«La convergence selon Québecor est très, très aboutie»

Professeur adjoint au département d’information et de communication de l’Université Laval, Arnaud Anciaux a consacré une partie de sa thèse de doctorat à la convergence au sein du groupe Québecor, et à son impact sur le travail des journalistes. ProjetJ s’est entretenu avec lui.

Propos recueillis par Hélène Roulot-Ganzmann @roulotganzmann

ProjetJ : À quand remonte la politique de convergence au sein du groupe Québecor?

aanciauxArnaud Anciaux : Il faut comprendre que le groupe a toujours eu une présence très forte dans d’autres sphères que le journalisme. Avant les années 2000, il tirait la grande majorité de ses revenus de l’imprimerie. C’était Québecor World, une entité qui avait des activités d’impression partout sur la planète, notamment aux États-Unis et en Europe, et qui rapportait 80 % des bénéfices du groupe. Bien sûr, ses médias écrits, qui étaient plus nombreux qu’aujourd’hui, étaient imprimés en interne. C’était déjà une sorte de convergence, mais qui tenait plus de la diversification des activités pour minimiser les risques. Et puis au tournant du siècle, il y a eu le rachat de Vidéotron et TVA, qui a totalement changé la donne en terme de convergence. Dès 2005, les discours des cadres dirigeants évoquent clairement l’adoption d’une démarche de rentabilité au sein des médias du groupe. Il faut rationaliser les couts, éditer des contenus les moins couteux possibles et pour cela, non seulement on invente le multiplateforme chez les journalistes, mais on se sert aussi de ces plateformes pour mettre de l’avant les offres de Vidéotron.

Est-ce que ça correspond à l’arrivée de Pierre-Karl Péladeau à la tête de l’entreprise?

En fait, à l’arrivée du fils, la convergence telle que nous la connaissons aujourd’hui n’est pas immédiate. Dans les premières années, il rachète Sun News et il continue à développer Québecor World. Bref, il est dans la continuité de ce que son père, Pierre, a bâti. C’est à partir de 2000-2001 et du rachat de Vidéotron que ça change réellement. D’abord, parce que dans la première moitié des années 2000, la câblodistribution et la connexion à internet ne sont pas très en vogue au Québec et que l’acquisition s’avère couteuse. L’entreprise rencontre de graves difficultés, on entend parler ici et là de possibilité de faillite. Des entités de Québecor World sont alors vendues pour éponger certaines dettes. Pour faire pénétrer Vidéotron dans les foyers québécois, l’utilisation des médias du groupe va être alors utile. Même si l’impact est difficile à mesurer.

À quel moment commence-t-on à évoquer la convergence des contenus?

Dans la deuxième moitié des années 2000. Il y a d’abord la création de contenus médiatiques exclusifs par les chaines du groupe pour vendre les offres de Vidéotron, notamment sur le cellulaire.

Et du point du vue du journalisme…

On peut dire que l’impact est très fort, c’est certain, mais qu’il est très difficile à mesurer. Est-ce que les journalistes peuvent choisir leurs sujets? Est-ce qu’il y a une pression de la part du propriétaire pour qu’ils parlent des produits culturels fabriqués par le groupe? On a eu vent de cas, oui. Mais à quel point ça influence quotidiennement les choix des salles de nouvelles? Très difficile de statuer. En revanche, c’est certain que la convergence a eu un impact très fort sur leurs conditions de travail. Elle était d’ailleurs au cœur des conflits de travail tant au Journal de Québec qu’au Journal de Montréal en 2008 et 2009. C’était très clair pour la partie patronale qu’il y avait une stratégie de réduction des couts, des mises à pieds de travailleurs de l’information directement liées au fait que les différents médias du groupe devaient se partager l’information.

L’agence QMI joue d’ailleurs un rôle particulier dans cette politique de convergence…

Certains, parmi les syndicats notamment, accusent même Pierre-Karl Péladeau de l’avoir sciemment créée juste avant le lock-out au JDM pour pouvoir continuer à publier son journal durant le conflit. Cela dit, QMI a survécu et aujourd’hui, elle joue effectivement un rôle stratégique, un rôle de centralisation fonctionnelle de la production journalistique à l’échelle du groupe. Un rôle croissant de gestion des contenus, un rôle moteur même, au-delà du simple fait de colliger toute la production afin de la faire transiter entre les différentes plateformes. Il y a des conférences téléphoniques entre l’agence et les cadres des journaux pour la répartition des travailleurs qui couvrent tel ou tel événement. Il y a une planification à l’échelle du groupe et c’est QMI qui sert de chef d’orchestre.

Est-ce qu’on est aujourd’hui arrivé à une des formes les plus abouties de convergence médiatique?

Clairement oui. Il y en a certainement d’autres à l’échelle mondiale, mais clairement Québecor est un des groupes qui va le plus loin dans la convergence. Le multiplateforme est devenu la norme un peu partout maintenant. Mais il est très rare qu’il soit aussi complet avec des journaux, les sites internet, un portail, des chaines de télévision, un câblodistributeur, et une agence de presse interne. Très rare également de voir des marques transversales émerger. C’est le cas notamment du Canal Argent. On a là une catégorie de contenu, à savoir l’économie, qui est séparée de son support médiatique puisqu’on la retrouve sur toutes les plateformes du groupe sous la même marque. Oui, je crois pouvoir dire que la convergence, selon Québecor, est très, très aboutie.

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