«Foglia nous dévoile tels que nous préférerions ne pas nous voir»

Couverture FOGLIAMarc-François Bernier, ex-journaliste aujourd’hui professeur au département de communication de l’université d’Ottawa, signe un essai impressionnant sur l’œuvre du tout jeune retraité, Pierre Foglia. Un travail de plusieurs années, qui l’a amené à décortiquer les quelques 4300 chroniques publiées entre 1978 et 2015 dans le quotidien La Presse, par celui qui est sans doute le chroniqueur le plus influent du Québec. Il retrace ainsi sa vie, mais aussi ses amours, ses passions, ses prises de position, ses convictions, ses contradictions et ses erreurs, avouées ou inavouées.

Par Hélène Roulot-Ganzmann @roulotganzmann

Admiratif sans être complaisant. Si Marc-François Bernier admet d’emblée être un admirateur de Foglia, il ne signe pas là une hagiographie.

«C’est certain que c’est un personnage que j’admire, raconte l’auteur à ProjetJ. On ne sacrifie pas autant de temps à quelqu’un qu’on n’apprécie pas. Oui bien sûr, il y a de l’admiration, ça a été sans doute le premier moteur.»

Un moteur qui a donc poussé l’universitaire à lire et relire les 4300 chroniques publiées depuis presque quarante ans dans les pages de La Presse, et à rencontrer leur auteur.

Photo_Jean-Marc Bernier_1«Quand j’ai été bien avancé et qu’une maison d’édition s’est dite intéressée, j’ai contacter Foglia, explique-t-il. Par courtoisie d’abord, pour lui dire que je préparais un livre sur son œuvre. Et puis, il y avait des questions qui restaient en suspend, mais je me disais que peut-être j’aurais la réponse dans les chroniques que je n’avais pas encore lues. Je lui ai demandé si plus tard, nous pourrions nous parler. Et il a accepté. Nous nous sommes rencontrés en décembre dernier. Il était très surpris que l’on puisse porter autant d’intérêt à son œuvre. Il avait beaucoup d’humilité. Sans doute avait-il peur aussi. Ce n’est pas évident de se faire écrire à son sujet. À quelques occasions durant notre entrevue, j’ai ressenti un certain malaise.»

Choquant mais pas vulgaire

Qu’il se rassure donc! Aucune méchanceté ne se cache dans ce livre. M. Bernier permet en revanche à ceux qui ont suivi le chroniqueur depuis ses débuts d’ordonner ses idées, ses prises de position, de comprendre son évolution et ses contradictions. Et à ceux qui l’ont connu sur le tard, de saisir pourquoi cet homme d’origine italienne, parti de France avec la ferme volonté de s’installer en Australie, a fait une escale au Québec pour ne jamais en repartir. Comment ce pur produit de l’école républicaine à la française, enfant pauvre de la Champagne devenu typographe de formation, est parvenu à se faire une place à La Presse et dans le cœur des Québécois. Comment ce maudit Français a pu devenir le chroniqueur le plus respecté de la Province, tout en nous montrant «tels que nous préférerions ne pas nous voir».

«Son parcours fascine d’abord, explique Marc-François Bernier. Cette éducation française, cette culture italienne, cette culture européenne. Et puis cette façon qu’il a eu de décoincer la parole. N’oublions pas qu’il arrive au Québec en pleine révolution tranquille, la société était encore très fermée. Dès ses premiers écrits, il a recours à des sujets que bien des gens trouvaient vulgaires. Il évoque la prostitution. C’était choquant. Il a voulu pousser pus loin le langage. Il écrivait que la vulgarité ce n’est pas les mots, ce sont les choses qu’ils évoquent.»

M. Bernier met également en relief son style, comme s’il avait inventé sa propre langue, à mi-chemin entre le français académique et celui que l’on parle au Québec. Il souligne aussi la capacité qu’il avait de discuter, d’échanger avec son public, même si ses réponses pouvaient parfois être cinglantes.

