Un maire Coderre visible, mais pas transparent

La Fédération professionnelle des journalistes (FPJQ) a annoncé la semaine dernière qu’elle rencontrerait le maire Denis Coderre avant la fin du mois de janvier pour parler transparence. Si les potentats locaux en région sont souvent montrés du doigt pour l’énergie qu’il mette à faire en sorte que les journalistes ne puissent pas faire leur travail, il s’avère que l’administration municipale de la métropole n’est pas elle non plus un exemple à suivre en la matière. ProjetJ revient sur les différentes entraves auxquelles les journalistes montréalais ont eu à faire face ces derniers mois.

Par Hélène Roulot-Ganzmann @roulotganzmann

«Visibilité ne signifie pas transparence», écrit Montréal Gazette vendredi dans son éditorial, au lendemain de l’annonce par la FPJQ de la rencontre que la fédération aura avec le maire Denis Coderre et son directeur des communications, à la fin du mois de janvier.

«La FPJQ a demandé cette rencontre suite à plusieurs plaintes formulées par ses membres et accusant l’administration Coderre d’entraver leurs efforts de couverture en matière d’affaires municipales, peut-on lire dans les pages du quotidien anglophone. Dans certains cas, l’accès aux élus est refusé. Dans d’autres, les réponses à des questions d’intérêt public mettent du temps à arriver, ou n’arrivent pas du tout. Montreal Gazette a par exemple dû attendre quatorze jours pour avoir des réponses concernant les modalités d’évaluation des offres lors d’un appel d’offres concernant un contrat public.»

Des accusations qui pourront en étonner plus d’un à l’extérieur du petit monde de l’industrie journalistique, tant le maire est omniprésent sur les réseaux sociaux, qu’il semble être partout, aussi bien pour recevoir Al Pacino à l’Hôtel de ville que pour accueillir les réfugiés syriens à l’aéroport, et qu’il est passé maitre dans l’art de l’égo-portrait. L’administration se défend d’ailleurs de ces accusations de noirceur en répondant que le public ne manque pas de nouvelles vu le nombre de conférences de presse quotidiennes qu’elle organise.

Ce à quoi, l’opposition officielle à l’Hôtel de Ville, Projet Montréal, première à dénoncer le manque de transparence du maire, rétorque par la voix de son adjoint à la directrice générale, Simon Delorme sur twitter, qu’être transparent, ce n’est pas faire beaucoup de conférences de presse mais bien répondre aux questions.

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#Freinalinfo

Un comité de la FPJQ rencontrera donc le maire Coderre dans les tous prochains jours. Si la fédération affirme ne pas être en confrontation avec lui, celui-ci ayant accepté rapidement l’idée de cette rencontre, elle aura cependant de quoi argumenter tant les plaintes se multiplient contre les pratiques de l’Hôtel de Ville. C’est encore une fois un article de Montreal Gazette qui a mis le feu aux poudres au printemps. La journaliste Linda Gyulai expliquait alors dans les moindres détails la manière dont l’administration s’y était prise pour ne pas lui fournir les informations concernant le dépassement du coût d’un contrat attribué à la firme Louisbourg sbc.

Quelques jours plus tard, la FPJQ lance une plateforme web pour récolter, analyser et publier toutes les entraves à la liberté d’informer. Par le biais d’un courriel ou de twitter, grâce au mot-clic #Freinalinfo, les journalistes sont invités à répertorier tous les cas d’intimidation, les restrictions, les menaces dont ils font l’objet dans l’exercice de leur métier.

Et force est de constater à la lecture de ces cas, que nombre d’entre eux concernent l’Hôtel de ville de Montréal.

En juin, le photojournaliste de l’Agence QMI Joël Lemay rapporte avoir été empêché de faire son travail par des agents du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) lors d’une manifestation contre l’austérité dans le centre-ville de la métropole.

Durant l’été, plusieurs journalistes se plaignent de voir les questions qu’ils avaient posées au service des communications de la Ville, prises en charge par le cabinet du maire lui-même, alors même qu’elles n’avaient rien à voir avec la politique municipale. Et celui-ci de répondre à tous les coups que leur stratégie de communication sur le sujet n’étant pas encore élaborée, il faudrait patienter pour avoir des réponses… et qu’une annonce serait faite dans quelques semaines, voire dans quelques mois.

Fin octobre, deux étudiants en journalisme du programme de l’Uqàm se font ensuite expulser d’un briefing technique sur entrepreneuriat organisé par la Ville.

Stratégie collaborative

Invité à s’exprimer sur la question de la liberté de presse lors d’un panel organisé à l’occasion du dernier congrès de la FPJQ en novembre à Québec, le directeur de la rédaction du Journal de Montréal, George Kalogerakis a raconté comment l’accès à une partie de la galerie du deuxième étage de la salle du conseil a été fermé aux journalistes après que l’un deux soit monté et ait pris des photos des élus en train de jouer aux cartes et de consulter leur page facebook sur leur tablette.

En tout, la FPJQ a récolté une dizaine de témoignages de journalistes qui se sont fait refuser des entrevues par la Ville, ou qui n’arrivent pas à obtenir les informations demandées. Des entraves qui touchent tous les médias ou presque, sans discrimination aucune.

La FPJQ espère sortir de sa rencontre avec le maire en ayant pu discuter avec lui de la mise en place «d’une stratégie collaborative afin que les citoyens puissent recevoir toute l’information publique qui leur est due».

Quant aux éditorialistes de Montreal Gazette, s’ils admettent que cette rencontre est un signe positif, ils insistent sur le fait qu’il sera ensuite important de s’assurer que cette discussion mène à de réels changements.

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