Comment les écoles de journalisme reconstruisent leurs programmes?

 

Les salles de nouvelles et toute l’industrie des médias se transforment drastiquement. Les écoles de journalisme au Canada aussi. Mais que retirent-elles et que rajoutent-elles à leurs programmes? Comment s’adaptent-elles aux nouvelles méthodes de travail dans les salles de nouvelles et aux nouvelles formes de journalisme, afin de préparer au mieux les futurs journalistes à la réalité du métier. Mary McGuire fait le point.

Par Mary McGuire. Ex-journaliste à la télévision, elle est aujourd’hui professeure en nouveaux médias et médias télévisés à l’Université Carleton à Ottawa. À ce titre, elle joue un rôle clé dans les changements qui interviennent dans les programmes en journalisme. Marie McGuire a également supervisé les pages Éducation de J-Source de 2007 à 2013.

Traduction d’un article paru initialement sur J-Source.

Les médias traditionnels se demandent s’ils doivent arrêter de publier leurs nouvelles sur papier et de produire des reportages formatés pour la télévision, demandant de lourdes équipes. À la grandeur du pays, les écoles de journalisme se posent les mêmes questions.

Ceux qui ont répondu à notre sondage (directeurs de programmes, détenteurs de chaires ou de départements de journalisme au sein d’universités et de collèges) rapportent qu’ils doivent composer avec l’arrivée de nouveaux cours afin d’enseigner aux étudiants les nouvelles pratiques en matière de journalisme, et leur délivrer les nouvelles compétences indispensables. Et qu’ils doivent donc, dans le même temps, mettre fin à certaines attributions, certaines leçons, et même certains cours et ateliers, considérés pourtant jusque-là comme essentiels.

Il s’agit parfois de cesser d’enseigner certaines techniques devenues dépassées, comme par exemple le faire de savoir développer des photos dans une chambre noire, ou encore certaines techniques numériques comme la programmation Flash, langage qui ne demeure plus très utile. Les répondants concèdent également que certaines compétences en écriture peuvent être enseignées différemment, grâce à de nouveaux outils et de nouvelles pratiques.

Ainsi, alors que 80% des personnes sondées répondent que les cours portant sur les fondamentaux ont évolué au cours de cinq dernières années, un peu plus de la moitié assurent que ces changements n’ont aucun ou très peu d’impact sur les compétences enseignées en elles-mêmes.

Le besoin d’introduire l’acquisition de compétences numériques continue donc d’augmenter, alors même que celui d’acquérir les compétences traditionnelles, telles que trouver des bonnes idées de sujets, savoir rechercher, réaliser des reportages, des entrevues, éviter les problèmes judiciaires, et la plus importante d’entre toutes, bien écrire, ne s’éteint pas. Les écoles de journalisme ne peuvent cependant pas rajouter plusieurs trimestres à leurs programmes, ni même augmenter le nombre de crédits. Les répondants admettent donc qu’ils ont parfois à retirer des notions, qui ne sont pourtant pas nécessairement obsolètes, tout en les réintroduisant avec une nouvelle approche.

Par exemple, certains cours obligatoires sont devenus facultatifs. Mais certains prévoient également la disparition rapide de leur cours de production télévisuelle, parce qu’ils prédisent la disparition du téléjournal local de 18h dans les toutes prochaines années.

Ainsi, Ivor Shapiro, directeur de l’école de journalisme de l’Université de Ryerson à Toronto, estime qu’enseigner les techniques traditionnelles de production télé n’est plus essentiel. «Si les étudiants voyaient cela comme une compétence centrale autrefois dans leur cursus, précise-t-il, ils le perçoivent plus aujourd’hui comme une compétence de niche, comparée au webreportage dont ils auront besoin pour diffuser sur les plateformes numériques.»

De nombreuses écoles de journalisme rapportent également passer moins de temps aujourd’hui sur le design et la mise en page pour la presse écrite, et cela, même si certains stages attendent des étudiants qu’ils sachent utiliser InDesign. Deux écoles assument même avoir mis fin à leur journal interne sur papier et ne fonctionnent plus que sur plateforme numérique. D’autres prévoient de faire de même dans un avenir proche, soit dans les cinq prochaines années.

D’après le sondage et les entrevues menées par la suite, voici ce que les écoles de journalisme ont remanié ou retiré de leurs programmes pour faire de la place à de nouveaux cours focalisés sur les compétences numériques:

  • Réduction de l’emphase mise sur les bases de l’écriture journalistique,
  • Réduction de l’emphase mise sur l’histoire des médias,
  • Réduction de l’offre de cours sur le journalisme indépendant et la chronique,
  • Réduction de l’offre de cours de spécialités,
  • Passage de cours pratiques séparés média écrit/électronique, vers un cours de production multiplateforme,
  • Transformation de cours obligatoires en cours optionnels,
  • Augmentation de la charge de travail, à la fois pour l’étudiant et le département.

 

Si la plupart des répondants affirment que ces changements n’ont pas induit des manques, certains n’en sont cependant pas complètement convaincus.

Ainsi, Mitch Diamantopoulos, directeur du département de journalisme à l’Université de Régina, estime qu’en même temps que les programmes tentent de s’approcher le plus possible des changements en cours dans l’industrie, certaines bases académiques, notamment en matière d’écriture, doivent être coupées. «J’ai bien peur que nous produisions des journalistes très techniques, mais ayant une moins grande profondeur intellectuelle… et ne sachant au final pas grand-chose de leur rôle dans la société.»

Colette Brin, vice doyenne de l’Université Laval à Québec, se dit quant à elle, préoccupée par ce qui se perd. «Nous essayons d’enseigner trop de choses à la fois, estime-t-elle. J’ai bien peur que les étudiants passent à côté de certaines compétences de base. Même si nous devons proposer l’enseignement de nouvelles compétences parce que les étudiants en auront besoin, je me questionne sur la pertinence d’en faire disparaitre d’autres.»

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