Reporter sans frontières condamne la perquisition au JDM

La saisie de l’ordinateur de Michaël Nguyen par la Sécurité du Québec (SQ) continue de faire couler de l’encre. Cette fois, c’est au tour de l’organisation Reporter sans frontières (RSF) de condamner la perquisition dont a fait l’objet la salle de nouvelles du Journal de Montréal mercredi dernier. Une voix qui vient s’ajouter à celles déjà nombreuses à  dénoncer la situation depuis une semaine.

Par Hélène Roulot-Ganzmann @roulotganzmann

48d3763d0d058c034f179fcd4254f999«La saisie de l’ordinateur de Michaël Nguyen compromet l’indépendance des journalistes et la protection de leurs sources, estime Delphine Halgand, porte-parole américaine de RSF, par voie de communiqué. Il semblerait que le Conseil de la magistrature cherche à intimider le journaliste pour l’empêcher de publier des articles critiques ou peu flatteurs à l’encontre de fonctionnaires.»

Une voix qui vient s’ajouter à celles déjà nombreuses à condamner la manière de faire du Conseil de la magistrature. Hier encore, dans les colonnes du Devoir, par la plume de son directeur Brian Myles. Selon lui, il ne fait aucun doute qu’en envoyant la police perquisitionner au Journal de Montréal, le Conseil de la magistrature, ne cherchait qu’une seule chose, mettre la main sur la source de M. Nguyen.

«Et si Nguyen avait volé ou piraté les documents?, questionne-t-il Dans cette hypothèse, il y aurait des témoins et des déclarations faites à la police au lieu d’un tissu de présomptions, et il faudrait l’accuser au criminel sans plus tarder, ce qui mènerait inéluctablement à la saisie de son ordinateur. Nous n’en sommes pas là, et c’est bien la preuve que le Conseil de la magistrature a mis son pouvoir d’influence au service d’une cause indéfendable. À l’évidence, le Conseil cherche à connaître la source du journaliste, et il passe par le chemin le plus court pour y parvenir.»

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Mais qu’à donc révélé cette fameuse source? Des documents ultrasecrets susceptibles de mettre la nation en danger? Que nenni! L’article ayant mené à cette saisie d’ordinateur date du 3 juin dernier et son auteur révélait alors qu’une juge, en l’occurrence Suzanne Vadboncoeur,  faisait face à une plainte, pour avoir traité des constables spéciaux de «cons», «d’épais» et «d’imbéciles», après un souper de Noël de la magistrature.

Défense de la démocratie

Une petite visite de la SQ dans une salle de nouvelles qui n’a donc laissé personne indifférent dans l’industrie et qui a démontré toute la solidarité dont les journalistes peuvent faire preuve quel que soit le média auquel ils appartiennent. Le Journal de Montréal a bien évidemment dégainé le premier par la voix de son directeur de l’information, George Kalogerakis.

«Notre journaliste Michael Nguyen n’a transgressé aucune loi, écrit-il mercredi soir dernier, quelques heures seulement après les faits. Il faisait simplement son travail en montrant au public le comportement discutable de la juge Vadboncoeur. Il s’agit d’un sujet hautement d’intérêt public, car la population est en droit de savoir comment ses représentants se comportent. Nous entendons contester ce mandat de perquisition».

Très vite la Fédération professionnelle des journalistes (FPJQ) et l’Association des journalistes indépendants (AJIQ) lui emboitent le pas.

«Il est inadmissible de perquisitionner des journalistes ou des médias d’information pour tenter de démasquer leurs sources lorsque ce qui a été révélé est d’intérêt public, comme dans le cas présent, déclare le président de la FPJQ, Jean-Thomas Léveillé. Le public a le droit de savoir comment se comportent les représentants de l’État, qui plus est quand ils sont chargés d’appliquer la loi.»

«La liberté de presse est une valeur fondamentale dans une société libre et démocratique, lit-on dans la prise de position de l’AJIQ. Cette liberté inclut le recours à des sources anonymes et à des lanceurs d’alerte. Il est scandaleux de voir un appareil étatique user de son pouvoir afin d’intimider les journalistes dans l’exercice de leur métier et d’obtenir l’identité de sources dont l’anonymat reste garante de la pratique d’une fonction essentielle à toute société libre et démocratique.»

