À Radio-Canada, le vrai virage numérique, c’est maintenant!
Désormais, dans la salle de nouvelles de Radio-Canada, l’information ne sera plus organisée selon les plateformes, la télé, la radio ou le web, mais selon le genre de journalisme. D’un côté, l’info en continu, de l’autre, le journalisme d’impact. Petite visite du Centre de l’information, en compagnie de Michel Cormier, directeur général information des services français.
Par Hélène Roulot-Ganzmann @roulotganzmann
La réforme était dans les cartons depuis quelques années déjà, renvoyée aux calendes grecques pour cause de coupures budgétaires. Et puis, un nouveau gouvernement s’est installé à Ottawa et une partie de l’argent qu’il avait promis de réinvestir dans le service public de l’information, a été réinjectée. Résultat, la réforme est enfin en marche dans la salle de nouvelles de Radio-Canada.
Le but? S’adapter au nouveau contexte et être partout où les Canadiens souhaitent s’informer, au moment où ils veulent bien l’être. Mais demeurer également un média, de référence, que l’on consulte pour avoir l’heure juste, alors que la quantité d’information produite et partagée sur les réseaux sociaux aujourd’hui chaque seconde permet difficilement de démêler le vrai du faux.
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«Il y a trois, quatre ans, nous avons procédé à la fusion des différentes salles de nouvelles, explique Michel Cormier. Cette fois, nous allons plus loin. Nous avons désormais deux pôles. D’un côté ceux qui travaillent pour l’information en continu, qui produisent la nouvelle pour les réseaux sociaux, les bulletins de RDI, le web, et dans une certaine mesure, la radio. De l’autre, ceux qui vont aller creuser les sujets, ajouter de la valeur, un journalisme en quête de sens. Ce sont les journalistes qui travaillent pour les téléjournaux, les émissions de Michel C. Auger ou Michel Désautels, ou encore l’Heure du monde. Le changement est en train de s’opérer. Nous sommes en train de réaménager physiquement la salle, de relocaliser les différents bureaux.»
Cette réorganisation part aussi du constat que les grands rendez-vous que sont le Téléjournal Grand Montréal et Le Téléjournal de 22 heures ne peuvent plus se contenter d’être des bulletins de nouvelles traditionnels, peut-on lire dans le document interne expliquant ce nouveau repositionnement. Les études démontrent que le public connaît déjà 70% des nouvelles à 17 heures. Il faut donc être déjà en valeur ajoutée dès l’ouverture de ces émissions.
Une question d’état d’esprit
Un changement rendu possible grâce aux dollars réinjectés par le gouvernement fédéral. Car pour y parvenir sans multiplier la charge de travail des journalistes, il faut embaucher, ce qui ne se faisait plus depuis plusieurs années. Embaucher pour dégager du temps à certains rédacteurs afin qu’ils réfléchissent à la réalisation de nouveaux formats intéressants pour les internautes et ceux qui suivent les nouvelles via l’application mobile. Embaucher des jeunes, des «numériques premiers», fiers d’être publiés sur le web, parce que c’est là que sont leurs amis…
«Attention cependant aux idées reçues, prévient Crystelle Crépeau, directrice de la rédaction numérique et du rayonnement des contenus, arrivée il y a un peu plus d’un mois pour piloter le virage numérique. Tous les plus jeunes ne sont pas forcément à leur aise avec les nouvelles technologies, les nouveaux formats. Et les plus anciens sont parfois très demandeurs et plein d’idées. C’est vraiment une question d’état d’esprit.»
À la barre de cette rédaction numérique après avoir déjà mené à bien le changement à l’Actualité et à Châtelaine, Mme Crépeau avoue en être pour l’instant à la phase de test.
«Il faut utiliser les nouvelles technologies à bon escient, estime-t-elle. Nous en sommes à découvrir des nouveaux formats, à chercher sur quelle plateforme ils fonctionnent le mieux, pour raconter quelle histoire, aller chercher quel public. Nous avons aujourd’hui à notre portée une multitude d’outils qui ont chacun leur spécificité. Le but est non seulement de ne pas s’y perdre, mais aussi de ne pas perdre notre spécificité de service public et les investissant.»
Se réinventer en restant soi-même
Pour cela, de nombreux post-mortem sont programmés. Ce fut le cas notamment en juin après l’entrevue de fin de session parlementaire avec le Premier ministre Philippe Couillard. Bien sûr, ce dernier a répondu aux questions de Patrice Roy en direct à la télévision, mais des téléspectateurs pouvaient poser leurs questions, que ce soit par Twitter, Facebook ou encore Skype. Une émission spéciale interactive, précédée et suivie par d’autres, cette fois sur les médias sociaux gérés par la chaine publique. Un peu plus tôt ce printemps, un journaliste de la chaine a pu relayer les informations en provenance de Fort Mc Murray dès le début de l’incendie sur Facebook live, alors qu’il n’aurait pas eu le matériel nécessaire pour un direct à la télévision.
Même chose le 13 novembre dernier. Jean-François Bélanger se trouve devant le Bataclan à Paris, lorsque les forces de l’ordre lancent l’assaut contre les terroristes. Il filme avec son cellulaire, met la vidéo en ligne et elle devient virale, atteignant près de 5 millions de personnes sur Facebook et pas moins de 17 millions d’internautes à ce jour.
«Une des clés de l’impact de notre journalisme dépend des stratégies de rayonnement que nous développons, croit Michel Cormier. Nous devons nous assurer que nos contenus voyagent sur toutes nos antennes, qu’ils aient une déclinaison sur nos propres plateformes numériques mais nous devons aussi concevoir des stratégies qui nous permettent de nous servir des médias sociaux pour en propulser le rayonnement. En cela, le poste de Crystelle Crépeau, que nous venons de créer, est crucial dans notre stratégie.»
Son poste, mais aussi la bonne volonté de toutes la salle de nouvelles et l’envie. L’envie de faire les choses différemment. L’envie de réinventer la manière de faire du journalisme.
«Nous n’y arriverons pas sans nos journalistes mais je suis aujourd’hui très confiant, conclut le directeur de l’information. Prenons quelqu’un comme Mathieu Dion, qui est sur la colline parlementaire à Québec depuis quelques mois. Il est jeune et il veut parler, entre autres, aux gens de sa génération. La mission qu’il s’est donnée est de réinventer la couverture politique pour atteindre les jeunes. Avec des gens motivés comme lui et plein d’autres, nous arriverons à négocier notre virage numérique, tout en restant nous-mêmes.»
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