Les journalistes ne savent pas placer la virgule

C’est ce qui ressort d’une étude sur la qualité de la langue menée par quatre enseignants et professeurs de l’Université Laval à la demande du Conseil supérieur de la langue française. Une étude qui démontre par ailleurs que les journalistes, malgré la rapidité à laquelle ils sont confrontés, et alors qu’il y a de moins en moins de correcteurs dans les salles de nouvelles, laissent passer beaucoup moins d’erreurs linguistiques qu’ils ne le faisaient il y a vingt ans.

Par Hélène Roulot-Ganzmann @roulotganzmann

Avec 394 occurrences relevées, c’est un tiers des fautes que l’on recense dans les journaux québécois étudiés qui concerne un écart dans l’emploi de la virgule. Une augmentation de 156% par rapport à la même étude publiée en 2001, année où pourtant déjà l’erreur était fréquente.

Les auteurs interprètent ce résultat de deux manières: d’une part, la généralisation de l’usage des correcteurs informatiques et la confiance que leur font les journalistes, alors même que ces logiciels ne sont pas aussi performants en matière de ponctuation que de détection des écarts d’orthographe lexicale et grammaticale, ce qui expliquerait la hausse subite de cette faute; d’autre part, dans la tête des gens, la virgule serait un signe de ponctuation à l’usage non strictement codifié, mais plutôt dicté par des éléments plus subjectifs comme le style, le rythme ou la prosodie. Ce qui expliquerait cette fois que cette erreur trône au sommet du palmarès aussi bien en 2015 qu’en 2001.

«S’il est vrai que quelques cas d’usage de la virgule permettent une certaine liberté d’emploi, en revanche, tous les cas d’écarts de notre étude concernent la présence d’une virgule non requise (dans les phrases où l’ordre canonique des éléments est respecté) ou encore l’absence d’une virgule obligatoire (pour indiquer une rupture dans ce même ordre canonique), écrivent les auteurs de l’étude. La maîtrise de l’usage de ce signe de ponctuation requiert une bonne compréhension de la structure de la phrase et la capacité de détecter les ruptures dans l’ordre canonique de ses constituants. Sans ces compétences, le scripteur est un peu condamné à utiliser la virgule de façon instinctive, accumulant ainsi un certain nombre d’erreurs au fil de ses écrits.»

50% moins de fautes

Une erreur qui pourrait donc, avec un tant soit peu de formation, être facilement évitée et corrigée. Ce qui permettrait une amélioration très marquée de la qualité linguistique dans les journaux.

En effet, sans tenir compte des écarts d’emploi de la virgule, les auteurs ont recensé 446 fautes dans les journaux étudiés contre 863 en 2001. Une baisse de près de 50%… contre seulement 33% si l’on tient compte de la virgule.

Cette recherche publiée un peu plus tôt cette année portait sur six quotidiens dont quatre avaient déjà été examinés il y a quatorze ans, à savoir le Devoir, la Presse, le Soleil et le Journal de Québec; le Journal de Montréal et le Nouvelliste venant compléter le panel cette fois-ci. Les 144 articles sélectionnés figurent tous en une et ont été publiés entre 2010 et 2013.

Résultat: cette nouvelle étude montre une baisse significative du nombre d’écarts linguistiques dans les textes entre 2015 et 2001.

«Alors qu’on dénombrait 10,4 écarts par texte en moyenne en 2001, cette moyenne passe à 6,9 écarts par texte en 2015, peut-on lire. Cette baisse moyenne de 3,5 écarts par texte et l’augmentation de la longueur moyenne des textes (+10,9 %) nous permettent d’affirmer que la qualité linguistique des quotidiens examinés s’est améliorée depuis la première étude. Dans les textes de l’étude de 2001, un écart linguistique était recensé tous les 63 mots, alors que ce nombre passe à 112,6 mots dans l’examen de 2015.»

Le Devoir, premier de promo

Ces bons résultats moyens cachent cependant de fortes disparités. Il y a en réalité deux groupes de quotidiens. Trois d’entre eux, le Nouvelliste, le Journal de Montréal et le Journal de Québec affichent à peu près la même moyenne qu’au début du siècle (un écart tous les 63 mots environ), alors que les trois autres, le Devoir, la Presse et le Soleil ont doublé cette moyenne. Plus précisément, le Journal de Québec hérite du bonnet d’âne avec une erreur tous les 61 mots, alors que le Devoir finit premier de promo avec une erreur tous les 135 mots seulement.

Nombre de mots entre les écarts linguistiques selon l’année et le quotidien

Devoir Presse Nouvel Soleil JdeM JdeQ Moyenne
2010 78,1 160,6 83,3 110,6 53,9 58,6 90,9
2011 122,2 111,6 56,1 138,1 53,3 73,8 92,5
2012 213,2 97,6 61,1 170,8 98,2 56,6 116,3
2013 128,9 130,1 52,3 94,0 47,5 57,5 85,1
Moyenne 135,6 125,0 63,2 128,4 63,2 61,6 96,2
 
Étude 2015 135,6 125,0 –– 128,4 –– 61,6 112,6
Étude 2001 70,3 84,5 –– 43,4 –– 53,8 63,0
Différence 65,3 40,5 –– 85,0 –– 7,8 49,6
% 92,9 % 47,9 % –– 195,8 % –– 14,5 % 78,8 %

Source: Conseil supérieur de la langue française

Des disparités que les auteurs tentent d’expliquer «par un manque de soin et de temps accordés à la relecture dans le processus éditorial. Ou encore par la moins bonne performance des journalistes eux-mêmes».

Des journalistes qui se laisseraient par ailleurs de plus en plus guider par les correcteurs informatiques, ce qui expliquerait en grande partie la baisse importante des erreurs recensées entre 2001 et 2015.

Nombre d’écarts selon les catégories (2015)

Devoir Presse Nouvel Soleil JdeM JdeQ Total %
Ponctuation 70 75 112 31 62 44 394 34,7 %
Vocabulaire 36 32 45 25 52 48 238 21,0 %
Syntaxe 14 26 14 23 42 31 150 13,2 %
Style 15 16 13 7 18 13 82 7,2 %
Emploi mots 8 8 17 5 10 8 56 4,9 %
Typographie 21 2 12 2 12 4 53 4,7 %
Cohérence 6 7 13 5 15 6 52 4,6 %
Orth. lex. 7 7 8 5 11 9 47 4,1 %
Coquille 8 6 4 5 5 5 33 2,9 %
Orth. gram. 2 1 2 5 9 12 31 2,7 %
Total 187 180 240 113 237 180 1 136 100,0 %

Source: Conseil supérieur de la langue française

La ponctuation, du fait de la virgule, le vocabulaire et la syntaxe sont les trois catégories qui posent le plus de problèmes aux reporters de presse écrite. Étonnamment, les anglicismes – dans le vocabulaire comme dans la syntaxe – ne font pas partie des erreurs les plus répandues. Les journalistes ont plutôt tendance à prendre un mot pour un autre – voisiner au lieu d’avoisiner –, à se tromper de préposition (différencier à au lieu de différencier de) et à avoir des problèmes de coordination.

Cela dit, votre humble journaliste s’en va de ce pas relire ce texte avant de le publier. Et deux fois plutôt qu’une! En faisant particulièrement attention à ses virgules…

Pour télécharger l’étude, c’est par ici.

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