Les Autochtones, ces oubliés des médias

130428_3g9ra_rdi-weekend-autochtones_sn635Si les Autochtones semblent être souvent dans l’actualité ces derniers jours, ne nous-y trompons pas: selon le courtier en information Influence Communication, avec seulement quelques centièmes de pourcentage, la thématique ne figure par exemple pas parmi les vingt thèmes les plus médiatisés durant la campagne électorale qui vient de se terminer. Et ce, alors même que plus tôt cette année, les recommandations de la Commission de vérité et réconciliation consacraient un chapitre au rôle que les médias devraient jouer afin que les Premières nations fassent réellement partie intégrante de la société canadienne. ProjetJ dresse un état des lieux de la question.

Par Hélène Roulot-Ganzmann @roulotganzmann

Que ce soit parce qu’il n’y a jamais eu autant d’élus autochtones à une élection fédérale – dix au total – ou parce que les révélations de l’émission Enquête selon lesquelles des policiers auraient agressé sexuellement des femmes autochtones dans la région de Val d’Or font réagir, il semble que nous parlions beaucoup des Premières nations ces derniers jours dans les médias…

Mais ce subit intérêt cache pourtant une réalité bien plus sombre. En matière de médiatisation, les peuples autochtones sont encore trop souvent la cinquième roue du carrosse.

«C’est comme si les Autochtones ne faisaient pas partie intégrante de la société canadienne, s’étonne Marie Wilson, l’une des commissaires de la Commission de vérité et réconciliation. Or, c’est une des trois composantes fondamentales de la confédération. Il y a les francophones, les anglophones et les Premières nations. On vit ensemble depuis 150 ans et on ne se connait même pas! Comment vous expliquez que toutes les commissions soient toujours diffusées en direct sur les chaines d’information continue, qu’on ait mis tant de ressources pour diffuser la Commission de vérité et réconciliation qui s’est tenue en Afrique du Sud après la fin de l’Apartheid, et que notre propre Commission de vérité et réconciliation n’ait pas eu droit au même traitement? il y a pourtant eu tellement de choses intéressantes qui s’y sont dites, tellement de témoignages poignants.»

Le rôle des écoles de journalisme

Après avoir recueilli pendant six ans les témoignages sur les sévices subis par les anciens élèves des pensionnats autochtones, la Commission de vérité et réconciliation du Canada a remis son rapport final au printemps dernier. Celui-ci conclut que les pensionnats autochtones étaient un outil central d’un génocide culturel à l’égard des premiers peuples du Canada, et que seul un réengagement important de l’État pour leur permettre un accès à l’égalité des chances peut paver la voie vers une véritable réconciliation.

Un chapitre est consacré au rôle des médias, soit trois articles. Le premier (84) exige du gouvernement fédéral qu’il rétablisse, puis qu’il augmente le financement accordé à Radio-Canada/CBC afin de permettre au diffuseur public national du Canada d’appuyer la réconciliation et de refléter adéquatement la diversité des cultures, des langues et des points de vue des peuples autochtones. Le deuxième (85) demande au Réseau de télévision des peuples autochtones (RTPA), en tant que diffuseur indépendant sans but lucratif, d’appuyer la réconciliation.

Enfin le dernier (86) s’adresse tout particulièrement aux responsables des programmes d’enseignement en journalisme et des écoles des médias du Canada. Les commissaires souhaitent que tous les futurs journalistes reçoivent un enseignement sur l’histoire des peuples autochtones, y compris sur les séquelles des pensionnats, la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, les traités et les droits des Autochtones, le droit autochtone de même que les relations entre l’État et les Autochtones.

Pas de cours spécifiques

«Nous demandons cela à beaucoup d’autres acteurs de notre société, précise Mme Wilson. Les avocats, les médecins, les travailleurs sociaux devraient être sensibilisés à la question autochtone. Mais ça nous apparait encore plus important chez les journalistes car ils ont le pouvoir de modifier le regard que porte le reste de la population sur les premiers peuples du Canada.»

Or, force est de constater que les programmes de journalisme, d’un océan à l’autre, ne laissent que très peu de place à cette question. Initiative sans doute la plus aboutie à ce jour, la toute nouvelle maitrise en journalisme de l’Université de Régina qui offre un partenariat avec la First Nations University (Saskatchewan) dans le but d’immerger les étudiants dans le monde autochtone.

Ailleurs, c’est surtout du cas par cas, en fonction de l’actualité et de la sensibilité des enseignants.

À l’Université Laval, plusieurs professeurs abordent la question de la sous-représentation et de la couverture stéréotypée des minorités. Par ailleurs, plusieurs travaux réalisés par les étudiants se retrouvent sous forme de reportages sur le site web de l’Exemplaire, je journal école. L’un d’entre eux, publié cette semaine, parle notamment de l’impact des changements climatiques sur les populations autochtones.

