Lettre ouverte à la ministre du Patrimoine canadien, Mme Mélanie Joly

Par Alex Levasseur, ex-président du Syndicat des communications de Radio-Canada (CSN-FNC) 2007-2014

Mme la Ministre,

Les propositions de la haute direction de CBC/Radio-Canada quant à l’avenir du diffuseur public canadien arrivent opportunément à un bien curieux moment. Après avoir affirmé publiquement à maintes reprises que CBC et Radio-Canada n’avaient pas besoin de financement public supplémentaire, le Président-directeur général fait maintenant volte-face et demande un financement accru, stable et indépendant du facteur politique. En échange il est prêt à faire table rase des revenus publicitaires.

Rappelons-nous que ce même P.-D. G. demandait et obtenait du CRTC il y a 4 ans l’autorisation d’ajouter de la publicité sur certaines chaines de radio : Espace musique et Radio2. Que s’est-il passé pour expliquer une volte-face aussi surprenante que non crédible? La couleur du gouvernement fédéral a changé! Grâce aux pressions populaires avant le dernier scrutin fédéral, votre gouvernement a accepté de réinjecter des sommes coupées par le précédent gouvernement. Voilà ce qui a changé.

Pour le reste, les problèmes sont les mêmes: le financement instable de la production, la réduction des revenus publicitaires en raison de l’augmentation des chaînes et du développement des plateformes numériques, l’introduction des grands joueurs internationaux de contenus (Netflix, Google, Youtube etc..) et leur faible participation au système canadien de radiodiffusion, tout cela existait il y a quelques années. Pourtant ni le Conseil d’administration de Radio-Canada ni sa haute direction n’ont voulu admettre que le diffuseur public fonçait droit dans un mur.

Malgré les tentatives qu’ils font maintenant, le P.-D. G. et le Conseil d’administration de CBC/Radio-Canada ont démontré qu’ils ne sont plus à la hauteur du défi. Tous ont mené le diffuseur public dans un cul-de-sac. Le seul retrait de la publicité et sa compensation par 400 Millions de dollars supplémentaires d’argent public ne sauveront pas le diffuseur public canadien. La cure de rajeunissement devra être autrement plus profonde. Dans un document de réflexion que je publiais en 2014, au nom du groupe « Tous amis de Radio-Canada », j’indiquais déjà les 3 pistes de réflexion essentielles au maintien d’un diffuseur de qualité : un financement public accru, une programmation de qualité reflétant le mandat public du diffuseur national et une refonte majeure de sa gouvernance.

Dans son mémoire, intitulé « Propulser la culture canadienne » et soumis dans le cadre des consultations publiques sur l’avenir du contenu canadien dans un monde numérique, Hubert T. Lacroix, actuel P.-D. G. depuis 10 ans, propose 2 choses : retirer la publicité en échange de 400 millions de dollars, et redevenir créateur de programmes répondant aux critères de la diffusion publique. Sur ce dernier point en particulier, il n’est pas crédible, considérant qu’il vient de « brader » les actuelles installations de Radio-Canada à Montréal au profit de nouvelles installations ne comportant aucune facilité de production télévision. Il a fait de même aussi en région, réduisant à peau de chagrin les installations des stations régionales comme Québec et Moncton.

L’un des problèmes spécifiques de CBC/Radio-Canada vient de son mode de gouvernance hermétique, opaque et dépassé. Pourtant, dans son projet, l’équipe actuelle de haute direction ne dit pas un mot, ne propose rien d’autre que le statu quo à ce propos. Dans le contexte actuel, un tel statu quo rend le projet radio-canadien tout à fait inacceptable et toute injection de fonds supplémentaires le serait en pure perte, comme jeter de l’eau à la mer.

Hubert T. Lacroix cite le modèle de la BBC, mais il omet de retenir la principale caractéristique de ce modèle anglo-saxon : un modèle de gouvernance qui permet de discuter et établir les objectifs de production et de diffusion selon un large consensus, d’allouer conséquemment les ressources financières et autres (pensons aux revenus tirés de redevance sur la propriété des droits de suite, etc..), et enfin d’établir un vrai contrôle: contrôle sur la réalisation du mandat en fonction des mandats acceptés par le diffuseur, et contrôle financier indépendant quant à la gestion des ressources (audit).

Le «Livre blanc sur l’avenir de CBC/Radio-Canada» paru en 2014 évoquait déjà ces questions. Ni le gouvernement de l’époque, ni le CRTC, n’y ont donné suite. D’ailleurs, à ce propos, permettez-moi d’affirmer que le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) n’a aucunement joué son rôle ces dernières années, se bornant à laisser dériver le diffuseur public. Sa responsabilité est engagée dans la situation actuelle. Le diffuseur public canadien ne devrait plus être soumis à cet organisme, mais relever d’un organisme public indépendant et qui ne rend de compte qu’au Parlement canadien.

C’est à une réorganisation complète du système public de radiodiffusion à laquelle je vous convie, Madame la ministre et qui doit être faite dans les meilleurs délais, avant qu’il ne soit trop tard pour effectuer le coup de barre qui s’impose. Il est primordial d’empêcher le démantèlement et la fermeture de cette institution publique nationale chère à bon nombre de Canadiennes et de canadiens.

Les idées exprimées n’engagent que l’auteur.

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