible selon lui d’aller en ondes douze fois pas semaine sur vingt sujets différents tout en étant toujours pertinents. Impossible également de tout savoir sur tous les sujets au point de pouvoir s’exprimer peu importe ce qui se passe dans le monde.

«Chez les médecins, il y a des généralistes et des spécialistes et on ne demandera pas à un médecin de famille d’aller opérer à cœur ouvert, compare-t-il. Or, il y a des journalistes généralistes à qui tout d’un coup, on demande une opinion sur la guerre en Syrie ou tel ou tel projet de loi. Je veux  bien faire ici mon mea culpa. Parfois, j’aurais dû avouer que je n’avais rien de pertinent à dire sur tel ou tel sujet quand on me demandait mon avis.»

Ne pas généraliser

Portraits journalistes Le Devoir

L’ex-éditorialiste au Devoir aujourd’hui au Journal de Québec pour y développer le journalisme d’enquête, Antoine Robitaille, croit quant à lui qu’on fait un faux procès au commentaire.

«Le débat que nous avons est manichéen, croit-il. Il y a des commentaires qui sont remplis d’informations, qui mettent la nouvelle en perspective. Au Devoir, il n’y a jamais eu autant de reporters à l’Assemblée nationale qu’aujourd’hui. Idem pour le Journal de Québec, à qui on reproche pourtant de verser trop dans le commentaire. Tous ces gens-là, ils travaillent tous les jours pour rapporter de la nouvelle. On braille sur la place grandissante que prend le commentaire dans les médias, mais je ne crois pas qu’il faille généraliser.»

Les médias ne se résument pas à quelques radios de Québec où oui, les animateurs repiquent des nouvelles ailleurs dans les journaux pour les commenter sans s’appuyer jamais sur aucune source, souligne-t-il.

«Et puis, les phénomènes ne sont pas linéaires, poursuit-il. Nous avons vu revenir à la Tribune les radios parlées francophones et nous sommes même allés jusqu’à élire comme président Louis Lacroix, qui n’est autre que l’initiateur de ce mouvement.»

Journalisme spéculatif

Le journalisme politique informe donc. Il opine aussi. Mais il spécule également, souligne Marc-François Bernier, professeur au département des communications de l’Université d’Ottawa. Et ce, notamment lorsqu’il utilise des sources anonymes.

Il y a vingt ans, alors qu’il était doctorant, M. Bernier avait mené une étude sur ces fameuses sources anonymes auxquelles tout journaliste a recours à un moment ou à un autre de sa carrière.

«J’ai analysé 650 compte-rendu de courriéristes parlementaires, résume-t-il. 30 % d’entre eux comportaient des sources anonymes. Il y a même un journaliste qui y avait eu recours dans 57 % de sa production. Mon analyse démontrait que la plupart des sources anonymes provenaient de l’entourage du parti au pouvoir et que dans la grande majorité des cas, les informations qu’ils donnaient étaient purement spéculatives. On spéculait sur l’avenir, notamment sur les personnes qui allaient se retrouver au gouvernement, et à quel poste. Dans moins de 1% des cas, il s’agissait de dénoncer des scandales.»

Des informations spéculatives qui du reste, se révélaient fausses ou partielles dans un cas sur deux.

«Ces sources anonymes sont par ailleurs rarement confrontées dans l’article, et le journaliste n’est alors qu’un simple messager, ajoute M. Bernier. Les informations sont peu mises en contexte. On annonce ce que le ministre est supposé dire ou faire dans les prochaines heures, les prochains jours, mais rarement, on va voir ce que ça veut dire sur le terrain. Ça prend trop de temps.»

Une bulle déconnectée?

D’où l’idée de plus en plus répandue dans la société que les journalistes parlementaires et les politiques font partie d’une seule et même bulle complètement déconnectée de la réalité du terrain.

L’idée que le journalisme est de moins en moins objectif.

«Il n’y a pas une dichotomie entre le l’opinion et l’information, note Jean Charron. Mais de plus en plus, les énoncés engagent les journalistes. Leurs compte-rendu ne sont plus simplement factuels, mais ils intègrent une dose de subjectivité. Les nouvelles sont mises en valeur, enrichies, commentées. Lorsqu’on cite quelqu’un, on n’introduit pas avec le verbe dire, mais plutôt avec estimer, juger, décider. C’est déjà une forme de commentaire.»

Les journalistes seraient ainsi de plus en plus présents dans leurs textes, affirme-t-il. Les citations, plus courtes qu’auparavant, viendraient valider ce que le reporter vient d’avancer. Au risque que celui-ci prenne le dessus sur la nouvelle.

«C’est peut-être ce qui me gène le plus dans la chronique, indique Vincent Marissal. Le vedettariat. Mon journal, La Presse a beaucoup joué là-dessus il y a une dizaine d’années. Nos photos grand format étaient placardées sur les murs extérieurs de la salle de nouvelles, dans la rue. Or, je crois que journalistes comme chroniqueurs, nous devons quoi qu’il en soit rester très modestes.»

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