À l’UQÀM, il n’y a pas non plus de cours spécifique «journalisme et Autochtones».

«Les cours de journalisme abordent toutes les questions sociales cruciales, mais ces questions sociales cruciales ne font pas nécessairement l’objet d’un cours spécifique, précise Chantal Francoeur, directrice du programme de journalisme. Dire qu’il n’y a pas de cours spécifique portant sur la question ne veut pas dire que la question n’est pas abordée ou qu’elle est négligée.»

Stages à Kawanake

Mme Francoeur affirme notamment que les étudiants s’intéressent spontanément à la question autochtone, notamment dans son cours sur le droit et le journalisme, qui aborde le droit autochtone. Anecdote intéressante également selon elle, le fait qu’une de ses étudiantes ait souhaité consacrer son «voyage-échange» à la culture autochtone. Elle a ainsi complété son cursus à Concordia et au Yukon, plutôt que d’aller à l’étranger.

Le directeur des médias de l’UQÀM, Antoine Char, complète en affirmant que c’est aux étudiants de se faire leur propre culture générale.

«En sortant d’ici, ils doivent avoir une tête bien faite plutôt qu’une tête bien pleine, explique-t-il. Bien sûr, nous abordons les questions d’actualité, ça veut dire qu’on peut parler de l’islam, du conflit israélo-palestinien, ou de la réalité que vivent les Autochtones. Nous proposons également un cours de spécialisation, qui à chaque session est différent, en fonction de ce qui fait la manchette à ce moment-là. Nous pourrions dans ce cadre aborder la question autochtone si celle-ci faisait irruption dans l’actualité. Mais de manière générale, c’est aux étudiants d’être curieux et de creuser les sujets qui les intéressent.»

À Concordia, les étudiants sont quant à eux régulièrement immergés dans le monde autochtone. Le programme envoie effectivement certains d’entre eux faire un stage à l’Eastern Door, journal édité par les Mohawks de Kanawake, réserve située sur la rive sud de Montréal.

«Il y a quelques années, je donnais un cours sur le reportage en zone de conflit et il portait notamment sur la crise d’Oka, explique Mike Gasher, directeur du programme de journalisme à l’Université Concordia. Il me parait important que les journalistes comprennent le monde dans lequel ils évoluent et qu’ils sont sensés couvrir. Et les Autochtones font partie intégrante de notre société canadienne. C’est d’autant plus important que la compréhension que la population a de notre monde vient des médias en général et des médias d’information en particulier. Il est donc primordial que les journalistes leur présentent une image constructive de ce monde, composé de différents peuples, différents endroits, différents points de vue, différentes valeurs.»

Une bourse pour les journalistes autochtones

Un point de vue que ne peut que partager Marie Wilson.

«Il y a des initiatives ponctuelles dans certaines écoles de journalisme, admet-elle. Mais il faudrait plus. Tous les futurs journalistes devraient être formés. Les programmes scolaires occultent complètement les Autochtones, la population canadienne ne connait donc rien d’eux, à part ce qui en est dit dans les médias. Il faudrait donc non seulement leur laisser plus de place, faire plus de reportages, montrer la réalité dans laquelle ils vivent et ne pas aller sur les réserves uniquement lorsqu’il y a des faits-divers. Mais il faudrait aussi en finir avec tous les clichés sur l’alcoolisme et la paresse par exemple. Ou alors, expliquer pourquoi ils en sont là.»

Plus de journalistes autochtones également?

«C’est certain, répond la commissaire. Plus d’avocats, de médecins, d’enseignants, etc. Mais les Autochtones ne sont en règle générale pas assez instruits pour cela. Sauf qu’on ne peut pas s’arrêter à dire cela, ajoute-t-elle. C’est aux journalistes d’expliquer pourquoi. De dire que la qualité de l’éducation dans les réserves laisse à désirer. Que les familles ne veulent plus laisser les enfants partir dans les pensionnats ou les familles d’accueil suite aux sévices que les adultes y ont subis. Que du coup, le regard qu’ils portent sur l’éducation n’a rien de positif. Il y a tout un travail à faire pour changer cette façon de voir les choses. Mais cela n’a rien à voir avec la paresse.»

Peu de journalistes autochtones donc. Mais quelques-uns quand même et de grand talent. Depuis l’année dernière, la Fondation pour le journalisme canadien (FJC) offre une bourse à de jeunes journalistes issus des premiers peuples du Canada afin qu’ils puissent explorer un enjeu qui touche les Premières nations, les Métis ou les Inuits. Les lauréats sont ensuite accueillis pendant un mois par CBC News dans son nouveau Centre autochtone, à Winnipeg. Les récipiendaires de cette année ont notamment travaillé sur la manière dont les personnes âgées autochtones agressées sexuellement ont pu réintégrer leur communauté, et sur les effets, à long terme, de placer les enfants dans des familles d’accueil.

La preuve que les choses changent tout de même. Un tant soit peu…

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