Perplexes, inquiets, en colère

Mais les journalistes des autres médias ont eux aussi mis de l’avant cette atteinte à leur droit d’informer, tant sur les médias sociaux, que dans les pages de leurs journaux ou sur leurs ondes. Pierre Saint-Arnaud à La Presse canadienne, mais aussi, Philippe Teisceira-Lessard à La Presse et même du côté anglophone, Basem Boshra dans les pages de The Montréal Gazette.

Un sujet éminemment d’intérêt général, selon ce dernier, et pas seulement pour les journalistes, comme c’est souvent le cas dans les colonnes des pages médias, s’excuse-t-il presque. Mais l’heure est grave, selon lui.

Avec votre indulgence, écrit-il, je souhaiterais vous parler d’un événement extraordinaire qui a eu lieu cette semaine et qui nous a laissé, moi et mes collègues, tant à The Montreal Gazette, que dans toutes les autres salles de nouvelles de la ville et plus loin encore, perplexes, inquiets, pour ne pas dire que ça nous a mis très en colère.

Les chroniqueurs ont eux-aussi pris la plume pour dénoncer la situation. Yves Boisvert, dans La Presse, rappelle notamment que  les salles de rédaction ne sont pas des sanctuaires inviolables et qu’il peut arriver que, pour résoudre un crime sérieux, les policiers en viennent à aller fouiller dans une salle de rédaction, comme dans le bureau d’un professionnel.

«Mais c’est un dernier recours, ajoute-t-il. Il y a des règles à suivre. Une salle de rédaction n’est pas un lieu comme un autre. « Les médias ont droit à cette attention particulière en raison de l’importance de leur rôle dans une société démocratique », disait la Cour suprême en 1991.»

Esprit de corps

À Radio-Canada, la chroniqueuse judiciaire Isabelle Richer est allée rechercher son ex-patron de l’information, également ex-président de la FPJQ et aujourd’hui professeur au DESS en journalisme à l’Université de Montréal, Alain Saulnier, pour discuter de la question. Selon lui, il ne fait aucun doute qu’on assiste à un «esprit de corps».

«C’est comme si les magistrats protégeaient les magistrats, commente-t-il. Il faut qu’ils autorisent la perquisition. Il faut qu’ils autorisent les policiers à se présenter pour aller saisir l’ordinateur de M. Nguyen. Ça donne juste l’impression que les juges se protègent entre eux.»

Et ce, au détriment de la sacro-sainte protection des sources journalistiques, dénonce quant à elle Lise Millette, elle aussi ex-présidente de la FPJQ. Dans un statut publié sur Facebook, elle  rappelle que ce cas s’ajoute à ceux de Éric-Yvan Lemay, Joël-Denis Bellavance, Gilles Toupin, Ben Makuch… et de nombreux sonneurs d’alarme dans la mire ceux qui refusent que l’on sache.

Vers une loi sur la protection des sources?

Face à ce tollé, l’Assemblée nationale a voté jeudi une motion pour la protection des sources journalistiques.

«Le travail journalistique, c’est le quatrième pouvoir de notre société, et c’est important de s’assurer, si on veut avoir une société qui est libre et démocratique, de protéger la confidentialité des sources journalistiques», a indiqué le député caquiste Simon Jolin-Barrette, appuyé par le péquiste Maka Kotto et Manon Massé de Québec Solidaire.

Tout le monde espère maintenant que les députés passeront de la parole aux actes. Toujours dans son éditorial, Brian Myles regrettent en effet que l’émoi ne soit que passager.

«Le Devoir espère que leur réservoir d’indignation n’est pas déjà épuisé, et qu’ils passeront de la parole aux actes en adoptant une loi sur la protection des sources, différente du projet de loi sur la protection des lanceurs d’alerte, et complémentaire», écrit-il, rappelant qu’aux États-Unis, une quarantaine d’États se sont dotés d’un cadre légal sur la protection des sources.

Un sujet qui sera, parions-le, au cœur des discussions lors du prochain congrès de la FPJQ à Saint-Sauveur le 19 novembre. Son thème sera en effet on ne pleut plus d’actualité puisqu’il s’agira de savoir comment, dans le contexte actuel, continuer à bien nous nourrir, nous tous, chiens de garde que nous sommes.

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