Les métadonnées au programme de la Commission Chamberland

Première semaine chargée à la Commission d’enquête sur la protection de la confidentialité des sources journalistiques qui s’est ouverte lundi à Montréal. Médias, juges, entreprises de télécommunications et experts en cybercriminalité ont été entendus jour après jour afin de comprendre l’environnement dans lequel évoluent les journalistes, policiers et autres juges dans une démocratie comme le Québec. Revue de presse.

Par Hélène Roulot-Ganzmann @roulotganzmann

Les métadonnées sont au cœur de l’affaire d’espionnage des journalistes par les policiers dont l’ampleur a été révélée en novembre dernier. On apprenait en effet à l’époque que la police avait pu mettre la main sur toutes les métadonnées du téléphone cellulaire de Patrick Lagacé et obtenir la possibilité de connaître sa position grâce à la puce GPS qui y est intégrée.

De métadonnées, il a donc été question depuis hier à la Commission Chamberland.

Ces métadonnées ont d’abord une utilité technique, a rappelé mercredi Benoît Dupont, professeur de criminologie à l’Université de Montréal et détenteur de la Chaire de recherche du Canada en cybersécurité. Mais les policiers et les services de renseignement ont compris depuis longtemps qu’elles constituent aussi un « outil privilégié d’enquête et de surveillance de masse ».

Radio-Canada précise que la collecte et l’analyse de ces métadonnées donnent notamment la possibilité de connecter les points entre les activités de suspects impliqués dans des enquêtes criminelles, permettant de reconstituer et d’extrapoler à partir de schémas de communications les réseaux de collaboration entre ces individus suspects ou entre des individus ciblés.

Cet article vous intéresse? Faites un don à ProjetJ.

M. Dupont a ainsi expliqué que l’intérêt pour ces métadonnées augmente aujourd’hui parce qu’il est possible de les traiter de façon automatisée et en temps réel. Selon lui, ces dernières peuvent quasiment permettre d’en apprendre plus sur une personne que le contenu de ses communications elles-mêmes, car une fois réunis avec d’autres renseignements, obtenus par exemple à partir de médias sociaux ou d’autres plateformes, ces «détails en apparence insignifiants» sur une personne peuvent donner des indications sur «ses déplacements, ses habitudes de vie, ses intérêts, ainsi que la nature et la structure de son réseau social».

Aucun respect de la vie privée

Aujourd’hui, c’était au tour des entreprises de télécommunications de se présenter devant la Commission, nous permettant d’apprendre que depuis mai 2010, Vidéotron et Telus ont reçu plus de 8000 demandes de transmission de données sur des clients à la demande de quatre corps de police.

Avant 2014, la Sûreté du Québec et le Service de police de la Ville de Montréal étaient aussi abonnés à des services de Telus qui leur permettaient, sans autorisation judiciaire, d’obtenir directement le nom et l’adresse de personnes associées à des numéros de téléphone, relate La Presse.

Les fournisseurs ont admis que certaines demandes supposent une transmission énorme de données. Ainsi, les policiers peuvent rechercher la totalité des informations ayant transité par une tour de transmission. À la Place Ville-Marie par exemple, cela représente 10 000 appels environ en une heure seulement. Et lorsqu’une demande est si large, impossible de protéger la vie privée de personnes innocentes n’ayant rien à voir avec le dossier, affirment-ils.

Pas de formation sur la confidentialité des sources

Ce plongeon dans les métadonnées depuis deux jours fait suite aux témoignages de juges venus défendre le travail des juges de paix.

En décembre, rappelle La Presse, l’état-major du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) a dévoilé que 98,6 % des mandats qu’il avait présentés à des juges de paix magistrats avaient été acceptés au cours des trois dernières années.

Une statistique qui n’étonne pas Me Danielle Côté, juge en chef adjointe à la Chambre criminelle et pénale de la Cour du Québec. Selon elle, les policiers sont bien formés et leurs demandes sont généralement bien préparées.

Et pourtant, les témoins qui ont défilé au deuxième jour de la Commission Chamberland sur la protection des sources journalistiques ont expliqué que les policiers et les juges de paix magistrats – qui autorisent les mandats judiciaires –  n’avaient pas dans leur parcours de formations pointues quant à l’écoute électronique de membres de la presse, rapporte Le Devoir.

Du côté de l’École nationale de police du Québec (ENPQ), le témoin Paulin Bureau, directeur du perfectionnement policier à l’institution, a en effet expliqué qu’en «aucun moment tout ce qui concerne la confidentialité des sources ou les relations avec les médias n’est abordé» dans les formations des agents.

Les sources se tarissent

La Commission s’est ouverte lundi par une allocution de son président, Jacques Chamberland, précisant que son mandat n’est pas de trouver un coupable ou de faire des blâmes, ni de déterminer la légalité des actions menées pour procéder à l’écoute de sources des médias, mais bien de mettre en lumière ce qui a permis les faits controversés. Ensuite, les médias ont pris la parole.

Par la voix de l’ex-secrétaire général de la Fédération professionnelle des journalistes (FPJQ), Claude Robillard d’une part, venu expliquer que «parler aux bonnes personnes devient difficile. Selon celui qui a passé plus de 25 ans à la FPJQ, rapporte toujours Le Devoir, le contrôle de plus en plus étanche de l’information par les départements de communication explique le recours aux sources confidentielles par les journalistes. La méthode devient ainsi «une échappatoire».

Quant aux représentants de La Presse, du Devoir et de Radio-Canada, ils sont venus dire que depuis que le scandale a éclaté l’automne dernier, leurs sources se cachent de peur d’être découvertes.

«C’est excessivement dommageable, souligne le directeur général de l’information de Radio-Canada, Michel Cormier. Des gens vivent dans la hantise que leur nom soit dévoilé. On se sent moralement liés à eux. Ce sont des sources qui se sont taries.»

Le directeur du Devoir Brian Myles, a quant à lui dénoncé le fait que la surveillance «a plus été faite pour débusquer les taupes que pour faire déboucher les enquêtes». Selon lui, les membres des médias ont servi de cheval de Troie pour identifier «des gens qui parlaient un peu trop».

Enfin, Éric Trottier, éditeur adjoint du quotidien La Presse a rappelé les risques majeurs que prennent leurs sources, souvent dans le but de faire avancer la démocratie. «Neuf fois sur dix, souligne-t-il, les gens veulent dénoncer une situation inadmissible dans leur milieu de travail.»

À voir aussi:

«L’État doit reprendre son rôle de régulateur fort»

Le Centre d’études sur les médias a 25 ans

36 millions de dollars pour la presse écrite

En revenir aux faits

Les fausses nouvelles font réagir l’industrie

 

You may also like...