Les fausses nouvelles font réagir l’industrie

Qu’on l’appelle rumeur, hoax, complot ou conspirationnisme, le scepticisme, voire la méfiance à l’égard de l’information, ont toujours existé. Et finalement, ce qui est inédit aujourd’hui, ce n’est pas tant la fausse information que l’ampleur inédite qu’elle a prise avec l’avènement des réseaux sociaux et leur force de frappe massive. C’est ce qui ressort d’une table ronde organisée le mois dernier à Paris et rapportée par Méta-Média, le site web prospectif de France Télévisions.

Par Hélène Roulot-Ganzmann @roulotganzmann

«Trump finalement n’est ni plus ni moins qu’un troll comme il en existe des milliers sur le web – à la différence près qu’il est désormais à la tête de la première puissance mondiale, écrit Alexandra Yeh, membre de la direction de la Prospective à France Télévisions. C’est sans aucun doute une période sombre que traversent les médias, mais c’est aussi l’occasion d’entamer un vrai travail de réhabilitation du métier de journaliste.»

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La bonne nouvelle, c’est que si nous sommes rentrés dans l’ère de la post-vérité, eh bien la population le sait et elle s’y intéresse. Pour preuve, le fait que les recherches Google sur le mot «fake news» ont explosé à compter de l’élection de Donald Trump en novembre dernier.

Oui, le quidam se méfie aujourd’hui des médias traditionnels qui ne sont selon lui que les relais des pouvoirs politiques et économiques. E qui ne signifie pas pour autant qu’il ait une confiance aveugle envers les sites alternatifs, qui se positionnent pourtant comme les fleurons d’une information dite libre, par opposition à l’information institutionnalisée, voire étatisée, des médias traditionnels.

Démocratie des crédules

Le problème, c’est que même si ceux qui produisent des faussent nouvelles et ceux qui les font circuler ne sont relativement pas nombreux, grâce à la puissance des médias sociaux, ils font beaucoup de bruits. Et qu’ils monopolisent l’attention des citoyens et des médias sur des sujets anodins pour mieux éviter les sujets importants.

Dans une entrevue accordée à la revue The Conversation, Gérald Bronner, professeur de sociologie à l’université Paris Diderot, explique qu’il préfère l’expression «Démocratie des crédules», plutôt qu’ère de la post-vérité parce que cette dernière laisse entendre que les gens sont devenus indifférents à la vérité, ce à quoi il ne croit pas.

«Il y a quatre catégories d’acteurs qui font circuler des informations fausses, analyse-t-il. Ceux qui le font en sachant qu’elles le sont, simplement pour mettre du bordel dans le système ; ceux qui le font par militantisme idéologique afin de servir leur cause ; ceux qui le font pour servir des intérêts politiques, économiques ou même personnels ; enfin ceux qui le font en croyant qu’elles sont vraies, et c’est à leur propos que se pose le plus la question de la post-vérité.»

Parce que les médias traditionnels et eu qui diffusent de fausses informations jouent sur les mêmes plateformes et qu’il est donc très difficile de faire la différence. Et c’est là que les failles des médias et de leurs journalistes sont pointées du doigt.

Éducation aux médias

«La guerre de l’information aura au moins permis de mettre au jour le décalage problématique entre les citoyens et leurs médias, écrit Alexandra Yeh. L’entre-soi journalistique a tendance à nous faire vite oublier que tous les lecteurs n’ont pas les mêmes clés pour comprendre l’info et que la différence entre le fait et le commentaire est parfois loin d’être évidente.»

D’où l’importance du fact-checking. Mais aussi et peut-être surtout d’un retour à l’éducation aux médias et aux sources de l’information, ont conclu les panélistes à Paris.

Un travail qui doit passer, selon David Dieudonné, responsable du Google News Lab, par une collaboration des médias entre eux, mais aussi avec les géants du web qui sont aujourd’hui les principaux pourvoyeurs d’info pour un grand nombre de citoyens.

Mais peut-être que les journalistes devraient aussi arrêter de rebondir sur chacune des faussetés relayées sur les média sociaux. C’est en tout cas le point de vue de plusieurs chercheurs à qui le journal Le Devoir a donné la parole le mois dernier.

«Je ne suis pas certaine qu’il faille répondre directement à Trump, note Kelly McBride, éthicienne des médias et vice-présidente au Poynter Institute. Cela ne ferait que nourrir son désir de combat avec la presse. En revanche, nous sommes plus puissants quand nous effectuons de solides reportages sur son gouvernement. Ses critiques envers la presse vont sonner creux si cette dernière révèle des informations justes que le public trouve convaincantes.»

«Les journalistes devraient être prudents et ne pas rapporter chacun de ses propos outranciers, complète David Mindich, enseignant au collège Saint Michael’s, dans le Vermont et ancien de CNN. Il faut plus parler de ce que le gouvernement fait au lieu de ce que Trump dit. Il ne faut pas s’emprisonner à son fil Twitter et peut-être parler des choses moins sexy. C’est ardu.»

Les fausses nouvelles, une opportunité pour l’industrie?

Répondre par les faits donc, mais pas seulement, croient d’autres. Pour L’éditeur du magazine américain Harper’s John R. MacArthur en effet, les faits c’est bien, mais la situation demande une approche journalistique un peu moins objective. Selon lui, les médias aujourd’hui ne s’en tiennent plus à rapporter ce que Donald Trump dit. Ils annoncent tout de suite que c’est faux.

«C’est un grand changement, analyse-t-il. C’est beaucoup plus engagé et agressif, c’est une très bonne chose. (…) C’est plutôt fade l’objectivité, c’est ennuyeux, ça nuit finalement à la vérité.»

Et Le Devoir de conclure que si l’explosion des fausses nouvelles avec l’arrivée de Donal Trump au pouvoir est un problème pour la profession, elle ne l’est pas forcément pour l’industrie. Alors que celle-ci baignait dans la morosité ces dernières années, la situation semble plus excitante depuis quelques semaines.

«Alors que les dernières années ont souvent été marquées par des compressions et des pertes d’emplois, le vent change de direction et permet l’activation d’une spirale plus positive, peut-on lire. Les médias mettent plus d’effort pour couvrir Trump, font ainsi du meilleur travail, et les lecteurs inquiets de l’approche du président se retournent vers la presse et s’abonnent en masse.»

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