«Foglia était sans doute le chroniqueur le plus populaire, ajoute-t-il, mais il entretenait une relation d’amour/haine. Ses lecteurs n’étaient pas tous d’accord avec ce qu’il écrivait, loin de là. Moi-même, je ne partageais pas toujours l’opinion qu’il défendait. On peut dire qu’il avait un fidèle public de détracteurs.»

Indifférent aux réactions

C’est sans doute cette propension à défendre ses valeurs et ses idéaux jusqu’au bout, à revenir sur le sujet chronique après chronique, même quand ça fait mal, que M. Bernier qualifie d’insolence. Foglia, l’Insolent. Parce qu’il reste complètement indifférent aux réactions que suscite son discours.

On le découvre ainsi tour à tour moraliste (mais pas moralisateur), indépendantiste, épris de justice sociale, athée, libertaire, cycliste, olympien, hypocondriaque, amoureux des mots, des livres, des chats… et de sa fiancée. Sans complaisance avec ses jeunes enfants, qu’il trouve «inachevés, bruyants et assez inutiles», avec son ex-épouse, qui fera les frais de plusieurs chroniques, ni même du reste, avec lui-même.

«Foglia a beau être le chroniqueur le plus influent du Québec, écrit Marc-François Bernier, celui qui peut lancer une contestation ou s’élever contre une opinion trop répandue pour ne pas lui paraître suspecte, il sait que ses indignations sont des feux de paille. Il est conscient d’avoir un impact limité, de parfois se retrouver le seul de son camp, le dernier des Mohicans comme il le dira lui-même. Sa sensibilité de gauche, sa passion pour la justice sociale, ses références venues de son enfance, sa culture littéraire, tout ce qui fait son originalité peut parfois contribuer à le conduire dans des sentiers où bien peu acceptent de le suivre. Il est parfois l’unique à se scandaliser, à se révolter. Ces jours-là, il n’est pas bien loin de se décourager.»

Mais aura-t-il eu aussi peu d’impact qu’il ne l’estime?

«C’est difficile de mesurer l’impact qu’il a eu sur l’évolution de la société québécoise ces quarante dernières années, répond l’universitaire. Ce qui est sûr, c’est qu’il a influencé toute une génération de journalistes. Il a fait progresser l’écriture journalistique, il a aussi libéré leur parole. Il s’est donné toutes les libertés et il a permis à d’autres d’écrire sur des sujets jusque-là peu médiatiques, avec plus de liberté.»

Éclectisme rarement égalé

Une liberté qu’il n’aurait d’ailleurs certainement pas eue ailleurs qu’à La Presse, estime Marc-François Bernier. Liberté d’écrire, liberté de ne pas écrire également quand rien ne l’inspirait. Liberté de voyager pour aller couvrir aujourd’hui les olympiques, le lendemain la guerre en Irak, le surlendemain le Tour de France. Une totale liberté qui lui a permis un éclectisme rarement égalé en journalisme.

Mais le 3 mars dernier, Pierre Foglia a annoncé à ses lecteurs qu’il prenait sa retraite. Marc-François Bernier n’avait pas été mis dans le secret lorsqu’il a démarré cet ouvrage.

«Dans une de ses dernières chroniques, raconte Marc-François Bernier, Foglia écrit qu’il resterait à La Presse aussi longtemps que le journal serait sur papier. Finalement, il est parti un peu avant.»

Et lui qui avait la liberté de tout, même de contester les choix de son employeur, avait-il justement écrit sur le virage numérique entrepris par le quotidien de Gesca?

«Rarement, répond M. Bernier. Je ne vois d’ailleurs pas de nostalgie chez lui. Il voue une véritable passion à l’imprimerie et à son premier métier de typographe. Dans tous les pays dans lesquels il voyage, il va rendre visite à des typographes. Il s’en va au moment où son journal se tourne vers le tout numérique. C’est sûr que lui, il est d’une autre époque. Une époque qu’il aura assurément marquée.»

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Foglia l’Insolent, éditions édito, à partir du 23 septembre en librairie.

Par souci de transparence, ProjetJ tient à signaler que Marc-François Bernier fait partie de son comité éditorial.

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